Gestion d’épizootie
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Les autorités sanitaires ont dévoilé un plan d’action pour éviter une nouvelle épizootie de grande ampleur l’hiver prochain. Il laisse entrevoir le début d’une nouvelle ère pour les filières avicoles.
Avec presque 1 400 foyers en élevage, et environ 19 millions de volatiles abattus, l’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) 2021-2022 marquera probablement un tournant pour les filières avicoles françaises. Au lendemain d’une telle crise, et dans un contexte où la maladie pourrait devenir saisonnière, voire enzootique, l’enjeu n’est, en effet, rien d’autre que celui de la durabilité des élevages. Quelles solutions ? Elles sont forcément multiformes, comme le montre le nouveau plan1 d’action de lutte contre la maladie dévoilé fin juillet 2022 par le ministère de l’Agriculture. Deux niveaux de temporalité sont définis : des mesures immédiates, pour éviter que la situation ne dérape comme l’hiver dernier ; car passé un certain seuil, on ne pourra plus gérer efficacement l’épizootie. Et des mesures plus structurelles à envisager sur le long terme, pour minimiser les crises de grande ampleur. En toile de fond, formaliser le plus possible l’organisation de gestion de crise et bien définir les responsabilités de chacun. Dans cette optique, chaque mesure de lutte a été associée à une ou des parties prenantes pour son pilotage. Une des mesures est de « mieux définir les rôles et responsabilités des différents acteurs ».
Renforcer la surveillance
D’ici le début de l’hiver prochain, il s’agira déjà d’améliorer les dispositifs de surveillance pour une détection plus précoce des foyers. Les moyens actuels ont, en effet, des angles morts ayant facilité la diffusion virale, a indiqué l’Anses dans son retour d’expériences de crise2. Pour la surveillance événementielle, le problème est que la maladie peut se développer à bas bruit chez les galliformes, et/ou avec des signes cliniques peu spécifiques au départ ; il y a aussi une excrétion préclinique chez les palmipèdes. La surveillance programmée, telle qu’organisée aujourd’hui, n’a, de plus, pas pu éviter des mouvements d’animaux infectés. Les nouvelles modalités de surveillance seront définies dans un prochain arrêté ministériel, en association avec la mise à disposition de kits de dépistage environnementaux avant l’automne. Dans cette optique, le libre accès des données des établissements pour les services de l’État, dont les données sur les mouvements d’animaux, est une action urgente. À ce jour, il n’existe pas de base de données centralisée ; toutefois, la dernière feuille de route influenza aviaire de juillet 2021 avait rendu obligatoire la télédéclaration des sites de production et des mouvements.
Consolider la biosécurité
Autre point urgent et central du plan de lutte : la biosécurité. Des failles persistent, a souligné l’Anses. Dans le Sud-Ouest, si la biosécurité progresse dans tous les secteurs (transport, élevage…), « on constate toujours des failles importantes dans certains élevages : mauvaise observance du sas, mise en contact des lots avec le milieu extérieur, mise à l’abri des lots insuffisante (bâtiment semi-ouvert, ouvertures pour aération non grillagées), etc. Cela semble être à la fois le résultat d’une grande difficulté à appliquer les règles de biosécurité dans les exploitations avec de multiples petits bâtiments, mais également d’une compréhension imparfaite des concepts de la biosécurité et de leur application ». Ces manquements de biosécurité sont de la responsabilité des professionnels, lesquels vont piloter l’élaboration d’ici l’hiver, de grilles d’audits pour chaque espèce, des guides de bonnes pratiques, ou outils d’aide à la mise en œuvre des plans de biosécurité, avec un objectif d’évaluation annuelle de la biosécurité dans les exploitations. En parallèle, l’État va élaborer un nouvel arrêté pour la reconnaissance des audits et organismes certificateurs. L’élaboration d’une instruction technique dédiée aux règles d’indemnisations suivant le niveau de biosécurité a aussi été actée. D’ici fin août est aussi prévu de faire un état des lieux du réseau de stations de lavage et de désinfection, pour identifier les zones où en implanter de nouvelles. Si la mise à l’abri reste de mise, une saisine de l’Anses pour « analyser les propositions d’évolution pour les mises à l’abri formulées par les professionnels » est tout de même annoncée.
Mieux gérer les dépeuplements
La gestion des abattages est un autre axe du plan de lutte. Selon l’Anses, un débordement des capacités d’euthanasie et d’élimination des cadavres dans une zone à forte densité d’élevage, permet le maintien et la diffusion de l’infection « car il conduit à maintenir en vie des animaux fortement excréteurs » : « c’est ce qui s’est produit dans le Grand Ouest qui recense à ce jour près de 900 foyers et plus de 11 millions de volailles abattues. » Au-delà de l’excrétion, ce sont des animaux « malades et en souffrance », qui ont été laissés « pendant de longs jours dans les élevages. Ce sont des situations incompatibles avec le respect du bien-être animal, mais également sources de mal-être et de traumatisme pour les éleveurs ». Dans le plan, il est prévu de revoir les marchés publics pour le dépeuplement et la collecte des cadavres, avec en priorité un marché complémentaire à l’automne pour gazage en bâtiments.
La vaccination fait évidemment partie des mesures listées : elle ne sera bien sûr pas opérationnelle pour l’hiver prochain. Seuls les palmipèdes sont concernés par les essais vaccinaux.
La biosécurité ordinaire ne suffit pas
Mais le plus gros travail sera celui de la refonte de l’organisation des filières. En période de crise, dans le Sud-Ouest, « la survenue d’une infection avec un virus IAHP hautement contagieux, dans une zone extrêmement dense d’élevages comportant de nombreuses unités d’élevage de canards, espèce très réceptive aux virus IAHP et très excrétrice, conduit à ce que la biosécurité ordinaire en élevage ne suffise pas à maîtriser la diffusion de l’infection. Il semble toujours nécessaire de réduire drastiquement les densités d’élevages et le nombre de canards par élevage en période à risque, ainsi que les mouvements d’animaux et les distances de transport, en veillant à préserver les zones indemnes », a souligné l’Anses.
Même chose dans le Grand Ouest, malgré le niveau élevé de la biosécurité, « l’épizootie n’a pu être évitée, ce qui amène à considérer que face à une telle pression virale environnementale, les mesures de biosécurité ordinaire, voire élevée, ne suffisent pas. Dans cette zone, la multiplicité des productions, associée à la multitude d’opérateurs des filières correspondantes, intervenant dans toutes les activités d’élevages, est très probablement le facteur de risque principal de la diffusion dans le Grand Ouest. »
Définir l’élevage de demain
De fait, à court terme, des mesures de réduction de la densité de production en période et dans les zones à risque sont actées. Cette baisse de densité avait déjà eu lieu l’hiver dernier dans le Sud-Ouest, mais cela s’était accompagné de densités maximales dans le Grand Ouest pour compenser. Pour l’hiver prochain, les professionnels du Sud-Ouest se sont mis d’accord sur le plan Adour. Il vise la non-mise en place dans 68 communes les plus denses (inclus la Chalosse) de canards à gaver du 15 décembre au 15 janvier sauf élevages autarciques, soit 80 % des lots non mis en place. En association avec une réduction de densité de 40 % en volailles de chair dans 20 communes. Ce plan doit être encore faire l’objet d’un accord interprofessionnel et être validé par l’État. Dans le Grand Ouest, un plan aussi précis n’a pas été défini, mais une maîtrise des densités pourrait être envisagée, avec un renforcement des dispositions autour des sites sensibles.
À plus long terme, c’est toute une réorganisation structurelle, organisationnelle et donc économique des élevages qui est attendue : un groupe de travail sera chargé d'élaborer une feuille de route avec de grandes orientations sur l’élevage de demain.