Entraide
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Propos recueillis par Marine Neveux
Dans la poursuite de ses actions et de sa réflexion portant sur les jeunes générations
vétérinaires, l’association Vétos-Entraide (VE) vient de mettre à disposition des vétérinaires
les Cahiers du mentorat vétérinaire
l’un destiné aux mentorés, l’autre aux mentors. Interview de Marie Babot, praticienne à
Lisle-sur-Tarn (81) et membre du CA de Vétos-Entraide, et Thierry Jourdan, praticien à
Romorantin-Lanthenay (41) et fondateur et membre du CA de Vétos-Entraide, acteurs de ce projet.
Pourquoi avez-vous entrepris une réflexion sur le mentorat ?
La pandémie a mis en lumière la condition étudiante. VE s’est intéressé à ce qui se passait pour les étudiants en général, mais surtout pour ceux de nos écoles vétérinaires françaises.
Par ailleurs, nous savions que 30 % des jeunes praticiens se reconvertissaient dans les 5 premières années d’exercice. II était important d’en connaître les causes, afin de pouvoir envisager des aides efficaces.
Nous avons pu constater que les étudiants ne se sentent pas assez préparés au passage de l’école vétérinaire vers l’exercice professionnel et pas assez soutenus par leurs aînés.
Restaurer du lien entre les générations et promouvoir de la confraternité sont indispensables au démarrage puis à l’insertion dans le monde professionnel.
Le mentorat, relation d’aide bénévole et bienveillante entre une personne expérimentée et une autre en devenir, nous est apparu bénéfique pour agir sur certains leviers, en particulier pour que les jeunes aient une idée des métiers qu’ils souhaitent exercer, puis réussissent à s’épanouir dans une activité choisie. L’acquisition de savoir-être et de savoir-devenir dans un lieu de partage et de tolérance est au cœur du projet.
Que se passe-t-il dans les écoles vétérinaires ?
Vétos-Entraide a mené un travail de réflexion et d’écoute avec les étudiants vétérinaires et accumulé des données depuis de très nombreuses années. Nous avons senti un besoin d’écoute, comme si c’était la première fois qu’on les écoutait. Il existe beaucoup d’énergie, d’enthousiasme, beaucoup d’initiatives au sein de la vie étudiante mais aussi beaucoup d’inquiétudes et de lucidité sur le monde d’aujourd’hui.
Nous avons régulièrement des nouvelles et des témoignages de l’intérieur des écoles qui montrait la présence persistante, et en augmentation régulière, du mal-être étudiant : consommation d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques, comportements à risques, alcoolisation, et un bien-être qui diminuait de la première à la cinquième année (ancienne nomenclature). Nous connaissons aussi le taux de boursiers, qui se situe aux alentours du tiers des élèves. En conséquence, nous nous sommes occupés de collecter et rassembler toutes les aides prosaïques qui pouvaient servir aux étudiants (Retrouvez le document pdf de Vétos-Entraide sur http://www.bit.ly/3J0FLMU)
Dans le même temps, Vétos-Entraide et l’Ordre se sont mis d’accord avec les ENV pour s’intéresser en profondeur aux fortes baisses de moral des étudiants dans le cadre d’une étude universitaire en psychologie sociale avec le professeur Truchot de l’université de Franche-Comté. Des recherches qualitatives et quantitatives sont en cours mais ne permettront une analyse que dans deux ans environ. Une étude jumelle, financée et longuement travaillée en amont par VE et l’Ordre, a été réalisée pour les professionnels de toute origine vétérinaire et de son côté en cours d’analyse.
Les premiers pas dans le métier sont difficiles aujourd’hui. La surcharge de travail, la difficulté à concilier vie privée/vie professionnelle, la pression de performance exercée par les clients ou les employeurs, l’inadéquation entre la réalité et l’idée que les étudiants se font de l’exercice vétérinaire, l’isolement ressenti lors du passage de la vie étudiante au premier emploi ainsi que l’importance de l’image sur les réseaux sociaux sont source de grande souffrance chez les jeunes professionnels et sont responsables de nombreuses reconversions subies. Les étudiants sont déjà éprouvés par la charge de travail demandée actuellement dans les écoles et anticipent pour certains les difficultés qu’ils vont rencontrer ensuite, certains d’entre eux envisagent d’arrêter leurs études avant même d’être diplômés. D’autres sont saisis par la différence entre le métier qu’ils avaient rêvé et la réalité lors de leurs débuts dans la profession.
En quoi consiste le mentorat ?
Le mentorat a pour but de développer le savoir-être et le savoir-devenir des étudiants certes mais aussi continuer le développement de vie des mentors. Le mentorat repose sur des échanges égalitaires, un partage d’expériences où il n’y a pas d’enjeux réels sinon celui d’avoir progressé humainement.
Le mentorat est une relation d’aide bénévole basée sur le volontariat, bénéfique pour le mentoré ou la mentorée et pour le ou la mentor.
La bienveillance, la confiance et l’écoute sont indispensables afin de permettre la liberté des échanges, et que les mentorés puissent voir émerger leur propres solutions à leurs problématiques. En effet, le mentoré doit conserver et développer son autonomie et le mentor n’a pas à apporter des solutions conseil qui ne seraient pas adaptées. Il s’agit d’un accompagnement sur mesure.
Qui peut être mentor ?
Tous les vétérinaires, praticiens, ispv, personnels enseignants… peuvent être mentors.
La diversité des différents parcours professionnels vétérinaires est une richesse au sein de la relation mentorale car il s’agit de l’édification de savoir-être et pas seulement de savoir-faire.
Ce qui est important c’est de savoir écouter et/ou questionner, de permettre au mentoré de prendre du recul et lui proposer d’autres angles, d’autres points de vue pour qu’il analyse sa propre situation puis trouve ses propres solutions, d’être capable d’identifier des croyances et des rigidités l’empêchant de développer sa réflexion et ses possibilités d’actions.
Le mentorat existe-t-il déjà dans d’autres pays ?
Les lectures que nous avons pu avoir et les entretiens avec des responsables de programme de mentorat nous ont montré que les échecs de très beaux projets ont été nombreux : en Grande-Bretagne, au Québec, en Belgique, tant dans le monde vétérinaire que dans nombre d’autres cursus universitaires. Nous avons compris qu’il nous fallait d’abord convaincre les étudiants que l’investissement en temps et en énergie dans un programme de mentorat serait « payant » par la suite, puis leur exposer les bénéfices à être mentorés, pour eux, comme pour leur mentor et pour la profession en général.
Nous avons saisi l’importance d’encadrer la relation de mentorat entre nos étudiants et les vétérinaires diplômés afin de garantir une éthique du programme en rédigeant une charte du mentorat d’une part, et en établissant un cadre de fonctionnement garantissant un investissement réciproque, d’autre part.
Que diriez-vous à un mentor qui hésite à se lancer ?
De manière générale le mentorat apporte au mentor le plaisir de contribuer à l’évolution du ou de la mentoré, l’occasion d’améliorer sa capacité d’écoute et ses compétences en communication, une meilleure connaissance des jeunes et des problèmes auxquels ils ou elles font face, le perfectionnement de ses propres pratiques (reverse mentoring), la satisfaction liée au sentiment d’être utile à quelqu’un, la reconnaissance et la gratitude reçue.
Le mentor ou la mentore va pouvoir : prendre du recul par rapport à sa propre trajectoire, ses propres choix, s’enrichir des différences de sa ou son mentoré, réinterroger sa façon de penser, développer des compétences d’écoute, de reformulation, de questionnement, apprendre à contribuer sans donner de solutions, découvrir ou redécouvrir le plaisir de la communauté, de l’entraide gratuite.
Les cahiers du mentorat
Véritables guides de la relation mentorale, le Cahier du mentorat vétérinaire, avec une édition Pour les élèves et les jeunes vétérinaires et une Pour les mentors, offre un fil conducteur, un cadre sécurisant et des ressources documentaires aux équipes.
Après une rapide définition de ce qu’est le mentorat, la précision de ce qu’il n’est pas et un aperçu de ce qu’une relation mentorale peut apporter aux deux protagonistes de l’équipe, ces cahiers viennent retracer les étapes importantes de la construction de ce lien particulier et ce qui en fait la qualité. L’écoute bienveillante, la confidentialité, la confiance, le respect mutuel et le bénévolat en sont des piliers indispensables. Vous y trouverez aussi une préparation à la première rencontre, un contrat d’engagement réciproque à respecter les valeurs du mentorat, à s’y impliquer durablement, un guide pour évaluer les progrès réalisés ou les difficultés rencontrées, une mise en garde sur les dérives possibles et quelques thématiques relatives aux aspirations sociétales et aux besoins du monde du travail. Le mentorat se doit, pour être efficace, de rester profondément éthique. Il n’est pas question, sous couvert d’aider son prochain pour se lancer dans la vie active ou même pour traverser ses études et les choix qui les accompagnent, de venir recruter ou de chercher à en tirer un quelconque profit personnel. Ce serait tromper des jeunes en quête de lien, de soutien et de compréhension.
Ces cahiers ne se veulent pas exhaustifs mais seront évolutifs au gré des travaux réalisés par l’association, au fil des échanges avec les jeunes consœurs et confrères. Ils constituent un tuteur à la relation mentorale, qui reste unique pour chaque équipe formée. Ces Cahiers sont disponibles librement sur le site de Vétos-Entraide1. Vous pouvez les partager à votre guise et bien entendu nous faire profiter de ce qu’ils vous inspirent, ainsi que nous transmettre vos observations et vos suggestions.
Marie Babot et Thierry Jourdan