Gastro-entérologie
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Gwenaël Outters Conférencière Amélie Leclerc, dipl. ACVIM, praticienne au Centre vétérinaire Daubigny, Québec, Canada Article rédigé d’après une conférence présentée au e-congrès de l’Association des médecins vétérinaires du Québec (AMVQ) en pratique des petits animaux, qui s’est déroulé du 23 avril au 2 mai 2021.
Une entéropathie chronique est une diarrhée perdurant depuis plus de 3 semaines. Trois types sont décrits, indifférenciables cliniquement sans test ou essai thérapeutique : celles répondant à la diététique, aux anti-inflammatoires ou aux antibiotiques.
Le microbiote est un mélange dynamique de micro-organismes qui varie en fonction de la diététique, des médicaments, de la portion d’intestin et de l’individu. Le microbiome est le bagage génétique de ces micro-organismes. Il comporte 10 fois plus de bactéries que de cellules et 100 fois plus de gènes que dans le corps. L’intestin est un écosystème composé d’un microbiote, de cellules du corps et de nutriments. La diversité intestinale est un élément de la santé. Plus elle est grande, plus elle assure stabilité et résilience face aux changements.
Les fonctions du microbiote sont multiples :
- interactions adéquates entre le système immunitaire et la flore intestinale ;
- homéostasie énergétique et métabolique ;
- synthèse de vitamines, de nutriments par fermentation des glucides complexes et d’acides gras à chaîne courte (source d’énergie, régulation de la motilité, renouvellement des cellules épithéliales et effets anti-inflammatoires) ;
- signalisation endocrinienne (la sérotonine est par exemple fabriquée à 80 % par le tryptophane au niveau digestif) ;
- prévention de la colonisation pathogène ;
- transformation des acides biliaires primaires (inflammatoires) qui échappent à la recirculation entéro-hépatique en acides biliaires secondaires (anti-inflammatoires) dans le côlon grâce à Clostridium hiranonis.
Les études confirment que les maladies digestives sont associées à une dysbiose. La méthode idéale pour diagnostiquer une dysbiose serait l’association de tests moléculaires incluant une PCR pour identifier l-es bactéries, des tests sur biopsie (FISH) pour visualiser la translocation dans l’épithélium et des profils des métabolites fécaux (ex : acides gras, indoles, acides biliaires secondaires, lactates, etc.).
L’index de dysbiose (DI) est un outil diagnostic développé chez le chien, mais pas chez le chat. Il s’agit d’une PCR qui quantifie l’abondance de 8 groupes bactériens, exprimée en chiffre (DI < 0 : normal, > 2 : dysbiose, entre les 2 : zone grise, qui nécessite de répéter le test quelques semaines plus tard). Le DI est plus élevé à la naissance et devient similaire aux adultes à partir de 16 semaines. Lorsqu’il est supérieur à 2, la recherche de C. hiranonis est intéressante. Si elle est présente en quantité normale, l’augmentation du DI peut être due à l’utilisation d’un inhibiteur de la pompe à protons (oméprazole) ou une diète BARF (os ou viande crue). Si elle est diminuée, l’augmentation indique une entéropathie chronique, une insuffisance pancréatique ou l’utilisation d’antibiotiques comme le métronidazole ou la tylosine.
Le syndrome clinique est caractérisé à l’aide d’une anamnèse complète (traitements entrepris, résultats, alimentation, facteurs environnementaux, etc.), d’un examen physique complet avec notamment un toucher rectal, de tests de laboratoire de base (bilans sanguin et urologique) et d’une analyse des selles. Parfois, des tests sanguins plus poussés sont requis (stimulation à l’ACTH, TLI, cPL/fPL). Ensuite, l’imagerie est proposée : radiographie, échographie, endoscopie ou réalisation de biopsies par laparotomie (qui ont l’avantage d’être en pleine épaisseur).
L’utilisation d’antibiotiques lors d’entéropathie chronique mérite une réflexion à la lumière des déséquilibres du microbiote et du métabolisme qu’ils induisent. En effet, ils altèrent de façon notable et durable (plus de 28 jours après l’arrêt du traitement) le microbiote avec un DI augmenté et une augmentation des acides biliaires primaires (inflammatoires). La composition originale n’est souvent jamais récupérée. Par ailleurs, les rechutes sont fréquentes et poussent parfois à prescrire des petites doses d’antibiotiques à des intervalles inadéquats ou à fractionner les administrations. De plus, tout ceci concourt au développement de l’antibiorésistance. La prescription a parfois été justifiée par le fait que le métronidazole augmente l’épaisseur de la couche de mucus intestinal, les populations de Bifidobacterium et réduit les dommages oxydatifs du côlon, tandis que la tylosine a un effet anti-inflammatoire, en modulant la cyclo-oxygénase 2 et d’autres cytokines. La conférencière soulève la question de savoir si, dans ce cas, les anti-inflammatoires stéroïdiens ne seraient alors pas plus adaptés. Les diarrhées répondant aux antibiotiques ont finalement une faible incidence, de 8 à 16 % selon les études, tandis que 50 % des cas de diarrhée répondent à un changement alimentaire. Pourtant, 50 à 70 % des patients présentant une diarrhée sont traités avec des antibiotiques, alors que seulement 3,2 % subissent des tests préalables de recherche d’agents infectieux.
Notre consœur propose donc une approche diagnostique et thérapeutique tournée vers le microbiote, en évitant les antibiotiques empiriques et en travaillant sur l’alimentation, les pré et probiotiques et la transplantation fécale. Les antibiotiques à spectre spécifique doivent être prescrits judicieusement, si le diagnostic le justifie (inflammation systémique, neutropénie importante, colite granulomateuse).
Alimentation
Le changement alimentaire est le premier outil thérapeutique : 50 % des chiens et 60 % des chats répondent au changement alimentaire dans les 2 semaines. Après avoir identifié et trié tout ce que l’animal mange (y compris les « indiscrétions » alimentaires), le régime proposé est adapté à l’individu, la génétique et l’environnement. L’approche s’appuie sur la méthode de « l’essai-erreur ». Le nouvel aliment doit faciliter l’absorption des nutriments en étant hautement digestible, ajusté en fibres et faible en gras. Lors de diarrhée chronique, les lipides sont faiblement absorbés dans l’intestin grêle et se retrouvent en grande quantité dans le côlon, où ils créent un déséquilibre (sauf chez le chat). La charge antigénique est diminuée par l’utilisation de protéines nouvelles ou hydrolysées. Les fibres (plutôt solubles et non fermentescibles) aident à maintenir l’intégrité de la barrière mucosale et la motilité intestinale. Enfin, les « extras » doivent être supprimés. Une réponse positive est attendue en 10 à 14 jours. Dans ce cas, l’aliment est maintenu au moins 14 semaines. Dans le cas contraire, un autre aliment est essayé.
Prébiotiques
Un prébiotique est un ingrédient non digestible qui apporte un bénéfice à l’animal en stimulant de façon sélective la croissance ou en activant le métabolisme d’une ou plusieurs bactéries promouvant la santé du tractus intestinal. Les prébiotiques les plus étudiés sont les fructo-oligosaccharides (FOS) et les manno-oligosaccharides (MOS) : pulpe de betterave, inuline, chondroïtine sulfate… Il y a peu de données scientifiques mais les études montrent que les prébiotiques augmentent les acides gras volatils fécaux, la surface d’absorption, la proportion supérieure de Lactobacillin par rapport à C. perfringens et ont un effet protecteur contre Salmonella chez le chiot.
Probiotiques
Les probiotiques sont des micro-organismes vivants qui, s’ils sont donnés en quantité adéquate, apportent un bénéfice sur la santé de l’hôte. Ils assurent la production de métabolites et de peptides antimicrobiens, et l’homéostasie de la muqueuse (qui a un effet sur les jonctions serrées). Leur effet bénéfique s’arrête à la fin de l’administration et ils ne sont pas faits pour coloniser l’intestin. Ils sont fabriqués à partir de laits fermentés. La réponse varie entre les individus, selon les situations et le probiotique utilisé. Aucune étude comparative n’existe quant à l’efficacité, la sécurité ou la facilité d’administration des différents probiotiques commercialisés. Notre consœur conseille Fortiflora (100 millions CFU/sachet), Proviable1 (pré + probiotiques, 5-10 milliards CFU/capsule) ou Visbiome1.
Transplantation fécale
Homologuée chez l’humain pour le traitement des infections récurrentes à C. difficile, cette technique est de plus en plus étudiée pour les animaux de compagnie. La littérature s’y intéresse dans les cas de C. difficile, de diarrhée post-sevrage, d’infection au parvovirus ou de diarrhée chronique réfractaire aux autres traitements.
Les donneurs doivent être sélectionnés minutieusement : jeunes entre 1 à 7 ans, en bonne santé, non obèses, vaccinés, sans atopie ou allergie alimentaire, sans problème digestif, sans traitement antibiotique dans les derniers 3 à 6 mois, sans diète ou friandises à base de viande crue et sous traitement anti-parasitaire régulier. Le programme de dépistage des donneurs n’est pas universel mais les tests le plus souvent recommandés sont une PCR de selles incluant Salmonella, Campylobacter, C. difficile, ELISA pour Giardia et une coprologie négative une semaine avant la récolte.
Le protocole est simple : les selles sont recueillies le matin à raison de 70 g pour un grand chien ou 2-2,5 g/kg du receveur. Elles sont mélangées à une solution saline non bactériostatique à raison de 1 partie de selles pour 4 parties salines. Le mélange est passé à la passoire pour enlever les grosses particules. Il est administré (sous sédation légère si besoin) à l’aide d’un tube à lavement, d’une sonde de Foley ou d’un cathéter orange dans le côlon, le plus loin possible, lentement. La procédure doit être arrêtée encas d’inconfort. Afin d’atteindre l’intestin grêle, le mélange peut être administré sous endoscopie ou per os. Un seul traitement peut suffire mais, dans certains cas, plusieurs sont requis.
Cobalamine (vitamine B12)
Une déficience en cobalamine (vitamine B12) est souvent associée à la diarrhée chronique et peut faire perdurer les troubles digestifs malgré la mise en place des traitements. Le taux sérique doit être vérifié. La supplémentation est administrée par voie sous-cutanée ou per os : débuter par des injections (1 par semaine pendant 6 semaines, puis 1 par mois) pour s’assurer de l’absorption adéquate, puis prendre le relais per os pendant 12 semaines. À la fin de la supplémentation, le taux sérique doit être supérieur à la normale, sinon le traitement est poursuivi.
Chaque patient est différent. Son microbiote lui est propre et répond différemment aux traitements mis en place. Les connaissances amènent à revoir les cas de diarrhée chronique, surtout l’usage empirique des antibiotiques, avec un grand intérêt pour l’identification des bactéries et de leurs métabolites.