Phytothérapie : bientôt la fin du casse-tête réglementaire ? - La Semaine Vétérinaire n° 1947 du 03/06/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1947 du 03/06/2022

Europe

PHARMACIE

Auteur(s) : Michaella Igoho-Moradel

Le séminaire européen, organisé par l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV), porte au niveau européen le débat sur l’utilisation des plantes en médecine vétérinaire. L’opportunité est donnée aux parties prenantes d’échanger pour faire avancer ce dossier tout en intégrant l’approche Une seule santé.

Dans certains élevages, l’aromathérapie et la phytothérapie sont de plus en plus utilisées, que ce soit par des éleveurs ou des vétérinaires. Ces méthodes comptent aussi parmi les alternatives aux antibiotiques, notamment en agriculture biologique. Pourtant, peu de médicaments vétérinaires à base de plantes sont aujourd’hui disponibles sur le marché. Leur utilisation en productions animales se heurte à une réglementation non adaptée. La majorité d’entre eux n’ont pas fait l’objet d’une évaluation et ne disposent pas de limites maximales de résidus (LMR). En conséquence, ces médicaments ne peuvent pas être utilisés à des fins thérapeutiques sur des animaux producteurs de denrées alimentaires. Une problématique qui n’est pas propre à l’Hexagone puisqu’elle nourrit également des débats dans d’autres pays européens. Au cœur des échanges, l’absence d’une méthodologie adaptée permettant notamment de fixer des LMR. La profession a tout intérêt à peser dans les débats comme l’a rappelé Isabelle Lussot, présidente du Réseau de phytoaromathérapie de l’Afvac-Avef-SNGTV (RéPAAS). L’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) a fait de ce sujet l’un des thèmes principaux de la présidence française de l’Union européenne (UE). Elle a organisé en ce sens, en mars dernier, une conférence sur l’utilisation des plantes en médecine vétérinaire regroupant les représentants d’éleveurs, de vétérinaires et d’industriels, ainsi que les autorités compétentes, l’Agence européenne des médicaments (EMA) et la Commission européenne (CE).

Les laboratoires attendent des avancées

Pour les industriels, représentés par AnimalHealth Europe, un environnement propice doit pouvoir faciliter la mise sur le marché de médicaments vétérinaires à base de plantes. Une approche harmonisée au niveau de l’Union est nécessaire, de même que des contrôles réglementaires proportionnels au rapport bénéfice/risque. Pour les laboratoires, il s’agit d’en finir avec une réglementation non adaptée aux produits à base de plantes, de remédier à l’absence de LMR et discuter du « coût des données nécessaires aux autorisations de mise sur le marché (AMM) par rapport à la valeur ajoutée ». Autre défi à relever, leurs difficultés pour définir et démontrer la qualité des produits à base de plantes. L’objectif étant de mettre en place un système d’enregistrement simplifié pour les médicaments traditionnels à base de plantes utilisés en santé animale, qui prévoit un dossier de demande d’AMM allégé. Pour cela, la réglementation existante pour les médicaments à base de plantes à usage humain peut servir de modèle. En santé humaine, le recours à ces produits est en effet encadré par des textes assez stricts, ainsi que l’a rappelé l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). La réglementation actuelle est harmonisée au niveau de l’UE puisque le comité des médicaments à base de plantes (HPMC) de l’EMA se charge d’élaborer et d’évoluer les données scientifiques sur les substances, préparations et associations de plantes.

En santé humaine, une mécanique bien huilée

Le HPMC établit aussi les monographies de l’Union sur les utilisations thérapeutiques et les conditions d’utilisation sûres des substances et préparations à base de plantes. Les États membres se réfèrent alors aux lignes directrices élaborées par l’EMA, comme c’est le cas par exemple en Autriche. « La documentation requise sur la qualité des matières premières, des processus de fabrication et des contrôles des préparations à base de plantes et des produits finis médicamenteux sont identiques pour tous les médicaments à base de plantes à usage humain, indépendamment de leur statut réglementaire » a expliqué le représentant autrichien du Bureau fédéral de sécurité en santé (BASG). Toujours en Autriche, la partie non clinique des demandes d’AMM doit indiquer une toxicité potentielle et se focaliser « en particulier sur les données démontrant l’absence de risque de génotoxicité ». Une mécanique bien huilée qui permet aujourd’hui « une mise en œuvre réussie du système » bien que des améliorations soient encore possibles. « La qualification du produit, la déclaration des substances actives dans chaque dossier, les données justifiant l’efficacité ou la reconnaissance de l’usage traditionnel sont essentielles » cite l’ANSM. Une clarification de ces points permettrait de promouvoir l’accès des patients aux médicaments à base de plantes. Là encore, l’implication des patients est vue comme nécessaire pour favoriser une communication scientifique fiable sur les risques et l’utilisation appropriée des médicaments à base de plantes. Les autorités européennes devraient largement s’inspirer de ce système pour les médicaments vétérinaires à base de plantes.

En France, l’ANMV propose une méthodologie adaptée

De son côté, l’ANMV s’inspire notamment des avancées en santé humaine dans ce domaine. Avec pour objectif de promouvoir la soumission de demandes d’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour ces produits. Fin 2020, l’agence a proposé une méthodologie d’évaluation adaptée. Celle-ci définirait une liste de plantes dont l’utilisation est déjà validée dans d’autres réglementations. Elle permettrait aussi de s’intéresser aux plantes habituellement consommées par les animaux ou les êtres humains et à celles autorisées comme compléments alimentaires, pour celles employées en médecine humaine et pour celles reconnues non toxiques pour l’être humain. La balle est désormais dans le camp de la Commission européenne (CE). En 2027, elle devra présenter au Parlement européen un rapport sur les médicaments traditionnels à base de plantes utilisés en santé animale au sein de l’Union. Une proposition législative pourrait être élaborée afin de créer un système simplifié d’enregistrement. Pour trancher, la CE s’appuiera sur une étude qui sera réalisée en 2024. Elle devra nécessairement aborder la question des LMR. Dans l’intervalle, l’EMA peut être saisie par un État membre afin d’engager des réflexions sur la façon de simplifier le dossier LMR et de fixer des recommandations pour l’autorisation des médicaments à base de plantes.

Jean-Pierre Orand, directeur de l’Agence nationale du médicament vétérinaire

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« Nous souhaitons un dossier et une évaluation allégés »

Quelles sont les prochaines étapes pour l’agence ?

La présentation de nos travaux aux parties prenantes a pour but de faire avancer le dossier des LMR pour les plantes et huiles essentielles utilisées chez des animaux de rente. Le vétérinaire doit pouvoir prescrire des médicaments à base de plantes dans le cadre de la cascade même s’il n’y a pas d’AMM. Ce sujet est également inscrit à l’agenda de la prochaine réunion, organisée fin mai, entre les comités des médicaments vétérinaires de l’agence et de l’Agence européenne des médicaments (EMA). Cette rencontre permet de présenter à l’EMA la méthodologie que nous proposons pour définir des LMR. L’agence étant compétente pour évaluer et préparer les projets de décisions de LMR. La prochaine étape sera de saisir l’EMA afin que la méthodologie que nous proposons soit validée. Nous souhaitons également un dossier et une évaluation allégés pour les demandes d’AMM pour des médicaments à base de plantes.

Quels sont vos points de vigilance ?

La Commission européenne mandatera un consultant qui travaillera sur ce dossier. La France étant un pays moteur sur la question de l’utilisation de médicaments à base de plantes chez des animaux de rente, nos travaux seront certainement pris en compte pour l’élaboration de son rapport. Nous veillerons à ce que ses propositions aillent dans le sens de l’allégement des procédures. Notre objectif est de démontrer qu’il existe déjà dans les dossiers d’autres produits réglementés des données permettant de se prononcer sur la sécurité des produits mis sur le marché. Ce travail n’est pas à refaire en santé animale.