Approches thérapeutiques de l’infertilité de la vache laitière - La Semaine Vétérinaire n° 1943 du 06/05/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1943 du 06/05/2022

Conférence

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Clothilde Barde

Article (partie 2) rédigé d’après la conférence en ligne donnée par Sylvie Chastant (enseignante-chercheuse en reproduction, ENVT) le 25 mars 2022 (réseau Vétoccitan).

L’infertilité est un problème fréquent chez les vaches laitières, face auquel le vétérinaire est souvent démuni. La Pre Chastant a proposé plusieurs pistes de solutions.

Une autre piste de traitement de l’infertilité des vaches laitières consiste à modifier la technique d’insémination artificielle. Ainsi, comme l’a étudié l’équipe de Senger (1988), au lieu de faire le dépôt de la semence dans le corps utérin, le vétérinaire peut inséminer du côté du follicule pré-ovulatoire (insémination intracornuale). « Cependant en termes d’efficacité cela ne sert pas à grand-chose car, selon une synthèse de plusieurs essais réalisée par Diskin (2018) 1, on constate seulement une hausse de 6 points de taux de réussite à l’IA avec cette technique, les spermatozoïdes passant quand même rapidement d’une corne à l’autre (analyse Inrae) » a noté la conférencière. Il existe également des cathéters souples (Xtremia) qui permettent de déposer la semence à l’apex de la corne utérine et les études Xtremiamontrent que, sur 617 inséminations de vaches montbéliardes à trois inséminations artificielles et plus, le taux de réussite de l’IA est augmenté de 8 points en insémination profonde. Par conséquent, en inséminant du côté du follicule pré-ovulatoire et proche de l’ovocyte, les résultats semblent donc être meilleurs, mais cela s’explique probablement essentiellement, selon la conférencière, par le fait que la présence d’un follicule préovulatoire est systématiquement vérifiée avant toute insémination profonde.

L’éleveur peut également avoir recours à d’autres types de paillettes (paillettes avec sperme inclus dans un gel d’alginate) permettant aux spermatozoïdes de survivre plus longtemps, même si le moment d’insémination n’est pas optimal par rapport au moment de l’ovulation. Dans une étude Spermvital3 réalisée aux Pays-Bas, on a constaté un gain de 40 points sur les vaches en quatrième IA et de 25 points sur celle en cinquième et plus. Une autre étude plus récente faite sur des Prim’Holstein en Italie montre un gain de 10 points seulement. Enfin, un dernier essai, diffusé par l’entreprise (2020) et réalisé sur une cohorte autrichienne de 4 500 vaches, montre une amélioration de 9 points sur les vaches à trois inséminations artificielles et plus. Enfin, l’éleveur peut prendre des paillettes contenant le sperme de plusieurs taureaux (hétérospermie) mais le nombre de points d’amélioration reste très limité.

Le vétérinaire peut également agir sur la reconnaissance maternelle de la gestation. Ainsi, une particularité des bovins est que l’embryon se développe en longueur dans les deux cornes utérines (à 20 jours il fait 40 cm de long). Il peut alors synthétiser sur toute sa longueur, en regard de l’endomètre de la vache, de l’interféron-tau (signal embryonnaire de la gestation) à l’origine de l’inhibition de la production de prostaglandine F2 alpha par la vache. Or, cet allongement de l’embryon, essentiel, est déclenché par la présence de progestérone, hormone qui fait souvent défaut chez les vaches laitières hautes productrices pendant la première semaine (insuffisance lutéale par exportation de l’hormone dans la matière grasse du lait). Un des facteurs stimulant la production de progestérone est la LH (hormone lutéinisante), mais cette dernière n’existant pas sous forme injectable, elle peut être remplacée par de l’hCG (hormone gonadotrophine chorionique). Le protocole consiste alors à injecter de l’hCG le cinquième jour après l’insémination pour booster la progestéronémie de la première semaine. Si l’on compare le taux de réussite au-delà de la troisième IA de vaches non traitées à celui observé chez des vaches traitées, on constate que le taux de gestation est plus élevé4. Par ailleurs, comme l’a indiqué la conférencière, une autre option consiste à ajouter de la progestérone sous la forme de dispositif intravaginal en postovulatoire. Une méta-analyse5 montre que, sur des troupeaux présentant une fertilité dégradée, l’implantation du dispositif du troisième au cinquième jour après l’insémination jusqu’à la fin de la première semaine permet d’augmenter le taux de réussite à l’IA avec un odd ratio supérieur à 2 (OR ou rapport des chances) ; l’amélioration dans la population générale est non significative (OR : 1,15). Cette technique est particulièrement intéressante sur des vaches synchronisées au départ.

Une autre technique de traitement de l’infertilité de la vache laitière consiste à avoir recours à un « embryon thérapeutique ». Dans ce protocole, suite à l’insémination, pour remédier à la carence éventuelle de production d’interféron, un « embryon carrier », non valeur économique, est implanté dans la vache le septième jour pour produire l’IFN (interféron gamma) sur la période critique. Selon l’étude réalisée par Yagunima (2019) 6, l’utilisation d’un tel embryon, dont la production se fait in vitro, augmente le taux de réussite de la gestation jusqu’à 50 % (vs 23 % chez les animaux témoins). Cette technique conduit toutefois en moyenne à 18,4 % de grossesses gémellaires. De même, les travaux de Canu (2010) 7 ont révélé que des vaches à trois inséminations ayant reçu un « embryon carrier » suite à l’IA ont un taux de gestation de 52 %, ce qui est similaire aux résultats obtenus sur des vaches saines avec transfert d’embryon seul. Cependant, comme l’a fait remarquer la Pre Chastant, « la question qui se pose alors est de savoir quel embryon prendre ? En effet, il ne doit pas être trop cher à produire, et actuellement seuls les embryons produits in vivo et non utilisés (fond de cuves des schémas de sélection) ou embryons écartés après tri génétique pourraient être utilisés ». En ce qui concerne le transfert, il doit être réalisé par un vétérinaire ou un inséminateur possédant un agrément au transfert d’embryons. « Cette manipulation coûte quand même 90 euros, auxquels il faut ajouter le prix de l’embryon » ajoute la Pre Chastant.

De même, réservée à de très bonnes vaches infertiles car onéreuse, la superovulation suivie de la collecte des embryons peut permettre d’obtenir de bons résultats à l’insémination suivante. Ce procédé permet, selon la conférencière, soit par le flushage de l’utérus, soit par stimulation ovarienne, de redéclencher un fonctionnement normal des ovaires ensuite. Enfin, pour les vaches à haute valeur génétique, des ponctions folliculaires peuvent être effectuées sous échographie avant de faire une fécondation in vitro (FIV). Cette technique donne de bons résultats comme en témoignent les résultats d’une étude Auriva-ENVT non publiée à ce jour. Cette technique nécessite toutefois que l’éleveur prenne à sa charge la totalité des analyses réglementaires (brucellose, leucose, rhinotrachéite infectieuse bovine (IBR), diarrhée virale bovine (BVD), paratuberculose, néosporose, fièvre catarrhale ovine (FCO), besnoitose, tuberculose) à effectuer sur la vache pour qu’elle obtienne le certificat sanitaire lui permettant d’entrer à la station de ponction. Comme l’a conclu la Pre Chastant, « il existe donc de nombreuses solutions médicales pour faire face à l’infertilité des vaches laitières ; outre les approches médicales, quelques essais prometteurs indiquent également que les médecines alternatives, comme l’ostéopathie, pourraient trouver leur place ».

  • 1. Diskin MG.Animal. 2018 Jun ; 12 (s1) : s75-s84. doi : 10.1017/S1751731118000952
  • 4. Res Vet Sci. 2011 Apr ; 90 (2) : 312-5. doi : 10.1016/j.rvsc.2010.05.025. Epub 2010 Jun 16. Comparison of the effects of gonadotropin-releasing hormone,
  • 5. Efficacy of progesterone supplementation during early
    pregnancy in cows : A meta-analysis
    Leyan Yan a, Robert Robinson b, Zhendan Shi a,*, George Mann
  • 6. TANIKAWA N, MIYAMURA M, TSUCHIYA H, NOGUCHI T, IWATA H, KUWAYAMA T, SHIRASUNA K, HAMANO S. Improvement of fertility in repeat breeder dairy cattle by embryo transfer following artificial insemination : possibility of interferon tau replenishment effect. Journal of Reproduction Development. 2019 ; 65 : 223-229
  • 7. CANU S, BOLAND M, LLOYD GM, NEWMAN M, CHRISTIE MF, MAY PJ, CHRISTLEY RM, SMITH RF, DOBSON H. Predisposition to repeat breeding in UK cattle and success of artificial insemination alone or in combination with embryo transfer. Veterinary Record. 2010 ; 167 : 44-51