Un consensus sur l’usage des antiprurigineux - La Semaine Vétérinaire n° 1944 du 13/05/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1944 du 13/05/2022

Dermatologie canine

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Jean-Paul Delhom

Plusieurs vétérinaires spécialistes français, avec le soutien de Zoetis, ont publié une synthèse de recommandations de bonnes pratiques d’utilisation des antiprurigineux chez le chien. Elle passe en revue les molécules les plus adaptées, et a contrario déconseillées, lors de situations cliniques fréquentes en pratique courante.

À l’initiative du laboratoire Zoetis, un groupe de plusieurs spécialistes vétérinaires s’est constitué avec l’objectif de proposer une synthèse de recommandations de bonnes pratiques d’usage des molécules antiprurigineuses chez le chien. Elle vient d’être dévoilée à l’occasion d’une conférence de presse qui s’est tenue à Paris le 21 avril dernier. Elle fait aussi l’objet d’une publication librement accessible, dans la revue Veterinary Sciences 1. Cette synthèse est le fruit d’un travail de revue systématique de la littérature avec au total, 120 études (études randomisées contrôlées, études cliniques et séries de cas) retenues. Les recommandations ont été classées suivant le niveau de preuves2 : SoR A (preuves cohérentes et de bonne qualité, orientées vers le patient), SoR B (preuves contradictoires ou de qualité limitée orientées vers le patient) et SoR C (preuves basées sur consensus existant, pratique habituelle, opinion ou séries de cas). Plusieurs situations cliniques, rencontrées fréquemment en consultation, ont été passées en revue : chiens atopiques (en crise ou au long cours, pendant l’induction d’une désensibilisation, lors de tests allergologiques ou d’un régime d’éviction), chiens atteints de maladies parasitaires et chiens en mauvais état général. Cinq types de molécules antiprurigineuses disposant d’une autorisation de mise sur le marché ont été évalués, à savoir les glucocorticoïdes systémiques et topiques, les antihistaminiques, la ciclosporine, l’oclacitinib et le lokivetmab. « Cette étude ne peut pas être considérée comme un blanc-seing pour une utilisation irraisonnée des antiprurigineux, ont prévenu les experts. Ils ne doivent être utilisés qu’après un diagnostic ou lors d’une démarche précise. La gestion du prurit doit être une gestion étiologique. » Attention : la dermatite atopique était le sujet le plus souvent abordé dans les articles.

Des recommandations pour les chiens atopiques

Quels sont les points clés à retenir ? Tout d’abord, lors d’une poussée aigüe de dermatite atopique canine, il est fortement recommandé d’utiliser les glucocorticoïdes systémiques (prednisolone, methylprednisolone – SoR A, prednisone – SoR B et dexamethasone injectable – SoR C), avec des molécules qui réduiront significativement le prurit en quelques heures ou jours. L’oclacitinib et la lokivetmab apparaissent aussi comme des molécules à conseiller (SoR A). A contrario, l’emploi de ciclosporine – qui ne sera pleinement efficace qu’au bout de 4 à 6 semaines de traitement – ou d’antihistaminiques (SoR A) est déconseillé. Pour ces derniers toutefois, étant donné leur action relativement rapide, leur faible coût, et le peu d’effets secondaires rapportés, un usage pour les poussées légères de dermatite atopique pourrait être envisageable, mais sur la base d’un SoR C. Un faible niveau de recommandation a été également relevé pour les glucocorticoïdes topiques, avec un intérêt, dans les études, pour une utilisation en cas de lésions focalisées.

À long terme, les glucocorticoïdes systémiques, par contre, ne sont pas conseillés (SoR C). Il faut viser plutôt les topiques, mais aussi l’oclacitinib, la lokivetmab, ou la ciclosporine (SoR A). Pour cette dernière, la réduction de la dose sera à prévoir dans les 2 à 4 mois après l’initiation du traitement, suivant la réponse clinique. Les antihistaminiques sont moyennement recommandés (SoR B).

Lors de phase d’induction de désensibilisation, il est moyennement recommandé d’utiliser les glucocorticoïdes systémiques (SoR B). Les autres produits sont faiblement recommandés (SoR C).

Lors des tests allergologiques, les glucocorticoïdes systémiques ne vont pas interférer avec les tests sérologiques spécifiques aux allergènes (SoR B) mais ils doivent être arrêtés au moins deux semaines avant les intradermoréactions (SoR B). La ciclosporine peut être utilisée lors de tous les tests allergologiques (SoR B).

Lors de régime d’éviction, la ciclosporine et la lokivetmab sont déconseillées (SoR C) ; pour les autres molécules, la recommandation d’utilisation ne dépasse pas le SoR C.

Les autres recommandations

Lors de surinfections de surface, les glucocorticoïdes systémiques et topiques sont déconseillés (SoR C). Les autres molécules sont faiblement recommandées (SoR C), avec de plus les limites inhérentes à leur capacité pro-infectieuses.

Dans les affections parasitaires, les glucocorticoïdes systémiques peuvent être utilisés, sur une courte durée, moins de 5 jours mais avec un faible niveau de preuve (SoR C), tout comme les antihistaminiques, l’oclacitinib, et la lokivetmab (SoR C). Attention, les corticoïdes comme l’oclacitinib sont interdits lors de démodécie.

Pour les chiens débilités en Insuffisance hépatique, lors de diabète sucré, ou atteints de néoplasies, les glucocorticoïdes systémiques et la ciclosporine sont déconseillés (SoR C). Pour cette dernière, aucune augmentation de la prévalence de néoplasies n’a été signalée avec l’utilisation de la ciclosporine dans les études, mais « les effets immunitaires et l’impact potentiel sur la progression tumorale ont conduit à la recommandation d’éviter l’utilisation de la ciclosporine chez les chiens atteints de néoplasie ou lorsque la néoplasie est diagnostiquée pendant le traitement (SoR C) », est-il précisé dans l’étude. Pour les glucocorticoïdes, « l’utilisation à long terme peut entraîner une immunomodulation qui peut conduire au développement de néoplasie (SoR C). Leur utilisation n’est généralement pas recommandée chez les chiens atteints de cancers (SoR C), sauf s’ils font partie du régime de chimiothérapie ».

Dans les insuffisances rénales, les glucocorticoïdes systémiques ne sont pas non plus recommandés (SoR C). Dans les infections urinaires basses, on n’utilisera ni les glucocorticoïdes systémiques, ni la ciclosporine, ni l’oclacitinib.

Tout un travail de communication est prévu avec des outils pédagogiques qui seront mis en place pour les praticiens sous la forme de FAQ, fiches, et aussi soirées dans les écoles. Un chatbot est également prévu pour une formation rapide des praticiens et étudiants.

  • 2. SoR : the strenght of recommandation (niveau de recommandation). Le classement des recommandations par analyses critiques a utilisé la méthode mise en place par des éditeurs de journaux médicaux en 2004, appelé Sort (Strenght of recommendation taxonomy). Cette méthode permet d’établir, selon un algorithme détaillé, trois niveaux d’évidence des preuves.