Le bien-être animal : un enjeu de durabilité de l’élevage - La Semaine Vétérinaire n° 1947 du 03/06/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1947 du 03/06/2022

Conférence

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Lorenza Richard

Les attentes sociétales et professionnelles au sujet du bien-être animal ont été discutées lors des Carrefours de l’Innovation agronomique qui se sont déroulés le 5 mai 2022 sur le campus vétérinaire de VetAgro Sup Lyon.

« Dans tous les pays, les productions animales ont connu une intensification qui a fini par rencontrer l’opposition des citoyens, sensibilisés à leur impact sur l’environnement, la santé et le bien-être animal (BEA) » a expliqué Christine Roguet, de l’Institut du porc (IFIP).

Des stratégies déjà développées

Ainsi, comme l’a indiqué Agathe Gignoux, de Compassion in World Farming France (CIWF), 93 % des Français souhaitent que la législation française soit renforcée pour protéger les animaux d’élevage. De plus, l’inscription de l’animal dans le Code civil (art. 515-14) comme « être sensible » et les expertises collectives de l’Institut national de la recherche agronomique et de l’environnement (Inrae) « Douleurs animales » en 2009 et « Conscience animale » en 2017, ont contribué à réactualiser le concept de BEA. Il est désormais impératif de se soucier du ressenti émotionnel de l’animal. Trois approches sont déployées dans ce but. D’abord, les politiques publiques mettent en place des orientations (stratégie bien-être par exemple), mais cela stresse les producteurs, qui ont des objectifs sans les moyens de les atteindre. Ensuite, une réglementation existe (interdiction des cages, des mutilations, etc.) mais elle ne concerne pas toutes les espèces, est hétérogène entre pays et peut être à l’origine de surcoûts. Enfin, le consommateur choisissant ses achats, des labels sont créés pour le marché, ou encore l’étiquette « BEA », qui est actuellement effective en France sur la filière Poulet de chair. Cette étiquette, mise en place par l’Association étiquetage BEA (AEBEA), permet d’informer le consommateur sur les conditions de vie de l’animal dont est issu le produit, dans un but de transparence. Il peut ainsi choisir ce qu’il consomme en connaissance de cause, ce qui conduit la filière à suivre des pratiques plus respectueuses du BEA et donne de la visibilité aux éleveurs pour le choix des investissements.

Des méthodes d’élevage controversées

Pour la sociologue Elsa Delanoue, « les désaccords dans une société s’expriment autour d’une incertitude, qui porte, dans le cas de l’élevage, sur les bonnes manières d’élever les animaux et sur la définition du BEA ». La controverse repose sur des incertitudes d’ordre scientifique, comme la prise en charge de la douleur des animaux mais aussi d’ordre moral, auxquelles la science ne peut pas apporter de réponses (est-il bien ou mal de tuer les animaux pour les manger ? par exemple). La controverse est ainsi ici un conflit public entre, en résumé, le secteur associatif et le monde agricole. L’enjeu des adversaires est de rallier les consommateurs et les décideurs politiques à leur cause, à travers des médias qui ne sont parfois pas neutres. En effet, les citoyens sont de plus en plus exigeants quant au respect de l’animal, de l’environnement et de la santé, et les consommateurs veulent des produits abordables ou encore de terroir, de circuits courts ou équitables. Tous convergent vers la remise en cause de la production perçue comme industrielle. Les éleveurs, remis en cause dans leur travail, souhaiteraient communiquer, mais ne savent pas comment répondre aux inquiétudes des citoyens. Ils sont en effet en attente de techniques pour améliorer le BEA, mais également d’une reconnaissance de leur métier.

Un enjeu de gouvernance

Cependant, il n’existe pas encore de certification BEA. Comme l’a expliqué Aude-Solveig Epstein, de l’Université Paris-Nanterre, une certification nécessiterait un référentiel reconnu par les pouvoirs publics et un certificateur compétent et intègre. De plus, « la certification assure la conformité à une norme mais pas l’évolution des pratiques, ce qui est un argument pour les entreprises concernant leur implication dans une démarche BEA, mais pas une garantie d’une démarche effective » selon elle. Pour Christine Roguet, un enjeu de gouvernance persiste entre les pouvoirs publics qui orientent et réglementent, et les acteurs privés et associatifs qui initient des démarches. Le BEA est une composante de la durabilité de l’élevage, au même titre que les aspects sociaux, économiques, environnementaux et sanitaires, mais il est difficile de le pondérer par rapport à ces autres objectifs. Enfin, les produits de qualité supérieure, plus chers, restent des niches, et leur avenir est incertain dans un contexte actuel de baisse du pouvoir d’achat. Ces démarches de différenciation de produits supérieurs s’accompagnent d’un essor de la contractualisation entre acteurs de la filière et du couplage de l’étiquette BEA avec l’indication de la provenance des animaux pour favoriser la production nationale. La pression est ainsi forte pour produire et consommer moins mais mieux.

Deux ateliers de réflexion collective

« L’idée de cette journée est de faire émerger des marges de progrès, d’innovation, mais aussi d’identifier les limites à la mise en œuvre de l’amélioration du bien-être des animaux, en rassemblant un panel diversifié d’intervenants et de participants » a présenté Luc Mounier, responsable de la chaire Bien-être animal de VetAgro Sup. Dans cet objectif, deux ateliers de réflexions autour d’une démarche de progrès collectif en BEA ont été organisés entre chercheurs, vétérinaires, industriels, consommateurs, éleveurs, etc. Les propositions restituées montrent, notamment, qu’au sein des élevages, des formations des éleveurs, mais également des conseillers, techniciens et vétérinaires sont nécessaires, en évitant les messages contradictoires. Ces formations doivent porter sur les impacts positifs du bien-être animal, les techniques de bonnes pratiques d’élevages, et la promotion du métier d’éleveur afin que l’image de l’élevage change dans la société. Concernant l’appropriation des démarches de progrès de BEA par les consommateurs, quatre mots résument les actions proposées : dialogue entre les acteurs, transparence, confiance et engagement réciproque.

Outils d’évaluation du BEA

Les outils développés pour évaluer et certifier le BEA doivent être pratiques, fiables et répétables, et combiner des indicateurs sanitaires et comportementaux. Ils sont des outils de progrès des filières, qui permettent de motiver les éleveurs en mettant en place un plan individuel d’amélioration et en leur donnant une visibilité sur les investissements à réaliser. Par exemple, en filière volailles et lapins, l’outil EBENE® montre une nette progression des autoévaluations des éleveurs depuis 2018, qui peuvent se situer dans une moyenne et donner du sens à l’évolution de certaines de leurs pratiques, en constatant leur impact sur les scores de comportement animal. Cette évaluation peut également être réalisée par le vétérinaire, qui peut créer un compte et s’associer avec leur éleveur. En filière bovine, l’outil BoviWell® permet également d’objectiver le BEA des bovins dans les élevages, mais il ne peut être réalisé que par un technicien formé par l’institut de l’élevage. Cependant, les vétérinaires peuvent être formés pour co-construire le plan de progrès avec l’éleveur.