Fusion VetOne-IVC Evidensia
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Jacques Nadel
Les grandes manœuvres continuent sur le front de la consolidation des établissements vétérinaires et sont entrées dans une phase nouvelle avec l’acquisition de VetOne par IVC Evidensia. Retour sur ce build-up.
C’est une nouvelle preuve du dynamisme des groupes vétérinaires en France. Début janvier 2022, le groupe français VetOne (51 cliniques en octobre 2021, source : Phylum) a changé de mains. Il a été repris par IVC Evidensia, leader en Europe et en France du secteur. Ensemble, ces deux acteurs majeurs des groupes dans le paysage vétérinaire français pèsent désormais 155 cliniques et plus de 1500 collaborateurs dans l’Hexagone. Cette acquisition marque clairement un changement d’échelle pour les réseaux et signe une nouvelle étape dans le processus de recomposition en cours du marché vétérinaire amorcé depuis trois ans environ.
Créé en 2013, VetOne est un groupe de cliniques canines généralistes, alors qu’IVC Evidensia a un focus mixte médecine générale/activité spécialisée sur cas référés. Cette opération de consolidation arrive à point nommé pour le cinquième groupe actif en France, qui s’était lancé dans une levée de fonds pour poursuivre son développement. « Le rapprochement de nos deux réseaux va nous permettre d’être de meilleurs compétiteurs sur le marché. IVC Evidensia et VetOne partagent des valeurs très proches : l’indépendance des cliniques vétérinaires, la qualité de la médecine vétérinaire et du bien-être des collaborateurs », déclare Steve Rosengarten, président de VetOne. Il justifie ce rapprochement par la complémentarité des équipes et des savoir-faire qui seront mutualisés mais aussi de la couverture géographique des deux réseaux qui permettra d’avoir un meilleur maillage du territoire français. « La philosophie de VetOne est totalement miscible avec celle d’IVC Evidensia », appuie Patrick Govart, vétérinaire directeur général d’IVC Evidensia France, ces deux groupes ayant en commun de placer le respect de l’identité des cliniques au cœur de leur modèle.
« L’annonce du rachat de VetOne a été bien accueillie par les cliniques membres, rapporte Steve Rosengarten. Dans leur grande majorité, les associés du groupe comprennent la logique et voient surtout dans ce rapprochement une continuité de ce qu’a entrepris jusqu’ici VetOne, et les avantages qui vont en découler. » Et d’ajouter : « Le rachat du groupe n’a créé aucune velléité de départ au sein des cliniques membres et je ne m’attends pas à en avoir. » Par ailleurs, les vétérinaires associés à hauteur de 20 % du capital social vont bénéficier, comme tous les autres actionnaires du groupe, du fruit de cette vente.
Concernant les aspects financiers de cette transaction, le patron de VetOne n’a pas souhaité communiquer sur son montant. Il est un fait avéré que la constitution de groupes, les liquidités abondantes des investisseurs, la visibilité du secteur sont autant de facteurs inflationnistes des prix. Lors d’un rachat par un groupe, les cliniques se vendent toujours plus cher qu’à un vétérinaire en exercice. Mais ce constat ne vaut pas dans le cas de VetOne, laisse entendre Steve Rosengarten. « L’idée qu’on obtient toujours mieux en vendant à un groupe est une fausse hypothèse, rétorque-t-il. La valorisation d’une clinique est liée à sa rentabilité et à sa capacité à générer de la croissance », souligne-t-il. Mais l’on sait bien que dans le monde des entreprises, les prix sont les promesses de demain !
Au dernier congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (AFVAC) à Bordeaux, les discussions ont tourné sur le fait d’avoir ou pas rejoint un réseau. Dans le même temps, le Sevif (Structures et établissements vétérinaires indépendants de France), issu à l’origine d’un collectif créé en 2019, a lancé son propre syndicat (Ssevif). Preuve que l’indépendance vétérinaire, qui est la base de la profession, se trouve mise à mal depuis quelques années par de nouvelles formes de sociétés qui permettent l’accès à des capitaux extérieurs aux praticiens. Le nouveau modèle du marché vétérinaire porté par IVC Evidensia et VetOne n’entre apparemment pas dans cette catégorie. D’autant que l’appétence à rejoindre l’un ou l’autre groupe a la faveur des chiffres. « En 2020, le groupe comptait 48 cliniques. À la fin de l’année 2021, il en aura attiré 150 », indique Christophe Farah, directeur général d’IVC Evidensia France.
L’indépendance professionnelle du vétérinaire est respectée. « Elle est garantie de manière contractuelle et statutaire », précise Patrick Govart. Est-ce le cas pour les autres acteurs ? Le rapport de juin 2021 commandé par le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) , intitulé « L’indépendance des vétérinaires praticiens en clientèle », n’est pas toujours tendre avec les modèles d’intégration des investisseurs. À propos du groupe de réflexion et des professionnels sollicités, Patrick Govart met en garde : « C’est le fruit de discussions de tout bord ; il ne faut pas se focaliser sur une minorité qui ont des avis virulents sur le sujet. »
L’inquiétude peut être légitime face à la concentration financière et à la revente de tout ou partie de ses capitaux à un investisseur. « Beaucoup de confrères vétérinaires sont en souffrance aujourd’hui, recadre Patrick Govart. Les structures vétérinaires deviennent de plus en plus grandes, les enjeux financiers de plus en plus importants, les achats de matériel de plus en plus lourds dans un contexte technologique qui se complexifie, les difficultés de recrutement de plus en plus prégnantes. Des groupes comme les nôtres, avec leur palette de services et de solutions, savent résoudre ces problèmes. »
En trois ans, la situation des groupes s’est radicalement inversée et leur percée en France est une réalité très présente. Faut-il sauter le pas ou s’en méfier ? « La situation des établissements vétérinaires évolue et différents acteurs se positionnent sur ce marché qui exprime de nouveaux besoins. Je peux comprendre que notre croissance crispe certains observateurs. À titre personnel, je reste ouvert à l’échange et au dialogue avec ces personnes », répond Steve Rosengarten.
Une fusion bien ressentie
Brice Guiader, aujourd’hui co-directeur des cliniques Santoria, Le Havre, a intégré VetOne début 2018. Un choix délibéré et dicté par le bon sens. « L’état d’esprit qui m’animait correspondait à celui de Steve Rosengarten." Trois ans plus tard, il ne regrette rien. « VetOne a redonné au niveau de l’équipe un élan qu’on n’avait plus, nous a permis de gérer des opportunités d’acquisition de plusieurs cliniques, de développer les compétences et l’autonomie des ASV, et cela en conservant localement notre autonomie, notre pouvoir décisionnaire sur les revalorisations de salaires de nos collaborateurs, les choix des formations, etc. J’ai l’impression que ce sera la même chose et que l’on va rester exactement sur les mêmes valeurs avec le groupe consolidé VetOne/IVC Evidensia. Sauf que sa force de frappe sera beaucoup plus puissante sur la formation, l’investissement en termes de matériel, l’obtention de tarifs intéressants, etc. »
Pour ce vétérinaire, rejoindre un réseau est inéluctable du fait aussi de la sociologie de la profession. « Les jeunes vétérinaires n’ont pas le même logiciel que leurs aînés : ils préfèrent le salariat, ne veulent pas s’associer ou créer de clinique. » Même si son choix a été guidé par l’humain, il souligne l’opportunité patrimoniale du moment : « Dans une phase de début de constitution de groupe, il est évident que les cliniques se vendent plus cher. » Toutefois, « il faut être vigilant sur le choix du réseau car tous ne se valent pas », conclut-il.