Ne pas négliger l’anesthésie locorégionale - La Semaine Vétérinaire n° 1926 du 04/01/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1926 du 04/01/2022

Analgésie

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Une fiche technique de la Fédération des associations vétérinaires européennes pour animaux de compagnie rappelle l’importance des différentes techniques d’anesthésie locorégionale pour la gestion de la douleur lors d’une intervention chirurgicale. Passage en revue des points clés à retenir.

La gestion de l’analgésie peropératoire devrait inclure, quand la chirurgie s’y prête, une anesthésie locorégionale, a rappelé la Fédération des associations vétérinaires européennes pour animaux de compagnie (Fecava), à travers une fiche technique1 mise en ligne en octobre 2021. Quelle que soit la technique employée, le principe est d’injecter une dose d’anesthésique local au niveau de terminaisons nerveuses, afin d’inhiber la transduction et la transmission d’un signal douloureux. Les bénéfices sont multiples, rappelle la Fecava. L’action sur les fibres nerveuses permet de prévenir la douleur persistante en post-opératoire. En peropératoire, l’anesthésie locorégionale est associée à une bonne relaxation musculaire et analgésie, et permet de réduire les besoins en anesthésiques et en opioïdes. Elle est aussi associée à une réduction de la mortalité liée à l’anesthésie. La récupération est plus douce pour l’animal. Chaque modalité d’anesthésie locorégionale est associée à une courte vidéo explicative (QR codes) détaillant le geste technique, et le matériel associé.

Pour la Fecava, les techniques d’anesthésie locorégionale sont simples, économiques, et facilement maîtrisables après une formation, et devraient être utilisées en routine, dans le cadre d’une analgésie multimodale, d’autant que les contre-indications sont rares. Quelques points de vigilance sont toutefois à connaître. Il convient de bien calculer la dose maximale à injecter pour éviter toute toxicité : en effet, la molécule injectée localement sera résorbée au niveau de la circulation sanguine, pouvant potentiellement conduire en cas de forte dose à des effets systémiques. De plus, une aspiration est nécessaire avant d’administrer le produit pour éviter toute injection intraveineuse accidentelle et tout risque d’hématome. Il convient aussi de s’assurer de l’absence de résistance à l’injection pour éviter tout dommage nerveux.

Cinq techniques pour la pratique quotidienne sont décrites dans la fiche. La première est l’infiltration intratesticulaire qui peut être utilisée chez le chien comme le chat. Elle permet de réduire le recours à une analgésie de secours. Elle est aussi associée à une réduction des besoins en anesthésique volatil. Une dose de 0,25 à 0,5 mL de lidocaïne par testicule est recommandée, voire 0,75 mL pour les chiens de moyenne et grande taille. L’infiltration sous-cutanée et l’analgésie intrapéritonéale sont deux autres techniques à envisager lors de chirurgie abdominale. L’infiltration sous-cutanée se fait en pré-opératoire et non en post-opératoire pour être efficace. Les doses recommandées sont de 2 mg/kg pour la bupivacaïne et de 8 mg/kg pour la lidocaïne. À ce jour, aucune évidence scientifique ne confirme de lien entre cette technique et une déhiscence de la plaie. Pour l’analgésie intrapéritonéale, il s'agit de verser, au cours de la stérilisation, un tiers du mélange anesthésique au niveau du pédicule ovarien droit, un tiers au niveau du pédicule gauche, et le reste au niveau de l’utérus caudal.

Les dernières techniques décrites concernent la dentisterie. Il s’agit d’anesthésies, dites tronculaires, qui consistent à injecter la molécule au plus près du trajet d’un ou plusieurs nerfs sensitifs. Le bloc infra-orbitaire vise le nerf infra-orbital, qui est une branche du nerf maxillaire innervant une partie de l’arcade dentaire supérieure et de la gencive latérale. Ce bloc permet d’insensibiliser la zone rostrale, les incisives, canines et premières prémolaires. Pour une intervention sur les dernières molaires et les molaires, un bloc maxillaire sera à prévoir, mais avec des résultats moins probants. Le volume recommandé est de 0,25 mL (animal de petite taille) à 0,5 mL (moyenne et grande taille) de lidocaïne ou de bupivacaïne. Le bloc mandibulaire sert à l’anesthésie du nerf alvéolaire mandibulaire, et permet d‘insensibiliser la zone des dents inférieures. Le volume à injecter est le même.

Questions à Stephan Mahler (N 90), président de Bestin’Vet

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Quelles sont les différentes techniques d’anesthésie locorégionale ?

Il y a d’une part les techniques d’infiltration, qui consistent à injecter dans un tissu, par exemple un testicule ou une plaie après exérèse d’une masse, et d’instillation, qui consistent à déposer l’anesthésique local directement sur les tissus, par exemple sur le ligament suspenseur de l’ovaire. D’autre part, les blocs (nerveux ou centraux), qui visent à bloquer l’action spécifique d’un ou plusieurs nerfs innervant une région donnée. Il n’est pas possible de lister le nombre de techniques existantes, qui va crescendo. Ce qu’il faut surtout retenir est qu’il y a consensus sur le fait qu’il existe au moins une technique d’anesthésie locorégionale pour toute intervention chirurgicale. Autrement dit, aujourd’hui, aucune chirurgie ne devrait être réalisée sans avoir recours à une technique d’anesthésie locorégionale, dans le cadre d’une gestion multimodale de l’anesthésie-analgésie.

Quelles sont les principales précautions d’emploi à connaître ?

De manière générale, il convient toujours de faire des tests d’aspiration pour éviter toute injection intravasculaire et les effets secondaires qui pourraient en découler (nerveux et cardiaque). Les doses maximales à utiliser doivent toujours être respectées. Pour les blocs, il faut repérer toute résistance à l’injection pour éviter l’injection intraneurale. Les tissus infectés ou tumoraux ne doivent pas être infiltrés ou traversés. L’anesthésie péridurale est à part : en effet, elle bloque aussi bien le sensitif que le moteur et le système sympathique. Une hypotension est prévisible et il convient d’être vigilant chez les animaux déshydratés et en hypotension non stabilisée. La complication la plus fréquente est l’échec.

Peut-on s’assurer de l’efficacité de son geste technique ?

Une technique réussie fait qu’on aura besoin de moins d’anesthésiques et d’analgésiques en peropératoire, au profit d’une meilleure sécurité anesthésique. Pour le post-opératoire, l’animal au réveil sera moins douloureux, avec une meilleure récupération fonctionnelle. C’est assez flagrant pour les chirurgies orthopédiques et traumatologiques !  On pourra ainsi faire l’exérèse d’une tumeur cutanée voire même une TPLO1 sans avoir recours à l’anesthésie générale (en sédation uniquement).

Quelles sont les molécules recommandées ?

Seules la lidocaïne et la procaïne disposent d’une AMM vétérinaire, mais elles ont une durée d’action courte et ont peu d’intérêt en analgésie péri-opératoire (éventuellement pour les biopsies cutanées). On préfèrera utiliser des anesthésiques locaux de plus longue durée d’action comme la bupivacaïne. La durée d’action est toutefois variable suivant la technique utilisée et la zone anesthésiée, de 4 à 6 heures, voire plus. Le mélange lidocaïne-bupivacaïne n’a pas d’intérêt, d’autant que cela modifie le pH de la solution et réduit l’efficacité de la bupivacaïne. Le mélange dexmédétomidine-bupivacaïne est par contre bien documenté, avec comme effet de prolonger la durée d’action de l’anesthésique local.

Y-a-t-il des perspectives d’évolution ?

Il y a sans cesse des nouvelles techniques décrites dans la littérature. Les dernières documentées sont des blocs pour la paroi abdominale ou « TAP blocks » (« transverse abdominal plane blocks ») : l’anesthésique local est injecté entre le muscle transverse de l’abdomen et le muscle oblique interne, le long du trajet des nerfs innervant la paroi abdominale, sous contrôle échographique. Les blocs paravertébraux sont également développés. Ces techniques confèrent un confort incroyable au réveil. Elles ont été adaptées aussi pour le retrait des chaînes mammaires. Il y a aussi des perspectives de commercialisation de nouvelles molécules. Enfin, l’évolution serait aussi d’aller vers une systématisation du recours à l’anesthésie locorégionale, par tous les praticiens : de tous les médicaments disponibles qui modulent ou réduisent la douleur, l’anesthésique local sera le seul qui va supprimer totalement la douleur.