Nutrition
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Gwenaël Outters Ludivine Boiron Dipl. American College of Veterinary Emergency Critical Care (ACVECC), praticienne au CHV Languedocia de Montpellier Article rédigé d’après une conférence présentée au congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) en novembre 2021 à Bordeaux.
Aujourd’hui, les présomptions selon lesquelles les patients doivent être longtemps à jeun avant une intervention, affirmant que ceux qui n’ont pas d’appétit mangeront de nouveau une fois de retour dans leur environnement familial et que l’intestin a besoin de repos pour guérir ne sont pas fondées. Ces fausses croyances se traduisent par un apport calorique insuffisant, compromettant la guérison des sites chirurgicaux, en particulier chez les patients immatures. Il est actuellement prouvé, en médecine humaine, que l’immunonutrition (apport d’acides aminés tels que l’arginine, la glutamine ou des acides gras oméga 3) périopératoire diminue la durée d’hospitalisation, les concentrations des médiateurs inflammatoires, les complications (infection, déhiscence) et améliore la microperfusion intestinale.
Impact de l’anesthésie
Les études vétérinaires sur l’activité du tractus digestif pendant la sédation montrent que l’acépromazine, le butorphanol, les opioïdes et la xylazine diminuent l’activité du tractus digestif et de la fonction sphinctérienne. Les études en humaine prouvent aussi que les anesthésiques injectables ou inhalés (quelle que soit la technique anesthésique) impactent négativement la motilité du tractus digestif. L’anesthésie (sévoflurane) diminue radicalement l’amplitude des contractions gastriques et intestinales ; la fonction normale revient 12 à 15 heures après le réveil, mais la vidange gastrique est complète après 30 à 40 h. L’activité de l’intestin grêle revient dans les deux heures après le réveil (étude vétérinaire de 2014).
Impact de la chirurgie
Les manipulations du tractus digestif pendant la chirurgie sont l’une des principales causes des dysfonctionnements gastro-intestinaux, essentiellement par la réaction inflammatoire induite. Elle entraîne une altération des contractions spontanées et stimulées des bandes musculaires, active les macrophages (libération de cytokines et afflux de leucocytes) et libère des médiateurs mastocytaires qui augmentent la perméabilité intestinale et le risque de translocation bactérienne. L’incision de la peau pour une laparotomie simple entraîne une inhibition brève de la motilité du tractus digestif, à médiation neuronale, de nature adrénergique. Une manipulation intense du tractus digestif entraîne une inhibition prolongée de la motilité digestive, partiellement due à une médiation neuronale adrénergique et l’implication des voies supraspinales dans l’hypothalamus, qui active le facteur de libération de la corticotrophine.
Iléus postopératoire
Un trouble de la motilité intestinale se traduit par un iléus (plus fréquent chez les patients gravement malades), caractérisé par un manque de borborygmes, une accumulation de gaz et de liquide entraînant une distension abdominale et une diminution de la progression du contenu gastro-intestinal. Les facteurs prédisposants sont l’anesthésie, une manipulation manuelle du tractus digestif, une douleur mal contrôlée et le stress.
La gestion de la douleur et du stress du patient est primordiale. Les manipulations digestives sont limitées et l’intestin est maintenu humide et irrigué. La résection digestive doit être minimale. Le recours aux opioïdes doit être limité, ou sélectionné avec soin, l’anesthésie être la plus courte possible et la surcharge volumique évitée. L’hypoalbuminémie est surveillée et combattue.
La nutrition entérale doit être précoce pour améliorer le flux sanguin vers l’intestin, protéger la muqueuse gastro-intestinale, réduire le risque de translocation bactérienne, stimuler la motilité et favoriser la sécrétion d’hormones et de facteurs de croissance. L’activité est toujours recommandée. Le traitement de la douleur doit être adéquat, l’équilibre est à trouver entre la douleur, le choix de la molécule et la technique (préférer une épidurale aux opioïdes par voie systémique). Les agents pharmacologiques prokinétiques et antinauséeux peuvent être administrés (maropitant 1 mg/kg IV ou SC 1 fois/j, métoclopramide 1 à 3 mg/kg/j IV ou 0,5 mg/kg/6-8h IV ou SC, érythromycine 0,5 à 1 mg/kg/8-12h IV ou SC).
La prise alimentaire après une chirurgie
Les recommandations actuelles visent une reprise de la nutrition précoce, moins de 24 heures après une chirurgie. La nutrition précoce est associée une perméabilité intestinale et des pertes de protéines gastro-intestinales moindres, une diminution de l’activation de la libération des cytokines et une réduction de l’endotoxémie systémique chez l’humain. Elle améliore la perfusion et la résistance de la plaie sur les sites chirurgicaux. La voie entérale est toujours à privilégier si possible, en adaptant la technique de nutrition et l’aliment à la chirurgie et l’affection traitée.
Les chirurgies digestives incluent majoritairement les péritonites septiques, les gastrotomies, les entérotomies ou les entérectomies (corps étranger). La pose d’une sonde d’alimentation peropératoire est réfléchie et planifiée en amont. L’alimentation est primordiale pour maintenir le taux d’albumine, souvent bas chez ces patients (une hypoalbuménimie est reconnue comme un facteur de risque de déhiscence intestinale). Le cas idéal est une prise alimentaire spontanée. La nutrition à la seringue est évitée pour les risques d’aversion alimentaire. Si la sonde n’a pas été posée pendant l’intervention ou à cause de contraintes financières, une sonde naso-œsophagienne peut être placée vigile. Le rythme d’administration, en bolus ou en perfusion continue, ne compromet pas la nutrition. Cependant, la nutrition continue rencontre des problèmes techniques et réduit significativement la quantité absorbée. Au besoin, une nutrition parentérale peut être initiée, mais nécessite une technique et une surveillance continue.
Pour les chirurgies maxillo-faciales, la pose d’une sonde peropératoire est fréquemment nécessaire (épistaxis, douleur à la préhension des aliments, obstruction des narines, manque d’odorat). Une sonde naso-œsophagienne ou gastrique peut s’envisager en l’absence de traumatisme nasal et si le budget des propriétaires est limité.
Après une chirurgie de retrait de calculs urétraux ou vésicaux, l’alimentation est spontanée le plus souvent. Les patients azotémiques peuvent bénéficier d’une pose de sonde peranesthésique.
De nombreux aliments liquides vétérinaires existent (1 à 1,5 kcal/ml). Il s’agit de formules avec des glucides hautement digestibles, pauvres en fibres, riches en graisses et avec des teneurs variables en minéraux et électrolytes. Ils contiennent 70 à 80 % d’eau. Les aliments pour humains ne conviennent pas aux carnivores. En postopératoire de chirurgie digestive, il convient d’opter pour des aliments à teneur modérée en protéines, faible en graisses (15 % de la matière sèche chez le chat et 6 à 15 % chez le chien), faible en fibres et hautement digestibles (supérieur à 95 %). La supplémentation en vitamine B12 est importante. Pour les patients insuffisants rénaux, des aliments faibles en protéines (mais de haute valeur biologique), riches en graisses, faibles en phosphore et sodium sont privilégiés.