La toxoplasmose, une zoonose en perte de vitesse - La Semaine Vétérinaire n° 1933 du 22/02/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1933 du 22/02/2022

One Health

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

La prévalence de la toxoplasmose humaine diminue en France, en lien avec une moindre exposition au parasite. En cliniques vétérinaires, sa prévention passe par des mesures simples d’hygiène permettant une bonne maîtrise du risque pour la femme enceinte.

Oui, le chat participe à la dynamique de transmission de la toxoplasmose humaine à Toxoplasma gondii mais non, le contact direct avec un chat ne constitue pas un risque majeur de contamination humaine, a-t-il été rappelé au module One Health de l’édition 2021 du congrès de l’Afvac, organisé comme chaque année par l’Esccap France (European Scientific Counsel companion Animal Parasites).

Le chat est central dans le cycle parasitaire, étant donné qu’il joue le rôle d’hôte définitif préférentiel du parasite, permettant la multiplication sexuée de Toxoplasma dans les entérocytes, a montré Jacques Guillot, enseignant-chercheur en parasitologie à Oniris. Cela aboutit à la libération d’oocystes immatures (non sporulés) dans les fécès. Ces oocystes ne seront infectieux qu’après une période de maturation dans le milieu extérieur d’au minimum 24 heures (en général 2 à 5 jours). Le chat peut se contaminer en ingérant le parasite à différents stades : soit de bradyzoïtes, contenus sous forme de kyste dans la viande d’un hôte intermédiaire (prédation), soit de sporozoïtes, via les oocystes sporulés (moins fréquent).

Si la séroprévalence moyenne du chat est estimée à environ 30 à 40 % (fourchette 10-80 %), il est globalement considéré que moins de 1 % des chats sont excréteurs d’oocystes dans l’environnement. De plus, cette excrétion est limitée dans le temps : souvent, il y a une 1re phase d’excrétion d’oocystes de 2 à 3 semaines lors de primo-infection, puis il peut y avoir d’autres phases de plus courte durée à la faveur d’un état d’immunosuppression ou d’une maladie intercurrente (réactivation des kystes tissulaires). Notons toutefois que ce sont des millions d’œufs qui sont libérés lors de ces phases.

Ce sont les jeunes chats ayant accès à l’extérieur et chasseurs (chats en milieu rural) qui sont les plus à risque d’excrétion.

On estime que le tiers voire la moitié de la population humaine mondiale est exposé, voire infestée, avec une séroprévalence variable suivant les territoires. Une étude1 de 2020 a estimé à 20 % la séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes en Europe du Nord, à 30 % en Europe centrale et du Sud, contre presque 60 % en Amérique du Sud. Cette situation est liée d’une part au fait que le chat est une espèce présente partout dans le monde et vivant au contact de l’humain, et d’autre part, au fait que le toxoplasme a l’avantage de pouvoir se passer de son hôte définitif, du fait de sa capacité de transmission d’hôte intermédiaire à hôte intermédiaire : un humain peut ainsi se contaminer en ingérant de la viande contenant des kystes à bradyzoïtes d’un autre hôte intermédiaire (carnivorisme). L’ingestion directe d’oocystes sporulés est une autre voie de contamination humaine possible, d’autant que ces œufs sont très résistants dans l’environnement (beaucoup plus que les kystes à bradyzoïtes) : ils peuvent résister jusqu’à 5 ans dans le milieu extérieur, tout en conservant leur pouvoir infectieux. Par ailleurs, ils ne sont pas tués à la congélation, seule la cuisson fonctionne. On les trouve dans les végétaux, les eaux de consommation, mais aussi dans les mollusques.

En France2, la maladie est en perte de vitessea expliqué Isabelle Villena, médecin responsable du Centre national de référence de la toxoplasmose et professeur au CHU de Reims. Entre 1995 et 2016, la séroprévalence de la toxoplasmose chez la femme enceinte est passée de 54 % à 31 % (enquêtes nationales périnatales). Cette baisse régulière est en lien avec une diminution de l’incidence, plus marquée chez les femmes jeunes : ainsi, il y a une diminution du nombre de primo-infections toxoplasmiques pendant la grossesse de 41 % (5,4 / 1000 femmes séronégatives en 1995, contre 2,1/1000 en 2010). Cette tendance s’explique par une moindre exposition au parasite, du fait de changements des comportements alimentaires (cuisson et congélation des viandes), une diminution de la consommation de la viande ovine (-30 % entre 1990 et 2011), et un meilleur niveau d’hygiène par rapport aux oocystes. Et surtout une baisse de la prévalence chez le chat qui est moins exposé car nourri aujourd’hui plutôt avec de l’alimentation industrielle que de la viande crue (et potentiellement contaminée), et exprimant moins son comportement de prédation étant donné son milieu de vie (urbanisation). Cette tendance générale à la baisse cache de fortes disparités régionales, en lien probablement avec les capacités intrinsèques de résistance des oocystes dans l’environnement. Les oocystes sont en effet fragilisés dans des milieux secs et froids, ce qui est corroboré sur le terrain par des prévalences de toxoplasmose humaine plus élevées dans les zones avec un climat tempéré et humide.

Du côté des enfants est aussi constatée une diminution de l’incidence de la toxoplasmose congénitale (2 pour 10 000 naissances), avec une majorité de formes modérées.

À noter que la France est le seul pays au monde à avoir une politique préventive pour la toxoplasmose, qui pourrait évoluer dans les années à venir du fait de la baisse de la prévalence.

En France, est décrite une source émergente de contamination : la consommation de viande de cheval importée d’Amérique du Sud. Cette viande est contaminée par des souches toxoplasmiques atypiques plus virulentes que les souches classiques européennes. En effet, il existe une variabilité génotypique de Toxoplasma gondii. Le cycle domestique de vie, associé au développement de l’agriculture, a favorisé la sélection de populations clonales dominées par les génotypes les moins virulents, avec peu de diversité génétique. Mais dans des environnements naturels comme la forêt amazonienne, il y a, par contre, des génotypes très virulents, avec une grande diversité génétique. De plus, il est possible d’exprimer la maladie en cas d’exposition à un génotype différent : ont déjà été décrits des cas de femmes immunocompétentes qui se sont contaminées par une souche virulente à l’occasion d’un voyage en Amérique du Sud, aboutissant à une interruption de grossesse. Il convient donc de faire aussi attention au risque de toxoplasmose par des souches virulentes lors de voyages (en Guyane, par exemple).

Un risque faible en établissements de soins vétérinaires

La connaissance des voies de contamination de la toxoplasmose permet d’analyser les situations à risque pour une salariée enceinte en cliniques vétérinaires. C’est à partir de cette analyse de risque, spécifique à chaque structure, que pourront être mises en œuvre les mesures préventives les plus adaptées, a indiqué Florence Jégou, médecin du travail. La salariée enceinte peut faire face à plusieurs situations exposantes : un risque de contamination par voie injectable (via les vaccins vivants, en pratique rurale) qui est rare et un risque de contamination par voie orale (mains/surfaces/aliments souillées par des oocystes). Les ASV sont plus exposées du fait de leur activité de ménage. Le risque est négligeable dans le cadre des tâches normées : il faudra surtout s’attacher à identifier les situations sortant de ce cadre comme la pause déjeuner, le rangement du matériel de ménage, les conditions de lavage des mains… qui sont des moments qui peuvent échapper à la prévention du risque biologique. Ceci dit, des études ont montré que le contact avec des chats ne représentait pas un sur-risque de séroprévalence par rapport à la population générale. Au final, le risque apparaît comme faible.

L’hygiène des mains est la base

Aussi faible soit-il, il faut le prévenir. La méthode de prévention la plus pertinente est basique : l’hygiène des mains. D’autres recommandations sont aussi adaptées : usage de gants jetables, disposer d’une salle dédiée au repas, d’un vestiaire pour éviter les mélanges de vêtements et les contaminations croisées, nettoyage régulier des litières… En pratique, pour une salariée séronégative, il conviendra d’adapter son poste de travail de manière temporaire en arrêtant le nettoyage des litières ou si pas possible, en les nettoyant assez régulièrement pour éviter la maturation d’éventuels oocystes… De manière générale, il conviendra d’être très exigeant pour que l’hygiène des mains et des locaux soit respectée. Cette adaptation est d’autant plus essentielle qu’une salariée enceinte a le droit légalement de refuser de faire certaines tâches à risque. Anticiper en prévoyant une organisation et des moyens adaptés permet donc d’éviter ce cas de figure. C’est seulement dans les situations les plus complexes qu’un arrêt de travail pourrait être envisagé. Par ailleurs, il est à noter que ni la toxoplasmose clinique ni la toxoplasmose congénitale ne sont classées dans le tableau des maladies professionnelles, une séroprévalence ne pourra être considérée comme un accident de travail.

Quelle que soit la situation, prendre contact avec la médecine du travail et en discuter de vive voix est essentiel.

Pour aller plus loin : voir les articles L4121-1 et suivants, et les articles L1225-7 et suivants, du Code du travail.

  • 2. Inclus la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Mayotte.