Zoonose
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Valentine Chamard
Après le Royaume-Uni, la France connaît actuellement une flambée des cas de brucellose canine dans les élevages. L’explosion des importations de chiots depuis les pays de l’Est et l’e-commerce expliquent ce phénomène, dans un contexte d’augmentation des demandes. Le diagnostic et le traitement sont difficiles. Si aucun cas humain n’est (encore) recensé en France métropolitaine, il convient d’être vigilant vis-à-vis de ce risque sanitaire.
La brucellose canine est émergente en Europe. La France ne fait pas exception, avec cinq foyers déclarés dans des élevages ces deux dernières années. Face à ce constat, l’Anses a organisé un webinaire le 7 juillet1 afin de sensibiliser les praticiens à cette nouvelle donne. Il a été présenté par Claire Ponsart, responsable du Laboratoire national de référence (LNR) pour la brucellose à l’Anses, et Alain Fontbonne, professeur à l’Unité de médecine et du sport (Umes) de l’ENVA, secteur reproduction et élevage des carnivores domestiques.
L’Europe de l’Ouest touchée après des importations d’Europe de l’Est et des États-Unis
Jusqu’à présent, la brucellose canine était endémique en Amérique, en Asie et en Australie. Les cas en Europe étaient rares jusqu’en 2018 (deux élevages infectés en France en 1998 et 2016, cas isolés en Italie, Suède, Finlande, Pologne, Autriche et Hongrie, entre 2008 et 2017). Une enquête rétrospective de 20192 sur la situation en Europe montre que la présence de B. canis montre que la situation est en train de changer. En effet, 5,4 % des prélèvements (2 750, dans 13 pays) comportent des anticorps dirigés contre B. canis, et la PCR s’est révélée positive pour 3,7 % des prélèvements (1 657), avec des disparités selon les pays (11,1 % en Espagne, 6,7 % en Pologne, 0,8 % en France). Les études se multiplient depuis, allant dans le même sens. En France, depuis 2020, ce sont ainsi trois cas isolés qui sont recensés par l’Anses (isolement dans la semence d’un mâle american bully reproducteur importé en France des États-Unis pour des saillies (et « disparu » à l’annonce des résultats…), chez une femelle border stérilisée de 3 ans, importée de Roumanie, atteinte de discospondylite persistante et un chiot american bully de 5 mois importé dans un élevage français) ; mais aussi dans cinq élevages au cours des huit derniers mois (un sixième est en cours d’investigation). Plusieurs foyers font suite à l’importation de chiens de Bulgarie, Roumanie, Russie et États-Unis. Le Royaume-Uni caracole en tête, avec 87 cas dénombrés en 2020-2021, chez des animaux importés de Roumanie, et déjà plus de 20 en 2022. Aux-Pays-Bas, une étude chez des chiens importés d’Europe de l’Est entre 2016 et 2018 fait état de dix notifications de cas et huit portées atteintes, avec un premier cas humain. L’Italie rapporte un premier élevage infecté, avec 269 chiens séropositifs (46,1 % de la population). « L’e-commerce et l’explosion des demandes depuis la crise de Covid, avec les importations qui s’ensuivent3, représentent un risque majeur d’augmentation de l’introduction de la bactérie en Europe », prévient Claire Ponsart.
Les écoulement vulvaires, source majeure de contamination
Contrairement à ce qui a longtemps été cru, la voie vénérienne ne serait pas la voie principale de contamination chez le chien. Celle-ci serait surtout oro-nasale, conjonctivale, voire respiratoire, ce qui expliquerait la dissémination dans les élevages. La principale source de contamination sont les fœtus avortés et les écoulements vulvaires, avec des doses infectantes extrêmement élevées (500 doses/ml). Après un avortement, les écoulements vulvaires (y compris pendant les chaleurs et après la mise-bas) peuvent rester infectants jusque pendant six semaines. La semence comporte également une forte charge bactérienne dans les huit semaines suivant l’infection, voire de façon intermittente pendant plusieurs années, parfois sans symptôme associé. La bactérie peut aussi être excrétée dans les urines pendant un an et demi (mais avec une charge bactérienne bien inférieure à celle de la semence). « Elle serait donc une source possible mais secondaire de contamination, avec un risque plus important depuis l’urine des mâles, par recontamination des voies urinaires par les sécrétions prostatiques », souligne Alain Fontbonne. La contamination peut aussi être indirecte, depuis l’environnement (aires d’habitation, gamelle, etc.) pour les chiens de chenil. La bactérie peut survivre jusqu’à deux mois dans l’environnement si la température est fraîche et en présence de déchets organiques, voire quatre mois dans un sol humide. Elle est sensible aux désinfectants usuels (attention au temps de contact). Il existe d’autres sources potentielles de contamination : lait, transfusion sanguine, vecteurs passifs comme le matériel d’insémination. Qu’en est-il des chiots ayant survécu à l’infection comme source de contamination ? « Les données sur la brucellose canine néonatale sont limitées », explique notre confrère, précisant que les cas asymptomatiques de chiots ayant survécu après une infection prénatale, mais néanmoins contaminants, ont été décrits. Il est probable que pour ces cas l’urine soit la source contaminante, par infection des tubules rénaux. Notre confrère souligne également la préoccupation actuelle concernant la contamination possible à partir des chiens castrés mais infectés, importés des refuges ou d’associations de protection animale d’Europe de l’Est.
Penser brucellose lors de douleurs articulaires
La fièvre est rarement présente chez le chien. Une fatigabilité ou un mauvais état général peuvent faire suspecter une brucellose. Des symptômes non spécifiques mais plus évocateurs sont une lymphadénite (en particulier une hypertrophie du ganglion rétro-mandibulaire) et une atteinte des organes connus pour pouvoir fixer des immuns complexes : spondylodiscite, ostéomyélite vertébrale, boiteries, méningite, endocardite, uvéite, etc. En élevage, les signes génitaux sont les signes d’alerte. Chez la chienne, il s’agit d’avortements (avec fœtus autolysés), de résorptions embryonnaires, de mortalité néonatale (avec des chiots qui peuvent survivre et présenter une lymphadénite à la puberté). Chez le mâle, l’orchite n’est pas souvent rencontrée (elle évolue à bas bruit et se traduit par une diminution de la taille du testicule, parfois associée à une dermatite scrotale ulcérative), contrairement à l’épididymite, beaucoup plus fréquente, ou la prostatite. Le développement d’une épipidymite passe souvent inaperçu (se traduisant par un simple inconfort et une altération du spermogramme). Les chiens présentent des problèmes d’infertilité. « De nombreux chiens infectés sont asymptomatiques », insiste notre confrère.
De nombreux outils diagnostiques à disposition
De façon classique, deux types de tests sont disponibles : indirects et directs. Les premiers font appel à la sérologie (détection des anticorps dirigés contre B. canis), avec comme avantage un coût abordable et un intérêt pour le dépistage et le suivi (toutes les 4 à 6 semaines pour suivre l’évolution des titres en anticorps), mais comme défaut le risque de faux positifs ou faux négatifs (animal en période d’incubation ou infecté de façon trop ancienne). « L’idéal est d’envoyer au laboratoire le sérum sur tube sec à température ambiante ou congelé si l’analyse ne peut pas être réalisée dans les 48 heures. Le sang total ou conservé au réfrigérateur n’est pas un bon échantillon pour les analyses sérologiques », précise Claire Ponsart, qui souligne que le kit rapide de Kitvia (immunochromatographie) présente une bonne sensibilité et spécificité en première intention.
Pour la mise en évidence directe de la bactérie (ou de son ADN), les prélèvements possibles sont les écouvillons vaginaux (à la suite d’un avortement, d’une mortinatalité ou lors des chaleurs), les produits d’avortement ou les chiots mort-nés, les organes génitaux lors de stérilisation et le sang total (à prélever sur tube citraté). « Il est possible de prélever aussi l’urine, la semence, le lait, etc. : multiplier les prélèvements augmente la sensibilité », poursuit la conférencière. En cas d’envoi, il convient de placer le prélèvement dans un emballage réglementaire (UN3373). La mise en évidence directe de la bactérie (ou de son ADN) fait appel à la bactériologie (méthode de référence, qui permet le génotypage des souches, et donc la surveillance de l’évolution de la maladie, mais peu sensible et longue, au minimum dix jours), à la biologie moléculaire (mais les protocoles ne sont pas standardisés, avec un risque de non-détection et permettent seulement d’identifier le genre Brucella) et Maldi-Tof-MS (identification du genre Brucella par spectrométrie de masse, mais peu spécifique pour B. canis et confusion possible avec Ochrobactrum). « Ainsi, les tests directs, peu sensibles, sont utiles pour confirmer une infection (animaux avec symptômes ou sans symptômes mais séropositifs), le génotypage et la surveillance des souches », explique Claire Ponsart. En pratique, il est utile d’envisager deux conduites à tenir, selon que l’animal présente ou non des symptômes (voir tableau).
Euthanasier ou suivre à vie
La première mesure à appliquer en élevage lorsqu’un chien est séropositif est d’isoler tous les animaux qui le sont aussi et de dépister l’ensemble du chenil. « C’est une galère de six mois ! », prévient Claire Ponsart. Car les saillies doivent être arrêtées et les animaux suivis, avec des séroconversions qui peuvent intervenir six semaines après la contamination. Deux options sont alors possibles. La première est l’euthanasie des chiens infectés, qui pose bien sûr des problèmes éthiques, mais qui est radicale pour l’arrêt de la chaîne de transmission et permet de s’affranchir de l’utilisation d’antibiotiques, peu efficaces (voir infra). L’autre possibilité est de stériliser les animaux et de les traiter avec des antibiotiques. Cela diminue temporairement l’excrétion, mais ne garantit pas la guérison de tous les animaux. L’antibiothérapie recommandée (cf. infra) est longue et toxique et les animaux doivent être isolés et suivis à vie (ce qui pose la question de leur placement et du consentement éclairé des adoptants).
Un traitement long, toxique et peu efficace
La bactérie est difficile à éradiquer. « Beaucoup d’essais ont été réalisés, mais aucun consensus n’a été obtenu », témoigne Alain Fontbonne. La stérilisation est le premier volet du traitement, le deuxième étant l’antibiothérapie, « sans garantie d’efficacité », beaucoup d’animaux restant infectés à vie. La monothérapie fonctionne mal. Les études sont en faveur d’une bithérapie, avec une tétracycline et un aminoside (quatre semaines pour la première et gentamicine la première et quatrième semaine). Ce qui implique un suivi compte tenu de la toxicité hépato-rénale des aminosides. Certains auteurs recommandent l’emploi d’une troisième molécule, la rifampicine. Le suivi implique un test un et trois mois après l’arrêt du traitement, au minimum. « De nombreux animaux restent contaminés à vie malgré le traitement, même s’ils sont redevenus séronégatifs », rappelle le conférencier.
Une prévention basée sur la quarantaine
Il n’existe pas de vaccin contre la brucellose canine. Pour protéger le chenil, la seule mesure possible est la mise en place d’une quarantaine pendant six à huit semaines avant toute nouvelle introduction, avec un test sérologique au début et à la fin de celle-ci. Les chiens reproducteurs doivent par ailleurs être régulièrement testés, de même lors de tout trouble de la reproduction, de spondylodiscite, uvéite et tout signe évocateur. « Il serait même pertinent de rendre les tests obligatoires pour les reproducteurs, surtout les mâles, au moins deux fois par an », estime Alain Fontbonne.
Quelles Brucella chez le chien ?
Six espèces de Brucella, coccobacille à Gram négatif, sont classiquement recensées, avec des préférences d’hôtes, dont quatre peuvent infecter le chien. Si B. canis est majoritaire chez le chien, B. abortus, B. melitensis et B. suis peuvent aussi être identifiés. À noter que B.<0x00A0>canis (et B.<0x00A0>ovis) est une forme dite rugueuse (par opposition aux formes lisses) en raison de la présence d’un polysaccharide de surface différent. Cela a une importance pour le diagnostic : les tests sérologiques (test immunochromatographique, agglutination en tube ou sur plaque, Elisa) utilisés chez le chien doivent être différents de ceux employés chez les ruminants (épreuve à l’antigène tamponné, Elisa, fixation du complément) sous peine de faux négatifs. Les espèces rugueuses sont moins virulentes.
Un risque de santé publique
Le Haut Conseil de la santé publique ne recense que 19 cas humains en France depuis 1966, qui se sont en grande majorité contaminés lors d’un voyage en zone endémique. « Toutefois, les espèces rugueuses, dont B. canis, ne sont pas recherchées lors du diagnostic sérologique chez l’humain. Il est probable qu’il y ait un sous-diagnostic », souligne Claire Ponsart. Si les cas chez le chien se développent en Europe actuellement, seuls deux cas ont été recensés récemment (2022) chez l’humain en Europe (une éleveuse aux Pays-Bas et une femme en Angleterre après l’adoption d’un chien provenant de Biélorussie). « Cependant, si l’incidence augmente chez le chien, comme c’est le cas actuellement, il faut s’attendre à de possibles autres cas chez l’humain », prévient-elle. Les symptômes, non spécifiques, sont les mêmes pour toutes les infections à Brucella spp. (fièvre intermittente, perte d’appétit, maux de tête, douleurs articulaires, etc., avec un risque de passage à la chronicité). La contamination a lieu par contact direct avec les liquides biologiques, sur peau lésée, via les muqueuses ou par voie respiratoire. Les situations à risque sont un contact avec un chien contaminé, lors de la mise-bas, d’une chirurgie obstétricale ou articulaire, les produits d’avortement, les prélèvements de semence. La prévention passe par des règles d’hygiène (port de gants, lavage des mains, etc.), voire d’un port de masque FFP2 lors de situation à risque. L’antibioprophylaxie n’est pas recommandée.
Contacter l’Anses au moindre doute
Le laboratoire de référence pour les brucelloses animales se tient à la disposition des vétérinaires pour toute question, avec une adresse mail appropriée : bcanis@anses.fr.
Le laboratoire va également mettre en place un protocole, dont l’objectif est d’étudier la prévalence de la maladie, de suivre les animaux infectés et traités et de mieux comprendre l’évolution de la maladie chez les jeunes chiens. Un panel d’élevage, avec ou sans symptôme, sera inclus.
Une maladie à déclaration obligatoire
B. canis est listée dans l’annexe I de l’arrêté du 3 mai 2022 listant les maladies animales réglementées d’intérêt national en application de l’article L.221-1 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM). Ainsi, les suspicions et infections confirmées doivent être déclarées aux directions départementales de la protection des populations (DDPP) et le préfet peut demander une mise sous surveillance. Lors d’importation de semence en provenance de pays tiers, les chiens prélevés doivent subir une sérologie dans les 30 jours précédant la prise de semence.
Quels laboratoires pour les analyses ?
Les analyses sérologiques sont proposées par différents laboratoires privés ainsi que les laboratoires vétérinaires départementaux. Ces analyses de laboratoire ne sont pas encadrées par un agrément comme pour les contrôles officiels réalisés chez les ruminants : les tests proposés et les performances diagnostiques peuvent varier en fonction des laboratoires.
Pour le diagnostic direct (recherche de la bactérie ou de l’ADN), il faut noter que B. canis est listée comme bactérie de classe 3, ce qui nécessite des mesures techniques de prévention, notamment de confinement, à mettre en œuvre dans les laboratoires où les travailleurs sont susceptibles d’être exposés à ces agents biologiques pathogènes. Par ailleurs, Brucella canis est soumise à la réglementation des micro-organismes ou toxines hautement pathogènes (MOT, cf. Code de la santé publique, R. 5139-2).
En cas de suspicion ou de résultat sérologique positif, il est recommandé de faire les prélèvements complémentaires. La recherche et l’isolement de souches doivent être réalisés dans les laboratoires autorisés pour la culture de Brucella. L’identification des souches est faite par le LNR de référence pour la brucellose (Anses, Maisons-Alfort).