Consolidation des établissements de soins vétérinaires en France : la situation actuelle - La Semaine Vétérinaire n° 1943 du 06/05/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1943 du 06/05/2022

DOSSIER

Auteur(s) : Par Lucile Frayssinet (Phylum)

La consolidation des établissements de soins vétérinaires poursuit sa forte dynamique ces derniers mois, laissant entrevoir que la moitié des vétérinaires canins appartiendront à un groupe à l’horizon 2025. L’actionnariat évolue aussi. Point d’étape sur la situation au 1er avril 2022.

On appelle consolidation d’un secteur d’activité le passage d’un grand nombre de petites entreprises indépendantes à quelques groupes importants constitués par rachat des précédentes. Il ne s’agit pas toujours d’un remplacement total, les entreprises indépendantes pouvant conserver une part plus ou moins importante du marché. Dans le secteur vétérinaire, ce phénomène s’est mis en mouvement relativement récemment, à partir de 1994 aux États-Unis, de 1999 au Royaume-Uni et de 2010 dans le reste du monde, notamment en Europe continentale. Dans tous les cas ou presque, de nombreux indépendants persistent et prospèrent aux côtés de groupes consolidés.

Si la France a engagé le processus dès 2010 avec la création de groupes français, la consolidation ne s’est développée que très lentement jusqu’à 2020, année qui marque un point d’inflexion avec une accélération nette qui ne s’est jamais démentie depuis. Après que les groupes internationaux ont investi en France, en 2018, il a donc fallu attendre deux ans pour assister à une bascule des mentalités au profit de tous les consolidateurs, français et étrangers.

Au 1er avril 2022, au moins 12 acteurs significatifs consolident activement les cliniques vétérinaires sur le marché français. Depuis le dernier point à date arrêté au mois d’octobre 20211, au cours des six derniers mois donc, plus de 200 nouvelles cliniques et les 600 vétérinaires qui y exercent ont rejoint un groupe. La figure 1 présente le nombre de cliniques et de vétérinaires au sein de chaque groupe actif, hors Sevetys et Univet, qui n’ont pas souhaité communiquer leurs données.

Après l’acquisition du groupe VetOne, annoncée en octobre 2021 et effective depuis janvier 2022, le leader européen IVC Evidensia a continué sa croissance rapide et renforcé encore un leadership désormais difficilement contestable. IVC Evidensia emploie aujourd’hui un tiers des vétérinaires qui travaillent dans un groupe en France. Au deuxième rang, Mon Véto poursuit sa croissance soutenue pour dépasser maintenant les 100 cliniques et les 300 praticiens. AniCura vient ensuite, qui a accéléré son rythme de croissance avec 20 sites et près de 250 vétérinaires. Tous les autres groupes poursuivent leur développement, notamment Argos ainsi que les derniers arrivés sur le marché, désormais bien implantés, comme VetPartners, troisième groupe international à être entré en France, Qovetia ou Okivét. À noter enfin VPlus, Fovéa et Vets4Vets qui se caractérisent par de fortes implantations régionales, respectivement en Nouvelle-Aquitaine et en Île-de-France pour le premier, en Centre-Val de Loire et Nouvelle-Aquitaine pour le deuxième et en région Provence-Alpes-Côte d’Azur pour le troisième.

Tout au long de son développement, un groupe connaît plusieurs types d’actionnariats.

La première phase correspond à un actionnariat 100 % vétérinaire, le groupe se finançant sur ses fonds propres et en levant de la dette, d’abord auprès des banques classiques, puis, lorsqu’il atteint une certaine taille, auprès de fonds de dette. Le rythme de développement du groupe est alors limité par ses capacités d’endettement. Cette phase peut être plus ou moins longue, de quelques mois à plusieurs années. En France, Mon Véto et VPlus ont un capital 100 % vétérinaire depuis leur création, soit respectivement douze et huit ans.

Lorsque le rythme de croissance externe s’accroît, le groupe mobilise des capitaux importants – essentiellement pour financer ses acquisitions et secondairement pour continuer à investir dans les cliniques qu’il gère – ce qui peut dépasser ses capacités d’endettement. Dans ce cas, le groupe doit lever des fonds propres en faisant entrer un investisseur privé dans son capital. Il existe plusieurs types de fonds d’investissement avec des objectifs de profitabilité et des durées d’investissements variables. Classiquement des fonds de « Private Equity » se succèdent tous les trois à cinq ans au capital des groupes qui affichent de fortes croissances. Les perspectives très favorables du secteur des établissements de soins vétérinaires ont permis d’attirer des fonds d’investissement renommés et importants comme BC Partners au capital de VetPartners. De même, il faut noter la longévité exceptionnelle de la présence d’EQT chez IVC-Evidensia, qui a été permise par la succession de plusieurs fonds au sein d’EQT et qui signe l’attractivité de cette participation au sein du numéro deux mondial et numéro un européen et français du secteur vétérinaire. Il est donc naturel, pendant cette phase de croissance rapide, que l’actionnariat des groupes évolue régulièrement. Plusieurs groupes français pourraient connaître des changements d’investisseurs clés dans les prochaines semaines – notamment Sevetys et Univet – sans que cela influe nécessairement sur leur stratégie ou sur leurs équipes dirigeantes. D’autres opérations ne sont pas à exclure.

Au 1er avril 2022, 9 des 12 groupes actifs sur le marché français financent essentiellement ou partiellement leur croissance grâce à des fonds d’investissement.

La succession de fonds d’investissement peut durer de nombreuses années, tant que les perspectives de croissance laissent augurer une plus-value potentielle au nouvel arrivant. Au-delà, il existe trois sorties possibles. La première est un rachat par l’entreprise elle-même des actions détenues par le dernier fonds, généralement au prix d’un fort endettement ; nous n’avons aucun exemple connu (autre que très transitoire) en médecine vétérinaire. Une autre option est une introduction en Bourse, comme a choisi de le faire par exemple le groupe CVS qui détient des cliniques vétérinaires au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Irlande et qui est coté à la Bourse de Londres. Enfin, troisième possibilité, le rachat par un groupe industriel ou financier qui inclut le secteur des établissements de soins vétérinaires au sein de sa stratégie de développement ; il s’agit dans ce cas d’un investissement à long terme. Le groupe Mars en est le meilleur exemple. Leader mondial avec plus de 15 000 praticiens sur quatre continents, Mars est notamment l’actionnaire d’AniCura et de Linnaeus en Europe.

La forte dynamique de consolidation des établissements de soins vétérinaires sur le marché français, enclenchée au deuxième semestre 2020, se poursuit : 19 % des vétérinaires canins travaillent aujourd’hui pour un groupe, contre 14 % six mois plus tôt et 10 % il y a un an (figure 2). La prévision de Phylum demeure inchangée : 40 % des cliniques et 50 % des vétérinaires canins devraient appartenir à un groupe à l’horizon 2025. Précision supplémentaire : la majeure partie des transactions devraient intervenir en 2022 et 2023, avant de connaître un ralentissement.

Le marché français se trouve dans une situation paradoxale et probablement unique au monde, caractérisée par une consolidation qui accélère et qui a de toute évidence dépassé le point de non-retour, alors même que le cadre juridique du phénomène reste incertain et conflictuel. Ainsi le Conseil d’État devrait se prononcer dans les prochaines semaines sur trois affaires opposant d’une part les trois plus importants groupes actifs en France – rassemblant plus d’un vétérinaire canin sur 10 – et d’autre part le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires. Quelles que soient les décisions prises par la plus haute juridiction administrative du pays, on voit mal comment la profession et son ministère de tutelle pourraient faire l’économie d’une réflexion apaisée sur les modalités d’exercice à même de concilier développement quantitatif et qualitatif du marché, respect de la déontologie et indépendance des praticiens.

  • 1. Voir le dossier de La Semaine Vétérinaire n°1919 du 5 novembre 2021