alon de l’Agriculture
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Marine Neveux, Tanit Halfon
L’édition 2022 du Salon de l’agriculture a été l’occasion pour la profession de présenter enfin des avancées concrètes pour lutter contre la désertification vétérinaire, avec notamment l’implication de l’ensemble des parties prenantes.
Le temps des solutions pour le maillage vétérinaire est-il venu ? C’était en tout cas le fil rouge du dernier Salon de l’agriculture, qui s’est tenu du 27 février au 6 mars à la Porte de Versailles à Paris, pour les représentants de la profession vétérinaire. Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, l’a résumé lors d’une table ronde consacrée à ce sujet : « S’attaquer à un problème de cette nature, cela prend du temps. Le premier élément a été posé par le président du SNVEL en 2016 lors d’une journée « Feuille de route maillage » présidé par le ministre de l’Agriculture. Au fur et à mesure, le plan s’est affiné. Les éléments du décor ont été plantés et partagés par tous les acteurs, et pas uniquement les vétérinaires […] Aujourd’hui, nous sommes dans une phase de diagnostic au niveau des territoires et de construction d’une méthodologie associée […] Il y a urgence et c’est le bon timing. J’entends parler de souveraineté aujourd’hui dans le contexte que nous connaissons, et un des éléments de la souveraineté alimentaire de notre pays est aussi d’avoir des vétérinaires pour apporter des soins aux animaux et s’occuper de santé publique ».
Un territoire a déjà sauté le pas, la Corrèze, en mettant en place un plan d’action. Le Salon de l’agriculture a d’ailleurs été l’écrin d’un symbole fort le 2 mars avec la signature d’un partenariat entre le SNVEL et le département de la Corrèze par lequel les acteurs s’engagent à renforcer l’offre de santé vétérinaire dans ce département rural où l’agriculture est une activité économique essentielle. Anticiper : c’est le mot d’ordre pour ne pas subir les conséquences des départs à la retraite de vétérinaires dans cette zone rurale. « Avec Corrèze Santé Animale, nous sommes le premier département depuis l’adoption de la loi Ddadue à engager un plan d’attractivité vétérinaire. Avec 45 % de vétérinaires âgés de plus de 50 ans en Corrèze, il convient donc de déployer dès maintenant les moyens d’assurer la relève », explique Pascal Coste, président du conseil départemental. « Le conseil départemental a été très réceptif aux besoins exprimés par les vétérinaires », témoigne David Quint, praticien en Corrèze et vice-président du SNVEL.
Plusieurs outils sont mis à disposition :
- des mesures d’accompagnement financier pour les étudiants vétérinaires (indemnités de logement, de déplacement, une bourse départementale pour l’installation) ;
- des aides à l’installation ;
- un Service d’aide vétérinaire d’urgence (SAVU 19) ;
- une mobilisation et une communication partenariales ;
- un engagement financier du département.
« Ce plan est la reconnaissance de la nécessité pour nos territoires de la présence des vétérinaires et de l’utilité de leur travail » se félicite aussi Laurent Perrin, président du SNVEL.
Pour Jacques Guérin, la clé du maillage passe aussi par une évolution du modèle économique vétérinaire (voir encadré). « Dans certains secteurs ruraux, l’économie du cabinet vétérinaire ne peut plus reposer sur la seule économie de marché. » Il poursuit : « Nous avons d’autres modèles en Europe où les vétérinaires, pour certaines missions de santé publique, ont un statut de fonctionnaires. Ce n’est pas le modèle choisi en France, qui très innovant avec un partenariat entre une activité libérale privée et une activité de santé publique en relation et conventionnée avec l’État. » Plus largement, il a rappelé que les solutions relevaient d’une question d’aménagement du territoire, par exemple pour faire en sorte que le conjoint du vétérinaire bénéficie également d’opportunités professionnelles. Cette question du modèle économique rejoint les préoccupations des vétérinaires praticiens interrogés au Salon. Pour Aurélien Meurisse (Liège, 2006), praticien en bovine à Ardres (Pas-de-Calais), les financements du dispositif Ddadue ne sont intéressants que dans une optique de transition. « Cela peut être un coup de pouce pour une réorganisation des structures mais mettre sous perfusion l’activité rurale ne me paraît pas pérenne. La vraie solution est d’encourager les éleveurs à travailler avec les vétérinaires. » Dans cette relation, il faut que le vétérinaire continue à marquer sa différence et à être compétent et disponible. Il évoque aussi le risque qu’une subvention de l’État pourrait être mal perçue de la part des éleveurs et organisations professionnelles. Claude Joly (A78), récemment retraité de clientèle mais qui a gardé une activité en reproduction bovine, abonde dans le même sens : le vétérinaire est perçu comme une charge, et c’est ce modèle de pensée qu’il faut changer. Dans son activité, il indique avoir créé il y a 20 ans un fonctionnement pérenne sur la base d’un forfait à l’année concernant les honoraires avec des marges limités sur les médicaments. « En filière bovine, je pense qu’on peut évoluer plus facilement dans ce sens que dans d’autres filières. » Bertrand Vincent (A89), praticien à Quesnoy-sur-Deûle (Nord), ajoute : « La base, c’est la confiance. Si on arrive à montrer notre expertise, alors nous n’aurons pas besoin de subventions. Les éleveurs auront les moyens de payer car ils auront moins d’intrants médicaments et un bon bilan d’élevage ». Un partenariat gagnant-gagnant.
« Il va falloir travailler à une évolution du modèle économique », dresse aussi comme constat Laurent Perrin. « La facturation à l’acte va sans doute trouver sa fin […] donc il va falloir évoluer vers des modèles de contractualisation. Encore une fois, il ne faut pas travailler à une contractualisation all inclusive. Il va falloir travailler par étage, des briques. Est-ce que l’on contractualise la permanence et continuité de soins ? Est-ce que l’on contractualise le suivi sanitaire ? Est-ce que l’on contractualise un échange de données et l’interprétation des données ? Est-ce qu’ensuite on contractualise techniquement le suivi de fécondité, le parage ? » interroge-t-il.
L’avenir de la relation éleveurs et vétérinaires pourrait donc s’appuyer sur le socle de la contractualisation, avec un volet prévention. « Le statut sanitaire du cheptel français s’améliore, on a de moins en moins d’interventions. On arrive à un système où il faudra absolument rémunérer l’épidémiosurveillance qui est faite quotidiennement par les vétérinaires, mais aussi la disponibilité en cas de crise. On ne peut pas demander à une profession d’intervenir à chaque crise quand on l’oublie le reste du temps. Le modèle de la contractualisation doit aussi être appliqué à la rémunération du mandat sanitaire global », poursuit Laurent Perrin.
Au-delà des aspects économiques, d’autres leviers aident au maillage. Lors de la table ronde, Laurent Perrin a souligné l’importance des stages immersifs. « Il faut amener les jeunes dans nos territoires. Le stage tutoré est vraiment une solution. Cela permet d’amener des gens d’origine citadine qui ont l’impression qu’aller vivre en province est un enterrement de première classe. On vit très bien à la campagne. » Pour Laurent Perrin, il faut immerger les étudiants le plus tôt possible dans le bain : « Est-ce que le tutorat n’arrive pas un peu tard ? » Également présent, Pierre Bruyère, enseignant-chercheur à VetAgro Sup et responsable des stages tutorés, rappelle qu’il y a des stages lors du tronc commun du cursus vétérinaire. Les stages tutorés sont plus longs, 18 semaines dans une même structure, et se font en dernière année d’études. « Le soutien du ministère de l’Agriculture à ce dispositif est présent depuis 2016. Pour sa première année, 17 étudiants en France, dont 4 pour VetAgro Sup, l’ont sollicité. Aujourd’hui, ils sont 90, dont 26 dans notre école. En 5 ans, nous avons multiplié par 5 le nombre d’étudiants en stages tutorés dans toute la France ». Pour l’enseignant, comme pour Laurent Perrin, ce type de stage présente aussi l’intérêt de pouvoir donner confiance aux stagiaires.
À VetAgro Sup, chaque année, « une cinquantaine d’étudiants s’engagent dans une filière avec une orientation rurale1 », indique Pierre Bruyère, ce qui représente 35 à 40 % d’une promotion. De quoi être optimiste.
Visionnez la vidéo de David Quint sur https://bit.ly/3Kuwih4
Visionnez la vidéo de Jacques Guerin sur https://bit.ly/362sS6B
Visionnez la vidéo de Laurent Perrin sur https://bit.ly/3MxOcS8
Trois questions à Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires
Vous avez indiqué lors de la table ronde que, dans certains secteurs ruraux, l’économie du cabinet vétérinaire ne pouvait plus reposer sur la seule économie de marché…
Le modèle économique de l’entreprise vétérinaire reposait jusqu’à présent sur un mélange entre les soins, l’urgence, la prescription et la délivrance des médicaments, et les missions relevant de l’habilitation et du mandat sanitaire. Aujourd’hui, le profit lié à la pharmacie vétérinaire diminue. Si les plans Écoantibio démontrent toute la pertinence des actions mises en place, cela pèse sur l’économie de l’entreprise vétérinaire. De plus, la qualité sanitaire du cheptel s’étant améliorée, et on ne peut que s’en féliciter, la part liée au rôle sanitaire du vétérinaire s’est fortement amoindrie. Par exemple, les prophylaxies pouvaient représenter jusqu’à 30 à 35 % de la part du profit de l’entreprise vétérinaire. Aujourd’hui, c’est plutôt de l’ordre de 3 à 5 %. Les éleveurs gagnent aussi en compétence, amenant à moins d’interventions vétérinaires et plus de prévention. La conséquence est que ce qui devient le centre de profit naturel des vétérinaires est la médecine et la chirurgie des animaux de compagnie. Dans ce contexte, la question est de savoir comment maintenir les compétences. Cela a un coût, de l’ordre du service public, qu’il va falloir prendre en compte. De plus, la question est aussi de savoir quelles peuvent être les évolutions des missions des vétérinaires en dehors des soins.
De quelle manière le dispositif Ddadue va-t-il pouvoir aider ?
Il s’agit d’un dispositif de pilotage qui permet à des collectivités, ou regroupements de collectivités, d’avoir un moyen de maintenir une activité vétérinaire dans un territoire pas encore totalement sinistré via différentes modalités de financements de déplacements, de stages… Au-delà de l’aspect financier, la loi Ddadue, c’est aussi, et surtout, un levier qui permet de mettre autour de la table l’ensemble des parties prenantes afin de se parler, de réfléchir collectivement à l’aménagement d’un territoire et d’aboutir à des liens de contractualisation mutuellement consentis en particulier entre les éleveurs et les vétérinaires. C’est un levier de politique publique, avec le vétérinaire qui est acteur au sein d’un territoire.
Toutes les parties prenantes sont-elles convaincues ?
Il n’y a pas de problème de sensibilisation, tout le monde est bien conscient qu’il y a un souci de maillage. L’idée maintenant est de réfléchir collectivement à des solutions concrètes, pragmatiques et pérennes pour un territoire en évitant tout effet d’opportunisme comme on peut le constater avec les dispositifs d’aides en santé humaine.