DOSSIER
Auteur(s) : Lorenza Richard
La désertification vétérinaire des territoires ruraux, notamment la pénurie de vétérinaires sanitaires, pose des questions en matière de surveillance des maladies animales et de réactivité en cas de crise. Les missions liées à l’habilitation sanitaire ou au mandatement vont-elles évoluer, ou pourraient-elles être ouvertes à d’autres organismes ? Quelles mesures sont envisagées pour faire face à ce problème ?
La question de l’ouverture, ou du mandatement, des missions liées à l’habilitation sanitaire à d’autres organismes, notamment en cas de crise sanitaire, « ne peut être ignorée, même si la loi permet à titre exceptionnel, en cas de crise sanitaire grave ou de situation particulière, de recourir à l’intervention d’autres personnes que les seuls vétérinaires sanitaires », déclare Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires. Notamment, « les organismes à vocation sanitaire (OVS) peuvent être mandatés pour la gestion de certaines maladies », précise Christophe Brard, président de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires. Certains vétérinaires employés par des groupements de producteurs sont habilités et peuvent également, si nécessaire, être mandatés. De plus, « le manque de vétérinaires ruraux dans certaines zones accroît les difficultés pour l’administration qui peut se voir amenée, dans des cas extrêmes, mais en nombre croissant, à réaliser les opérations de prophylaxie sanitaire en lieu et place des vétérinaires ruraux », répond le Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV). Il précise toutefois que « cela n’est pas souhaitable car les missions qui seraient susceptibles d’être " rendues " à l’administration (visites sanitaires annuelles, prophylaxies, par exemple) sont celles qui permettent au vétérinaire sanitaire de venir dans les exploitations pour assurer un suivi qualitatif au long cours et pas uniquement dans un cadre de médecine d’urgence. Ainsi, ces missions favorisent le maintien du maillage vétérinaire dans les territoires ruraux ». De son côté, Jacques Guérin ajoute qu’il lui paraît « une illusion de vouloir confier les missions dévolues aux vétérinaires sanitaires à un organisme qui serait à la fois en situation d’évaluer le risque, de gérer le risque, d’être opérateur du risque et in fine certificateur du risque, sans remettre en question le système sanitaire français dans sa globalité. J’y vois un risque sérieux en considération des engagements sanitaires de la France vis-à-vis de la Commission européenne, plus largement au regard des échanges commerciaux internationaux ». Enfin, Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, estime qu’il faut « se garder de trouver de fausses solutions à de vrais problèmes. Il faut maintenir un maillage territorial de proximité, seule organisation efficace et réactive pour gérer les crises ».
Cependant, notre confrère ajoute que « cette présence locale ne persistera que si l’activité libérale est viable. Sur ce socle, les vétérinaires sont capables de s’engager à assurer les missions assignées par l’État, les missions régulières de surveillance et la disponibilité en cas de crise sanitaire. Mais cet engagement doit être rémunéré en temps de paix pour pouvoir le mobiliser en temps de guerre. Le modèle historique de la rémunération par les actes, dont le nombre réduit d’année en année et c’est heureux, est désormais obsolète ». Le SNISPV explique qu’il y a quelques années, « l’administration avait envisagé des tarifs nationaux de prophylaxie basés sur des éléments de comptabilité analytique des structures vétérinaires et la prise en compte de facteurs locaux uniquement dans des cas très particuliers (montagne, désert vétérinaire, etc.). Cela ne s’est pas encore concrétisé. De même, la rémunération des actes de police sanitaire sur les animaux de compagnie est devenue un problème ». Christophe Brard constate également que « les actes liés à l’habilitation sanitaire diminuent car la situation sanitaire s’améliore, ce qui est positif en soi, sauf que ces actes ne représentent plus 30 % du chiffre d’affaires, comme cela a pu être le cas dans le passé, mais moins de 5 % désormais. Il y a donc moins d’actes rémunérateurs, mais autant de travail de surveillance, qui n’a jamais été rémunéré, et de plus en plus de contraintes administratives. Ce modèle ne peut donc plus tenir ».
Ainsi, Laurent Perrin nous assure qu’« une contractualisation de l’habilitation sanitaire est indispensable entre vétérinaires, État et éleveurs. Le moment est venu de rénover un système maintenant à bout de souffle ». Cette contractualisation fait consensus au sein de la profession. Christophe Brard convient en effet également que « nous devons réfléchir, avec la Direction générale de l’alimentation, à une contractualisation avec l’État, par exemple au prorata du nombre d’animaux suivis par le vétérinaire sanitaire. Le praticien peut assurer la police sanitaire dans l’élevage en étant rémunéré à l’année pour son travail d’épidémiosurveillance ». Enfin, pour Jacques Guérin, « l’expérience de la médecine humaine plaide pour une approche par le volontarisme et par un exercice professionnel motivant et pérenne dont la contractualisation de la relation éleveur-vétérinaire est un socle ». C’est pourquoi « les travaux sur le suivi sanitaire permanent doivent être relancés, en liaison avec la délégation d’actes vétérinaires : ce sont deux chantiers complémentaires qui doivent être traités en parallèle », précise Christophe Brard. Il ajoute que « nous devons faire évoluer le bilan sanitaire d’élevage, qui date de 2007, et le rendre plus opérationnel, moins administratif et chronophage. Tout cela s’articulera autour du contrat de soins éleveur-vétérinaire, sujet sur lequel nous devons avancer ». Enfin, une évolution vers un accès facilité aux données des élevages par les vétérinaires est indispensable pour qu’il assure ses missions. Pour Christophe Brard, « Vetelevage, logiciel de la SNGTV, a établi des passerelles avec les logiciels éleveurs en filière bovine, dans un partenariat gagnant-gagnant, et l’on doit développer ce schéma car les vétérinaires ont besoin de visibilité quant à leurs interventions dans les élevages où ils assurent le suivi sanitaire permanent. La balle est dans le camp des organisations agricoles, qui doivent nous dire de quels vétérinaires elles auront besoin demain ».
Témoignage
Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV)
La collaboration entre vétérinaires sanitaires et administration est essentielle
Le partenariat entre les vétérinaires sanitaires et l’administration est indispensable à l’exercice des missions de santé publique vétérinaire, que ce soit pour détecter au plus tôt les maladies réglementées, émergentes ou non, pour lutter contre celles-ci ou pour agir contre la maltraitance animale. De plus, ce partenariat est indispensable en santé publique vétérinaire, quel que soit le maillage. Pendant des décennies, cette collaboration était encadrée notamment par le mandat sanitaire, indispensable en clientèle tant pour les animaux de compagnie (lutte contre la rage) que pour les animaux de rente (prophylaxies collectives et lutte contre les maladies réglementées). L’inspection en abattoirs qui, jusqu’aux années 70, relevait des autorités municipales, était le plus souvent assurée par des vétérinaires praticiens. Depuis, ces derniers interviennent dans les abattoirs de petite dimension comme contractuels à temps partiel de l’État. Les vétérinaires sanitaires agissent eux dans le domaine de la certification officielle. L’activité libérale de vétérinaire praticien ne doit pas interférer sur les missions d’inspection en abattoir. À l’inverse, en cas de manque de vétérinaires ruraux, l’administration peut être amenée à réaliser des opérations de prophylaxie. Cependant l’envisager de façon plus pérenne nécessiterait des moyens nettement supérieurs à ceux aujourd’hui disponibles dans les DDETSPP, et cela n’est pas souhaitable pour assurer un suivi qualitatif au long cours des exploitations par les vétérinaires sanitaires. De plus, la récente loi contre la maltraitance animale* prévoit la levée du secret professionnel des vétérinaires praticiens, ainsi que la déclaration à la DDETSPP des actes de maltraitance animale qu’ils seraient amenés à constater. Cette loi devrait notamment renforcer les relations entre les vétérinaires canins et les DDETSPP. Malheureusement, du fait de l’insuffisance des moyens, la nécessaire mission d’animation, par ces dernières, du réseau des vétérinaires sanitaires est de moins en moins assurée, notamment lorsqu’il n’y a pas d’ISPV dans l’équipe de direction. Une partie de cette mission est maintenant souvent assurée par les GTV qui organisent également des formations des vétérinaires sanitaires, voire des diffusions d’informations et de la veille réglementaire.
Jocelyn Marguerie
Président de la commission aviaire de la SNGTV et praticien en production avicole à Bressuire (Deux-Sèvres)
Les missions des vétérinaires sanitaires sont nombreuses lors de crises, notamment dans le contexte actuel dramatique d’influenza aviaire hautement pathogène. Ils confirment les suspicions avec des éléments techniques et cliniques, font le choix des bons prélèvements et s’assurent que le diagnostic de certitude soit établi dans les meilleurs délais. Ils ont également la responsabilité de garantir que seuls les lots sains partent à l’abattoir. Enfin, ils ne sont pas de simples exécutants, mais sont porteurs de solutions techniques, par exemple pour le dépeuplement des lots malades en coordination avec les services de l’Etat, ils s’adaptent afin de répondre à la situation de chaque éleveur et à la nécessité de protection animale.
Ils sont aussi porteurs de solutions sanitaires, notamment concernant des protocoles de décontamination particuliers des foyers au niveau local, qui peuvent être étendues au niveau national. Il est essentiel que ces missions soient réalisées par des vétérinaires, car nous disposons de l’expertise clinique et d’une indépendance déontologique liée à notre mandat. Nous arrivons à les assumer, même si nous sommes lourdement sollicités. L’administration reconnaît l’apport des vétérinaires sanitaires et le fonctionnement est bon avec les structures locales et régionales. Une de nos missions moins officielle, mais d’une grande importance, est d’être la courroie de transmission entre les professionnels de l’élevage et l’administration, et de conseiller les deux parties. C’est notre vision transrégionale qui nous permet de proposer l’homogénéisation des protocoles. De même pour le financement des missions : en temps de crise, nous sommes correctement dédommagés, même si le délai est parfois supérieur à un an.
Le modèle Français fait ainsi ses preuves, cependant il devrait être valorisé en « temps de paix ». En effet, le financement du service vétérinaire par nos clients éleveurs ou organisations de producteurs a beaucoup diminué. Il est important que l’administration prenne conscience que le maillage vétérinaire doit être mieux financé en temps de paix, afin d’avoir des ressources en praticiens pour intervenir rapidement en temps de crise. Actuellement, seule la visite sanitaire avicole, réalisée une fois tous les deux ans, est financée, et cela est déconnecté des besoins. Notre rôle dans la prévention est un enjeu d’avenir.
Définitions : habilitation sanitaire vs mandatement sanitaire
L’habilitation d’un vétérinaire sanitaire est nécessaire pour les actes imposés par la réglementation et rémunérés par l’éleveur.
Le mandatement permet à l’administration de confier des actes aux vétérinaires au titre de la santé animale, de la protection animale ou de la certification d’échanges intracommunautaires ou à l’exportation.
L’indépendance en question
L’intégration de structures vétérinaires dans des grands groupes de cliniques peut-elle poser un problème d’indépendance lors des missions sanitaires ?
Cette question pourrait en effet se poser, notamment pour les vétérinaires qui seraient sous le contrôle hiérarchique de groupes qui appartiennent à des industries alimentaires, par exemple. Cependant, « l’habilitation sanitaire est individuelle ou par structure et fait partie du contrat avec l’État », déclare Christophe Brard. De plus, « l’actuelle réglementation, à travers l’article R241-17 du Code rural et de la pêche maritime, protège les vétérinaires, quelle que soit leur structure capitalistique, des pressions éventuelles des acteurs de l’amont ou de l’aval qui auraient intérêt à aliéner leur indépendance dans leur mission de santé publique », explique Laurent Perrin. Cela est confirmé par Jacques Guérin, selon qui, « dès lors que cet article est correctement appliqué, alors l’indépendance professionnelle des praticiens n’a pas de raison objective d’être aliénée. Il s’agit d’une question sensible que l’Ordre des vétérinaires analyse au cas par cas ». (Lire également page XX de ce numéro).