DOSSIER
Auteur(s) : PAR Michaella Igoho-Moradel
Après des discussions animées et l’attente, la réglementation européenne sur les médicaments vétérinaires est entrée en application le 28 janvier 2022. Prescription, cascade, achat, déconditionnement, ventes… Quelles évolutions pour la pratique vétérinaire ? Focus.
Comme l’a rappelé Jean-Pierre Orand, directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV), ce règlement européen1 a pour objectif d’améliorer la disponibilité des médicaments vétérinaires. Une ordonnance2 datée du 24 mars adapte notre droit national à de nouvelles dispositions qui ont la particularité de s’imposer à tous les États membres. Ainsi le Code de la santé publique et le Code rural ont été éclaircis et enrichis afin d’être conformes au texte européen. Ce texte revoit de fond en comble la réglementation nationale sur la pharmacie vétérinaire. De son côté, le Syndicat national des vétérinaires libéraux (SNVEL) déplore quelques imprécisions dans la rédaction. « Cette ordonnance contient toutefois quelques imprécisions notamment sur la métaphylaxie. Nous avons eu des discussions sur une notion utilisée “un petit lot d’animaux” . Ici, aucune précision n’est donnée sur le nombre d’animaux. Il y aura des interprétations différentes mais la direction générale de l’Alimentation (DGAL) a repris le strict texte européen » commente David Quint, vice-président du SNVEL. D’autres textes sont encore attendus. Voici une sélection non exhaustive des dispositions qui font évoluer la pratique vétérinaire. Nous reviendrons dans un prochain article sur les mesures spécifiques à l’usage des antimicrobiens.
Un recours à la cascade conservé et simplifié ?
Le système de la cascade évolue. Mieux, il est simplifié. Ce sujet est traité dans les articles 112 à 114 du règlement européen. Le praticien peut ainsi avoir plus rapidement accès à un médicament disponible sur le marché de l’Union européenne pour éviter des souffrances inacceptables à un animal. Ce recours à la cascade se fait toujours sous la responsabilité du vétérinaire et ne peut avoir lieu que dans des cas exceptionnels. Comme avant l’entrée en vigueur du texte, le praticien doit en utiliser un médicament vétérinaire disponible sur le marché français pour l’indication et l’espèce cible à traiter. En cas d’indisponibilité d’un tel médicament, il peut avoir recours à la cascade. Le schéma à suivre dépend s’il s’agit d’espèces non productrices et productrices de denrées alimentaires. Dans le premier cas, le praticien peut dès le premier niveau utiliser un médicament vétérinaire autorisé en France ou dans un autre État membre de l’Union européenne (UE) pour une autre espèce cible ou pour une autre indication chez la même espèce cible. L’autre étape permet au vétérinaire d’utiliser un médicament à usage humain autorisé en France ou dans un autre État membre de l’UE. Le niveau suivant intervient si aucun médicament n’est disponible, dans ce cas, le vétérinaire peut avoir recours à une préparation extemporanée. En dernier recours, si aucune solution n’a été trouvée, il peut user d’un médicament vétérinaire autorisé dans un pays tiers pour la même espèce animale et la même indication. Cette dernière étape exclut pour les produits immunologiques. Pour les espèces animales terrestres, les étapes de la cascade sont presque similaires à celles des animaux de compagnie. La substance active doit avoir une limite maximale de résidus.
Comment l’ordonnance vétérinaire doit-elle être rédigée ?
Une nouveauté et pas des moindres. « Les ordonnances sont désormais valables dans l’ensemble de l’UE avec l’obligation pour le dispensateur de respecter les règles au pays dans lequel le médicament va être utilisé » commente David Quint, vice-président du SNVEL. Elle doit désormais indiquer des mentions supplémentaires sur toutes les ordonnances rédigées. En plus, des mentions habituelles, le document doit préciser en plus du nom du médicament prescrit, les substances actives qu’il contient. Et « tout avertissement nécessaire pour garantir une utilisation correcte, y compris, le cas échéant, pour garantir une utilisation prudente des antimicrobiens ». L’ordonnance doit également indiquer si le médicament est utilisé dans le cadre de la cascade ou s’il est prescrit dans un but prophylactique ou métaphylactique. Le document doit aussi indiquer la forme pharmaceutique et le dosage, la quantité prescrite, le nombre d’emballages, leur taille et le schéma posologique. Pour le SNVEL, l’ajout des substances actives manque de pertinence. « L’inscription sur l’ordonnance des matières actives du médicament prescrit, est la principale obligation contraignante que nous n’avons pas pu éviter. Cette obligation nous paraît inutile d’autant qu’il existe désormais une base européenne de médicaments disponibles sur le marché » explique David Quint. En plus de ces mentions, le praticien doit prescrire la quantité de médicaments nécessaire au traitement ou à la thérapie diagnostiquée. Autrement dit, la quantité de produits prescrits est limitée. Aussi, « les médicaments antimicrobiens de métaphylaxie ou de prophylaxie ne sont prescrits que pour une durée limitée destinée à couvrir la période à risque ». L’examen clinique préalable à la délivrance d’une ordonnance est inscrit dans le marbre européen. L’article 105 du règlement précise en effet qu’une ordonnance vétérinaire n’est délivrée qu’après un examen clinique ou toute autre évaluation appropriée de l’état de santé de l’animal ou du groupe d’animaux par un vétérinaire. Autre information, pour les animaux de compagnie, la durée de validité des ordonnances est de 6 mois et 15 jours pour les animaux producteurs d’aliments. La durée de validité des ordonnances pour les médicaments antimicrobiens est de 5 jours.
À qui acheter ses médicaments vétérinaires ?
Un autre volet de ce règlement s’intéresse à l’achat de médicaments vétérinaire auprès de grossistes. Ici, un grossiste peut également être un fabricant. Le vétérinaire peut se procurer des vétérinaires autorisés dans l’Hexagone auprès d’un grossiste. Autrement dit, il a la possibilité de se fournir auprès d’un grossiste de l’Union européenne mais uniquement pour des médicaments vétérinaires autorisés sur le marché français. Dans le cadre de la cascade, le vétérinaire peut commander un médicament chez un grossiste de l’Union européenne. Toujours dans le cadre de la cascade, il peut acheter des médicaments à usage humain auprès d’un pharmacien d’officine. Tous ces achats doivent être tracés. Des registres d’entrée et de sortie sont tenus pour tous les médicaments du dépôt du vétérinaire. Ainsi, ce registre doit mentionner la date de la transaction, le nom du médicament vétérinaire, sa forme pharmaceutique et le dosage, le numéro de lot, la quantité reçue ou fournie, le nom et l’adresse du fournisseur, le nom et adresse du vétérinaire prescripteur ainsi que le numéro d’autorisation de mise sur le marché du médicament vétérinaire. « Au moins une fois par an, le détaillant procède à une vérification précise du stock et compare la liste des médicaments vétérinaires entrés et sortis enregistrés avec les médicaments vétérinaires en stock. Toute divergence constatée est enregistrée. » Ces registres sont tenus à la disposition des autorités compétentes en cas de contrôle, pendant 5 ans (ou 10 ans pour les médicaments psychotropes et narcotiques).
La vente en ligne, quelles sont les règles à respecter ?
Autre évolution, la vente en ligne de médicaments vétérinaires non soumis à prescription est encadrée. Le code de la santé publique indique désormais en son article L. 5143-2, que les ayants droit, vétérinaires (CHV, cabinet ou encore clinique) et pharmaciens disposant d’un dépôt, peuvent vendre en ligne ces médicaments dès lors que ceux-ci sont autorisés sur le marché français. Cela concerne principalement les antiparasitaires externes dérogatoires (APE). Précision importante, les vétérinaires ne pouvant pas tenir officine ouverte, ces ventes ne concernent que les animaux qu’ils suivent. Un décret d’application doit être publié pour préciser les contours de ce commerce virtuel, à l’image de ce qui se fait en santé humaine. Il est déjà établi que cette activité doit faire l’objet d’une déclaration auprès de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV). Ce site doit être adossé à un établissement physique et mentionner un logo affiché sur les sites licites et conformes aux règles de l’UE en matière de vente de ces médicaments en ligne. Ce logo est un gage de sécurité pour l’acheteur qui pourra contrôler la légalité du site web. La Commission européenne est chargée de mettre en place un logo reconnaissable dans toute l’Union tout en permettant l’identification de l’État membre dans lequel est établie la personne offrant des médicaments vétérinaires à la vente à distance.
Le déconditionnement à l’unité enfin encadré ?
Le déconditionnement à l’unité est désormais encadré par l’article L5141-14-5 du code de la santé publique. « La délivrance de certains médicaments par le pharmacien ou le vétérinaire, lorsque leur forme pharmaceutique le permet, peut se faire à l’unité dans le respect de l’intégrité de leur conditionnement primaire et des conditions fixées par l’autorisation de mise sur le marché. » Un décret devra encore préciser les modalités d’application de ce texte. Avant cette publication, la dispensation à l’unité était déjà utilisée par les praticiens afin d’ajuster leurs prescriptions. Cette pratique est d’ailleurs assez répandue et même encouragée au niveau européen. Le déconditionnement est aussi vu comme une solution efficace contre le gaspillage de médicaments.
La sous-traitance des préparations extemporanées, comment ça marche ?
Il est désormais possible de déléguer les préparations extemporanées. Cette autorisation est détaillée par l’article L. 5143-9-1 du code de la santé publique. Un praticien peut confier l’exécution d’une préparation extemporanée, par un contrat écrit à une officine de pharmacie qui exerce cette activité de sous-traitance. Pour certaines catégories de préparations, il peut se rapprocher d’un établissement bénéficiaire d’une autorisation de fabrication de médicaments vétérinaires. Autre possibilité, cette tâche peut être confiée au responsable de la pharmacie d’une école vétérinaire désigné par son directeur. L’exercice de cette activité de sous-traitance est soumis à une autorisation préalable délivrée par le directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. « Cette activité de sous-traitance fait l’objet d’un rapport annuel transmis par le pharmacien titulaire de l’officine, par la personne qualifiée de l’établissement pharmaceutique ou par le responsable de la pharmacie de l’école vétérinaire au directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. »
Questions à Jean-Pierre Orand, Directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire
Quels sont les points sur lesquels l’agence aurait souhaité avoir gain de cause ?
Il y a des points sur lesquels nous n’avons pas été totalement entendus. Nous avons porté la notion d’autorisations de mises sur me marché (AMM) conditionnelles. Cela aurait permis d’aller d’être plus souple dans la délivrance d’AMM pour des dossiers incomplets. Cela a été pris partiellement en compte avec les AMM circonstances exceptionnelles sans pour autant couvrir tout ce que nous souhaitions. Concernant les médicaments à base de plantes, même si nous n’avons pas réussi à prévoir directement dans le règlement des conditions allégées pour les dossiers de médicaments à base de plantes, nous avons une porte entrouverte. Le dossier est sur la table de la Commission européenne et nous en avons fait un sujet de notre présidence française au Conseil de l’Union européenne. La conférence que l’agence a organisée en mars avec l’agence européenne du médicament (EMA), la Commission européenne et les autorités compétentes des autres États membres a permis de leur faire prendre conscience des problématiques de terrain qui ne sont pas que françaises. D’autres pays européens ont confirmé que soigner avec des médicaments à base de plantes est une volonté partagée par des éleveurs en Europe. Nous souhaitons que des travaux scientifiques soient menés et qu’il y ait une évaluation avant de déclarer que ces produits ne présentent pas de danger. Enfin nous sommes satisfaits d’avoir pu encadrer grâce à ce règlement le commerce parallèle et la vente en ligne. Nous avons défini de façon harmonisée des règles qui s’imposent à tous les États membres.
Quelles sont les prochaines étapes pour l’agence ?
Pendant la négociation autour de ce texte, l’agence était en appui des ministères de l’agriculture et de la santé afin d’apporter une expertise technique et scientifique. Une fois le règlement publié, nous avons beaucoup travaillé sur les actes délégués. Par ailleurs, nous nous sommes beaucoup investis dans les groupes de travail de l’EMA pour le développement des bases de données européennes prévues dans le texte, comme celle sur la pharmacovigilance ou celle sur les médicaments vétérinaires. Parallèlement, nous avons travaillé avec la DGAL sur l’adaptation de notre droit national à cette nouvelle réglementation européenne. Il est encore nécessaire d’harmoniser l’interprétation que les États membres auront de ce texte. Ces derniers doivent encore se mettre d’accord sur un ensemble de lignes directrices. Nous travaillons par exemple sur la mise en œuvre de l’article 34 relatif à la prescription afin de définir les médicaments devant être prescrits sur ordonnance ou ceux au contraire pouvant être vendus sans ordonnance. Un certain nombre de textes importants doit encore être pris. Les États membres doivent s’entendre sur les pictogrammes qui remplaceront le multilinguisme sur les packagings des médicaments. Ces négociations peuvent prendre du temps.
Les points de vigilance du SNVEL détaillés par David Quint
Vice-président du SNVEL
« Nous souhaitions éviter le découplage »
Les travaux sur le règlement européen sur les médicaments vétérinaires ont pris la suite des discussions nationales sur la loi d’Avenir Agricole de 2014 qui comprenait un volet sur l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire. Dès le début des discussions avec la rapporteuse du texte, Françoise Grossetête, notre but était de préserver l’arsenal thérapeutique vétérinaire tout en acceptant de sécuriser l’usage des antibiotiques. Nous voulions avant tout que le quotidien des praticiens ne soit pas bouleversé. Et nous souhaitions éviter le découplage en démontrant que ce n’était pas la solution. Nos arguments ont rapidement convaincu Françoise Grossetête. Le texte actuel laisse le choix aux États membres sur ce sujet. D’autres contraintes ont été évitées comme le fait d’inscrire sur l’ordonnance le diagnostic. Cela ne nous paraissait pas pertinent. En revanche, l’inscription sur l’ordonnance des matières actives du médicament prescrit, est la principale obligation nouvelle contraignante que nous n’avons pas pu empêcher. Cette obligation nous paraît inutile d’autant qu’il existe désormais une base européenne de médicaments disponibles sur le marché et que les informations se retrouvent autrement très facilement. Autre point de divergence, celui de la remontée des usages des antimicrobiens par les praticiens, portée par le projet Calypso. L’Agence nationale du médicament vétérinaire et la DGAL* ont estimé que les données de prescription étaient des données d’usage. Je ne partage pas cet avis. Leur arbitrage a été de considérer, sur la base d’actes d’exécution sur lesquels les parties prenantes n’ont pas de regard, que les données de prescriptions pouvaient rentrer dans ce cadre. Aujourd’hui, notre problématique est de trouver des moyens techniques qui allègent le travail du praticien qui devra numériser cette donnée.
De nouvelles sanctions administratives et pénales
L’ordonnance du 23 mars prévoit également des sanctions en cas de non-respect des règles de détention, de prescription, de délivrance ou d’utilisation des médicaments vétérinaires. L’ayant droit est mis en demeure par l’autorité administrative de satisfaire aux obligations contenues dans le règlement européen. « Elle l’invite à présenter ses observations écrites ou orales dans le même délai en se faisant assister, le cas échéant, par un conseil de son choix ou en se faisant représenter. Si, à l’expiration de ce délai, l’intéressé n’a pas obtempéré à cette injonction, ou sans délai en cas d’urgence, l’autorité administrative peut ordonner la suspension de l’activité en cause jusqu’à ce que l’exploitant se soit conformé à son injonction. L’autorité administrative peut également, dans les mêmes conditions, prononcer la fermeture administrative provisoire de l’établissement. »
Les listes I et II supprimées
L’article 34 du règlement européen classifie les médicaments vétérinaires soumis à prescription vétérinaire. Pour la France, la conséquence première est la suppression des listes I et II des substances vénéneuses. Ainsi les prescriptions s’en voient modifiées dès lors qu’il n’existe plus de médicaments exonérés ou de médicaments sur prescription. Cette nouvelle classification suppose également que les cadres rouge et vert seront à terme supprimés. Il faut encore attendre la publication d’un décret qui précisera les contours de cette disposition.
Des portails d’accès pour partager des informations
La nouvelle réglementation3 sur les médicaments vétérinaires prévoit la création d’une base de données européenne pour les médicaments vétérinaire. Grâce à cette plateforme, les vétérinaires ont accès à tous les médicaments vétérinaires commercialisés dans l’Union européenne. « Pour chaque médicament, elle donne accès aux résumés des caractéristiques du produit, aux notices d’utilisation et aux résumés des rapports d’évaluation pour les autorisations de mise sur le marché des médicaments » précise l’Anses-ANMV. En outre, une base de données européenne pour la pharmacovigilance en médecine vétérinaire est créée, pour la notification et l’enregistrement des effets indésirables présumés survenus chez les animaux.