Lien entre maladie respiratoire et microbiote respiratoire des bovins à l’engraissement - La Semaine Vétérinaire n° 1932 du 15/02/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1932 du 15/02/2022

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Clothilde Barde

Article (partie 1) rédigé suite à la publication du 12 janvier 2022 (Bovine respiratory microbiota of feedlot cattle and its association with disease de Jianmin Chai, Sarah F. Capik, Beth Kegley, John T. Richeson, Jeremy G. Powell et Jiangchao Zhao, Veterinary Research volume 53, Article number: 4.

Les maladies respiratoires des bovins à l'engraissement (DBP) représentent l’une des principales causes de morbidité (défaut de croissance, taux de conversion alimentaire moins efficaces 1) et de mortalité en élevage de bovins de boucherie 2. Avec de lourdes répercussions économiques, elles touchent ainsi plus de 90 % des élevages aux États-Unis et affectent la sécurité alimentaire mondiale. L’utilisation généralisée des vaccins et des antibiotiques pour les prévenir et les traiter est une approche thérapeutique courante dans le monde entier 3.

Cependant, l’efficacité des vaccins est partielle et l’utilisation d’antibiotiques doit être raisonnée actuellement 4, 5, 6, 7, 8. C’est pourquoi des thérapies alternatives, telles que les probiotiques 9, sont de plus en plus étudiées pour traiter et améliorer la prise en charge. Certaines études ont déjà montré que les thérapies bactériennes intranasales développées à partir du Lactobacillus spp. nasopharyngé bovin pourraient réduire la colonisation par l’agent pathogène Mannheimia haemolytica chez les veaux laitiers, par exemple 10. De plus, au cours des dernières décennies, la technologie de séquençage de nouvelle génération (NGS) a contribué à une meilleure compréhension des rôles du microbiote résident 11.

Les chercheurs ont ainsi pu montré que le microbiome, soit le microbiote (micro-organismes contenant des bactéries, des archées, des champignons, des protistes et des algues) et son environnement (éléments structurels, métabolites/molécules de signalisation et conditions environnementales environnantes) dans une région anatomique donnée (par exemple intestin, poumon) jouent un rôle dans la santé des animaux 12, 13.

Au niveau de l’appareil respiratoire, l’écosystème se compose des voies respiratoires supérieures (URT) et inférieures (LRT) du point de vue anatomique et physiologique ; chacune possède un microbiote associé propre 11. Or, la contribution du microbiote au maintien de la santé ainsi que son rôle dans les BRD ont été suggérés récemment 14, 15, 16 car, chez l’homme, il est bien connu que le système microbien des voies respiratoires peut interagir avec l’immunité de l’hôte et permettre la métabolisation de facteurs de défense clés contre les infections produites par des agents pathogènes opportunistes 17, 18. De plus, l’idée que le microbiome respiratoire est significativement important pour la santé des bovins a été confirmée 15, 17, 18, 19.

Chez les bovins, lors de BRD, les cultures cellulaires ont permis d’identifier différents types de germes (Mycoplasma bovis, Histophilus somni, Mannheimia haemolytica et Pasteurella multocida). Toutefois, ces agents pathogènes bactériens se retrouvent à la fois chez les individus sains et malades. De plus, les mouvements microbiens dans les voies respiratoires ne sont pas encore bien compris chez les bovins 1, 17, 18, 20, 21, 22. Les progrès remarquables réalisés dans les études récentes utilisant le NGS pour étudier le microbiome respiratoire bovin n’en étant qu’au stade initial, face aux conséquences de la BRD, des recherches supplémentaires sur le rôle du microbiote respiratoire dans la physiopathologie de la BRD sont donc nécessaires, notamment pour identifier des thérapies alternatives potentielles.

Dans l’étude présentée ici, les signes cliniques et la pathogenèse de la BRD, les techniques appliquées à l’analyse du microbiome respiratoire, la biogéographie du microbiote dans le système respiratoire et l’association entre la BRD et le microbiome, ont été étudiés. Chez les bovins sains, une muqueuse recouvre les voies respiratoires et assure une protection immunitaire et physique pour le maintien de l'homéostasie entre l'hôte, le microbiote et l’environnement extérieur 23, 24, 25. Le mucus respiratoire présent à ce niveau est composé d’un ensemble complexe de peptides antimicrobiens, d'immunoglobulines, de glycoprotéines, de mucines, de polysaccharides, d'ions, de cellules et de bactéries qui agissent ensemble. Il offre, au niveau de l'URT, une barrière protectrice contre les agents pathogènes et contre les toxines de l'environnement 26. De plus, l’escalator mucociliaire agit pour déplacer le mucus et les petites particules qu'il piège (poussières, agents infectieux, bactéries, etc.) vers le nasopharynx ou l'oropharynx afin de prévenir la pénétration de corps étrangers dans les poumons pendant la respiration 27.

Parmi les cellules épithéliales des alvéoles, les cellules de type II produisent des surfactants riches en lipides capables d'empêcher la croissance bactérienne. Elles assurent ainsi la défense mécanique à l’aide de peptides antimicrobiens, dont la sécrétion augmente au cours du processus d'inflammation en raison de leur activation par les cellules dendritiques et les macrophages 28. Elles produisent également des cytokines et des chimiokines qui stimulent la production de cellules immunitaires dans les zones infectées ou endommagées des voies respiratoires 29. À l’aide de tous ces systèmes, le microbiome s'adapte en homéostasie avec la surface muqueuse et avec le système immunitaire de l'hôte pour lutter contre la multiplication d’agents pathogènes chez l’hôte.

Pour tenter de comprendre les mécanismes précis en jeu dans ces équilibres, une étude des écosystèmes microbiens des voies respiratoires des veaux BRD a donc été menée. En effet, les veaux de boucherie nouvellement sevrés subissent de nombreux facteurs de stress qui peuvent provoquer une dysbiose de l'écosystème respiratoire et entraîner une infection de type BRD 30, 31. À l'arrivée à l’engraissement, l'homéostasie des communautés microbiennes chez les bovins en bonne santé empêche les agents pathogènes de se développer sur les muqueuses. Le microbiote URT des bovins sains à l’engraissement change ensuite rapidement depuis le jour du sevrage jusqu’à l'arrivée à l’engraissement (deux jours comprenant dix heures d'expédition et une nuit de mélange avec d'autres veaux) puis dans les 40 jours après l'arrivée au parc d'engraissement 31, ce qui indique que l'écosystème respiratoire a évolué en réponse aux facteurs de stress extérieurs.

De fait, une étude précédente avait permis de montrer que le sérotype 2 de Mannheimia haemolytica était plus abondant dans la cavité nasale avant le stress (avant le sevrage et l'expédition au parc d'engraissement), tandis que le sérotype 1, communément considéré comme plus pathogène, était plus fréquemment isolé après l'arrivée au parc d'engraissement 32. De même, selon les résultats d’autres travaux de recherche, l'invasion d'agents pathogènes viraux et bactériens chez l'hôte entraîne une dysbiose microbienne, des dommages aux tissus des voies respiratoires et le développement ultérieur de BRD après l'arrivée dans le parc d'engraissement.

En ce qui concerne la prolifération et le mouvement des agents pathogènes BRD dans les voies respiratoires bovines, ce processus n’étant pas encore clair, les chercheurs ont émis l’hypothèse selon laquelle la dysbiose est provoquée par le stress et par la colonisation d'agents pathogènes dans l'URT, le déplacement ultérieur de la structure du microbiome de l'URT, puis la prolifération et finalement l'infection des poumons 33. Cependant, la dynamique spatiale des agents pathogènes et leur influence ultérieure sur le microbiome respiratoire bovin doivent donc encore être étudiées dans de futures études.