Incivilités et souffrance
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Bénédicte Iturria
Internet est un terreau parfois fertile aux incivilités, insultes, voire violences faites aux
vétérinaires. Au Royaume-Uni, une campagne de communication pour les protéger des abus sur
Internet vient d’être mise en place. En France, le sujet est aussi une préoccupation. Le bilan
de l’observatoire des incivilités de l’Ordre ainsi que l’enquête sur la souffrance dans la
profession seront dévoilés dans les jours à venir.
Outre-Manche, la British Veterinary Association (BVA) appelle les propriétaires d’animaux à réaliser l’impact de leur comportement sur Internet sur les équipes vétérinaires. Dans le cadre de sa nouvelle campagne Respectez votre équipe vétérinaire - mettez fin aux abus, l’association exhorte les propriétaires à « réfléchir avant de saisir leur clavier » et à tenir compte de l’impact que le harcèlement, le trolling (le fait de laisser un message insultant sur Internet dans le but d’importuner quelqu’un) et les critiques injustes peuvent avoir sur le personnel vétérinaire.
Un(e) praticien(e) sur deux victime d’abus
Les chiffres, publiés à l’occasion de la Journée mondiale des vétérinaires le 30 avril 2022, ont montré qu’un(e) vétérinaire praticien(e) sur deux a été victime d’abus en ligne l’année dernière. De nouvelles statistiques de l’enquête Voice of the Veterinary Profession 1 montrent que ces abus en ligne contre les professionnels vétérinaires sont presque aussi courants que les abus au sein de leur clinique. Dans une autre enquête l’année dernière, 57 % des vétérinaires exerçant en clientèle ont déclaré s’être sentis intimidés par le langage ou le comportement des clients au cours de l’année écoulée, soit une augmentation de dix points depuis que la même question avait été posée en 2019.
Un impact sur la santé mentale
Les types d’abus sur Internet les plus couramment signalés par les vétérinaires sont les commentaires injustes (90 %). 46 % des personnes ayant subi des abus en ligne ont été victimes de violences verbales, tandis que 33 % ont été victimes de trolling. 31 % ont également été harcelés en ligne. Les trois quarts des confrères interrogés ont déclaré que ces expériences avaient eu un impact négatif sur leur satisfaction au travail ou leur motivation, tandis que la moitié a affirmé que cela avait dégradé leur santé mentale. Les vétérinaires ayant subi des abus en ligne au cours des 12 derniers mois ont été plus susceptibles de déclarer qu’ils auront quitté la profession dans cinq ans pour poursuivre une autre carrière (29 % contre 9 % des vétérinaires n’ayant pas subi de malveillance). Ces abus concerneraient plus les femmes vétérinaires (45 % contre 30 % d’hommes) et les vétérinaires plus jeunes (49 % de moins de 35 ans contre 27 % de 55 ans et plus).
Les praticiens du Royaume-Uni ont dû faire face à des pressions sans précédent ces dernières années en raison de l’impact combiné du Brexit, du Covid et d’un boom de la possession d’animaux de compagnie. La présidente de BVA, Justine Shotton, a déclaré : « Les pressions actuelles sur les équipes vétérinaires sont immenses et il est tout simplement inacceptable que leur travail soit rendu encore plus difficile par les abus des clients, que ce soit en ligne ou en personne. Nous sommes bien conscients qu’une visite chez le vétérinaire peut être source d’anxiété et d’incertitude pour les propriétaires d’animaux, en particulier lorsque le pronostic est mauvais ou que le traitement nécessaire est coûteux, mais il est absolument inacceptable de faire subir ces frustrations au personnel vétérinaire. Je demanderai à tous les propriétaires de réfléchir avant de saisir leur clavier et de se demander si leurs commentaires en ligne sont justes, respectueux et courtois. La plupart des clients sont coopératifs et reconnaissants pour les soins que leurs animaux reçoivent, mais une petite minorité crée un environnement intolérable pour les professionnels vétérinaires en personne et en ligne. Je sais par expérience l’énorme impact qu’une seule interaction agressive ou intimidante avec un client peut avoir sur notre bien-être mental. Lorsque les incidents se multiplient, il n’est pas surprenant qu’ils puissent affecter notre sentiment de satisfaction au travail et finalement conduire le personnel vétérinaire qualifié à quitter la profession ».
Remonter les problèmes
La BVA souhaite montrer au public que le stress et l’épuisement professionnel des praticiens sont sérieusement exacerbés par des interactions agressives ou intimidantes avec les clients. Cette campagne est aussi l’occasion de soutenir les vétérinaires en leur proposant de nouvelles ressources visant à se protéger et à limiter la fréquence et l’impact de ces abus en ligne. La BVA a pour cela élaboré un guide sur la manière de protéger le personnel vétérinaire. Ce guide 2 contient notamment des conseils pour répondre aux attaques en ligne de façon sereine, des informations sur le signalement des abus sur les plateformes des réseaux sociaux et la manière de faire remonter les problèmes. Des affiches, des graphiques téléchargeables et une série de blogs sont aussi disponibles.
La ligne d’assistance Vetlife est joignable 24 heures sur 24, 365 jours par an par téléphone ou par e-mail anonyme.
Un niveau important de stress
Corinne Bisbarre, du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, est en charge de la commission sociale de l’Ordre et de l’analyse des données de l’observatoire Ribbens.
Existe-t-il des statistiques sur le type d’abus sur Internet le plus couramment signalé par les vétérinaires ? Percevez-vous une tendance à l’augmentation ?
Notre outil statistique est l’observatoire des agressions et incivilités. Pour 2021, des extraits du bilan de l’observatoire 2020-2021 apportent le détail suivant : « La grande majorité, soit 80,01 % en 2021 des agressions et incivilités est verbale, dirigée contre le vétérinaire ou ses salariés […]. Plus rarement (3,06 % des cas) il s’agit d’agressions physiques : soit 11 en tout sur l’année 2021 […] À titre comparatif, il y a une augmentation de 14 % des agressions verbales entre 2019 et 2020, de 33 % entre 2020 et 2021 ».
Quel est l’impact sur la satisfaction au travail des vétérinaires ?
Le stress chronique lié aux reproches, remarques, incivilités, agressions des clients est l’un des éléments constitutifs du stress professionnel des vétérinaires ; il impacte donc lourdement la santé psychique et psychologique du professionnel ; pour autant, si on regarde l’étude qui va paraître dans les jours à venir, globalement les vétérinaires restent satisfaits de leur travail, ou du moins de l’essence même de celui-ci qui est la santé, animale et publique et le soin aux animaux. L’impact sur la satisfaction au travail est étonnamment assez faible, en revanche, le niveau de stress est très important et va avoir d’autres répercussions sur la vie privée.
Quelles recommandations l’Ordre peut-il proposer pour pallier cette problématique ?
L’Ordre va travailler dessus, avec les autres organisations professionnelles. Parmi les outils, une bonne connaissance de ces réseaux sociaux, de la façon de créer une page Facebook ou autre, afin de gérer les droits d’accès… est une piste déjà connue.
Répondre de façon professionnelle, empathique et bienveillante, mais répondre aux commentaires mis en ligne ; sans rentrer dans le conflit : rester factuel, expliquer, informer.
Éventuellement s’assurer afin de confier la problématique à des équipes spécialisées si l’escalade est importante.
Selon la taille du domicile professionnel d’exercice (DPE), confier la veille à une personne dédiée : contrebalancer les mauvais commentaires par des publications techniques abordables pour les lecteurs, mais qui donnent une image réaliste du DPE.
Si les commentaires sont injurieux, dégradants, faire immédiatement faire un constat d’huissier avec date et heure, puis demander que le commentaire soit retiré, avocat à l’appui, au besoin s’adresser à l’hébergeur ; selon la teneur et la fréquence des commentaires, porter plainte et faire un signalement sur l’observatoire des incivilités ; dans certains cas, le signalement est remis pour avis à la commission de justice, mais l’Ordre ou le syndicat ne pourront jamais porter plainte à la place du vétérinaire : c’est à lui que revient la charge de déposer plainte ; Syndicat et Ordre ne peuvent éventuellement se porter partie civile que si la victime a initié la plainte.
Attention, les délais pour porter plainte sont très courts, il faut donc porter plainte immédiatement.
Enfin, ne pas rester seul, ne pas hésiter à appeler le référent social de son Conseil régional de l’Ordre, l’association Vétos-entraide1 ou la plateforme « soins aux professionnels en santé »2 afin de bénéficier d’une prise en charge bienveillante psychologique.
La campagne d’information de la BVA vous paraît-elle pertinente en France ?
La commission sociale de l’Ordre peut l’envisager. Le bilan de l’observatoire des incivilités va sortir, ainsi que l’enquête sur la souffrance dans la profession. Cela fait partie des pistes préventives à envisager pour donner une suite à ces travaux.