Zoonose
ANALYSE GENERALE
Communément appelée la variole du singe, le monkeypox sévit depuis plusieurs semaines, dans une vingtaine de pays non endémiques pour la maladie, dont la France. Cette situation est inédite par son ampleur.
Après le Covid-19, une autre maladie zoonotique fait les gros titres : le monkeypox, appelé aussi variole du singe. Il s’agit d’une maladie virale zoonotique causée par un orthopoxvirus, de la famille des Poxviridae à laquelle appartient aussi le virus de la variole humaine. Ce virus sévit en Afrique centrale, en particulier en République démocratique du Congo et en Afrique de l’Ouest (particulièrement au Nigeria). Les premiers cas humains africains ont été décrits au début des années 1970. À la différence du virus de la variole humaine, dont le réservoir est humain, ce virus a un réservoir animal, avec plusieurs espèces incriminées. Depuis début mai, un nombre croissant de cas humains1 est rapporté dans plusieurs pays en dehors des zones d’endémie africaines. Le 8 juin 2022, 1 285 cas ont été confirmés dans 28 pays non endémiques par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), contre 780 cas le 4 juin. Près de 80 % des cas sont européens, avec deux zones de forte contamination : le Royaume-Uni compte 321 cas, suivi de la péninsule ibérique avec 259 cas en Espagne, et 191 cas au Portugal. Hors Europe, les pays touchés sont le Canada (110), les États-Unis (40), Les Émirats arabes unis (13), l’Australie (6), l’Argentine (2), Israël (2), le Maroc (1) et le Mexique (1). En France, le 14 juin, 125 cas ont été confirmés par Santé Publique France contre 66 le 7 juin, concentrés surtout en Île-de-France (91). En parallèle, depuis le début de l’année, 1 536 cas suspects ont été rapportés, et 72 décès, dans huit pays africains ; 59 cas ont été confirmés. La République démocratique du Congo est le pays le plus touché, avec 1 356 cas suspects et 64 décès.
La situation est donc encore fortement évolutive. Hors Afrique, jusqu’à présent, l’atteinte clinique n’a généralement pas été sévère, sans décès déplorés, en lien notamment avec le fait que le clade viral circulant est le moins virulent des deux connus (clade WA West Africa, taux de létalité de 2 à 3 % vs 10 % pour clade CB Congo Basin). La maladie guérit généralement spontanément, avec une clinique qui dure de deux à quatre semaines.
Des cas isolés auparavant
Cette situation est inédite à plus d’un titre. Pour la première fois, il y a une atteinte quasi-simultanée de plusieurs pays non endémiques sur plusieurs continents. Auparavant, si des cas étaient rapportés hors zones d’endémie, il s’agissait d’évènements relativement isolés. La première émergence hors d’Afrique avait été décrite en 2003 aux États-Unis2. La transmission virale s’était faite à partir de chiens de prairies infectés vendus dans des animaleries, lesquels avaient été contaminés par contact direct avec des petits mammifères infectés importés du Ghana (rat géant africain à poche, loirs, écureuils). Quarante-sept cas humains confirmés et probables avaient été dénombrés dans six États, sans décès rapportés. Tous les cas avaient été attribués à un contact animal.
Après cet épisode, d’autres signalements3 ont de nouveau été faits dans des pays non endémiques, à partir de 2018, au Royaume-Uni, à Singapour, en Israël et aux États-Unis. C’étaient à chaque fois des cas sporadiques, en lien avec un historique de voyage au Nigeria. Encore ici, ces cas auraient été liés à un contact avec un animal infecté. Au Royaume-Uni, des premiers cas humains secondaires décrits hors zone d’endémie, intrafamiliale, et un cas d’infection nosocomiale (contamination d’un personnel hospitalier, via probablement des draps de lits souillés par un cas humain importé) avaient toutefois été rapportés.
Une transmission interhumaine généralisée
Pour l’épisode mondial en cours, la composante zoonotique n’est pas mise en cause. La plupart des cas confirmés ayant des antécédents de voyage étaient allés dans des pays d’Europe et d’Amérique du Nord plutôt qu’en Afrique… même si les États membres signalent aussi un nombre faible de cas chez des voyageurs en provenance du Nigeria, comme cela était observé auparavant. La plupart des cas n’ont pas de lien direct avec des personnes de retour de zones endémiques. Cet épisode se caractérise ainsi par une composante de transmission interhumaine majoritaire et généralisée. Les modalités de transmission4 sont connues : le contact direct et étroit avec des lésions cutanéo-muqueuses d’un malade, y compris pendant l’activité sexuelle, ou indirectement, avec du matériel contaminé par des liquides biologiques. En début de contagiosité, la transmission se ferait surtout par la salive et gouttelettes respiratoires après un contact face à face prolongé, probablement en lien avec le fait que les lésions des muqueuses précèdent les lésions cutanées. La période d’incubation dure entre 5 et 21 jours, avec de la fièvre comme première manifestation clinique, correspondant au début de la contagiosité.
La plupart des cas actuels concernent des hommes ayant des rapports intimes avec d’autres hommes, ce qui pose la question, pas encore résolue, de la possibilité de transmission par voie sexuelle.
Des facteurs d’émergence
Comment expliquer cette émergence mondiale ? Pour mieux l’appréhender, il faut au préalable analyser la dynamique virale en Afrique. Nadia Haddad, professeure en maladies réglementées, zoonoses et épidémiologie à l’école nationale vétérinaire d’Alfort, l’a résumé le jeudi 9 juin à l’Académie vétérinaire de France. Plusieurs phases évolutives de la maladie sont identifiées. Il y a d’abord eu la période des premiers cas humains dans les années 1970, avec une expansion locale limitée, focalisés surtout en République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre), et quelques cas sporadiques en Afrique de l’Ouest (Nigeria, Cameroun, Sierra Leone, Liberia, Côte d’Ivoire). « À ce moment-là, la transmission zoonotique était exclusive, ou majoritaire », a souligné la professeure. Ces cas sont à mettre en relation avec l’arrêt progressif de la vaccination contre la variole humaine (rappelons que la variole est la seule maladie virale à avoir été éradiquée grâce à la vaccination), qui offre une protection croisée contre le monkeypox. Et le début de la destruction des forêts primaires, exposant les habitants à la faune sauvage. Au fil des années, les cas humains enzootiques ont franchement augmenté en Afrique centrale, avec au début des années 2000, l’apparition de cas urbains en RDC, tandis qu’en parallèle, il y a eu une baisse drastique de cas déclarés en Afrique de l’Ouest. En cause, une exacerbation des facteurs de risque : aggravation de la destruction des forêts primaires, démographie croissante, urbanisation. Les années 2010 signent la réémergence des cas déclarés en Afrique de l’Ouest et une explosion de cas en Afrique centrale, allant de pair avec une urbanisation toujours plus marquée, une promiscuité des populations et une couverture vaccinale anti-variole désormais quasi-absente (inférieure à 1 %). En particulier, en Afrique de l’Ouest, le Nigeria fait face à une épidémie depuis 2017, toujours en cours, touchant presque tout le pays, notamment en zones urbaines. « Là, on se rend compte que la transmission interhumaine se substitue de façon importante à la transmission zoonotique, a indiqué Nadia Haddad. Dans ce contexte, il est alors logique que des premiers cas humains sporadiques apparaissent hors d’Afrique ». L’atteinte des zones urbaines, et plus uniquement forestières, facilite aussi les exportations de la maladie hors zones d’endémie.
Et la suite ?
Selon l’OMS, l’apparition simultanée de tous ces cas hors zone d’endémie pourrait être en faveur d’une transmission à bas bruit pendant une durée indéterminée, suivie d’évènements plus récents amplificateurs. Parmi ces évènements, certains évoquent notamment un festival gay, Maspalomas Pride, ayant eu lieu du 5 au 15 mai dans les îles Canaries avec 80 000 personnes de toutes nationalités. Le nombre de cas serait probablement sous-estimé, indique l’OMS, en partie en lien avec une possible mauvaise détection précoce, puisque la maladie ne sévissait qu'en Afrique jusqu’à présent. Les signalements vont très probablement se poursuivre, avec de nouveaux pays touchés, « sans chaînes de transmission identifiées, y compris potentiellement dans d’autres groupes de population ». Selon Nadia Haddad, on ne peut exclure non plus l’hypothèse de mutations virales favorisant la transmission interhumaine. Pour l’ECDC5, le risque de diffusion au sein de la population générale des pays européens, est considéré comme « très faible ». Cela « conduit à un risque global faible pour la population générale », disent les experts. À l’exception potentiellement des jeunes enfants, femmes enceintes, personnes âgées et personnes immunodéprimées, qui pourraient être plus à risque de développer une clinique sévère. Par contre, le risque de diffusion est considéré comme « élevé » pour les personnes ayant des partenaires sexuels multiples, avec un risque pour la santé « modéré », sachant que « le nombre de cas signalés est trop faible pour permettre une estimation fiable des taux de morbidité et de mortalité graves ». Pour contrer la transmission, les moyens de lutte sont classiques : identification précoce des malades et cas contacts, mesures d’isolement, traitements antiviraux, protections individuelles pour les personnes à risque d'exposition… et enfin vaccination des cas contacts. Les vaccins disponibles sont ceux contre la variole humaine, avec une efficacité estimée à 65 %. En France, la vaccination des cas contacts a débuté dès la fin du mois de mai. La vaccination de masse n’est pas à ce stade recommandée.
Peu de risque de réservoir animal
Mais une question de taille reste en suspens : la maladie peut-elle s’installer durablement hors d’Afrique avec l’installation d’un réservoir animal ? Ou au moins des animaux pourraient-ils jouer le rôle « d’hôtes de liaison » ? Au vu des données disponibles du terrain et du laboratoire, « le risque d’infection d’animaux hors d’Afrique est très faible », a indiqué Nadia Haddad, mais toujours possible théoriquement pour certaines espèces, en particulier les sciuridés (écureuils). Notons aussi que les lapins de compagnie, notamment lapereaux, ont montré une forte sensibilité en laboratoire. Face à un risque qui reste donc très improbable, elle recommande tout de même le principe de précaution, avec des mesures classiques d’hygiène et biosécurité, notamment l’exclusion de contact entre malades et écureuils, autres rongeurs synanthropes6 (rat, souris) ainsi que chats et rongeurs de compagnie. Toutes ces mesures ont été bien détaillées dans un tout récent avis7 de l’Anses sur le sujet que Nadia Haddad a présidé. Il y est recommandé de maintenir les rongeurs et lagomorphes de compagnie en cage pendant la période d’isolement du cas humain, dans une pièce avec peu de passage et un nettoyage hebdomadaire à l’eau de Javel.
Le monkeypox, un nom trompeur
Il ne faut pas se fier au nom de la maladie. On parle de variole du singe, non parce que l’animal est le réservoir de la maladie, mais parce qu’elle a été découverte la première fois en 1958 sur des macaques… de laboratoire au Danemark ! Il s’agissait de singes asiatiques importés de Singapour, mais on suppose qu’ils avaient été contaminés par des singes africains. Sur le terrain, plusieurs espèces animales sont incriminées comme réservoirs possibles, mais sans réelles certitudes quant aux réservoirs majoritaires : des rongeurs africains notamment (cricétome des savanes, gerboises, rats communs à nez roux, loir africain) et aussi des écureuils africains. Les primates non humains sont considérés comme des hôtes accidentels.