DOSSIER
Auteur(s) : Par Chantal Béraud
De nouveaux textes entourant l’usage de la télémédecine vétérinaire ne sont toujours pas parus, notamment parce qu’en exercice rural, la réflexion sur la réforme du suivi sanitaire permanent est encore en cours. Le point sur ce que l’on sait… ou pas.
Par un décret paru en mai 2020, l’État lançait, dans le contexte de Covid-19, une expérimentation de 18 mois de la télémédecine vétérinaire1. Suivie ensuite d’une période de prolongation… En cette rentrée 2022, force est de constater qu’aucune décision officielle n’a encore été prise pour lui donner un cadre réglementaire définitif. « Le dossier de télémédecine vétérinaire est actuellement en suspens. Il est intimement lié aux discussions qui sont en cours, en rurale, sur le suivi sanitaire permanent (SSP). Les textes relatifs à la télémédecine vétérinaire ne paraîtront que lorsque les nouvelles modalités du SSP seront établies. Je ne peux en l’état davantage communiquer sur ce sujet. » Ce bref commentaire émane de Denis Avignon, vice-président du Conseil national de l’Ordre vétérinaire, en charge de ce sujet pour cette institution.
Un flou juridique
Alors, on en est vraiment là ? « Actuellement, nous sommes effectivement dans un flou juridique » confirme David Quint, vice-président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), également membre du comité de pilotage de l’expérimentation de la télémédecine. Et de « remonter » dans le temps pour expliquer cette situation assez ubuesque : « Pour rappel, c’est lors d’une réunion fin 2020 que le précédent ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, avait entendu la demande du président du SNVEL, Laurent Perrin, de remettre la publication d’un décret définitif sur la télémédecine afin de permettre la tenue de travaux annoncés sur la réforme du SSP et du décret de 2007 portant sur la prescription hors examen clinique. Ceci afin de clarifier les points sujets à controverse et d’éviter notamment que la télémédecine ne puisse être utilisée comme un outil de contournement de la présence des vétérinaires en élevage. Pour ce faire, le ministre a souhaité une prolongation de l’expérimentation de 18 mois, mais encore une fois, effectivement, ces délais sont aujourd’hui dépassés, puisque les discussions afférentes aux réformes sont encore en cours. »
Interrogé, le ministère de l’Agriculture n’a communiqué aucune date pour le futur cadre réglementaire. De plus, officiellement, on ne sait pas sur quoi porte exactement actuellement le contenu des discussions ou quelles sont les « avancées » obtenues.
Des craintes
Même plusieurs praticiens exerçant en rurale n’ont pas souhaité répondre à nos interrogations sur leurs pratiques de terrain. L’un d’eux s’en excuse ainsi : « Ce sujet polémique me met mal à l’aise. Je vous conseille de contacter plutôt mon autre collègue qui a participé à des essais sur la télémédecine avec la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). » Et son confrère de nous répondre : « Oui, mais malheureusement, je n’ai pas assez de retours pour justifier un témoignage dans la presse… ».
Une seule chose est certaine : les oppositions ou différences entre les uns et les autres tiennent notamment à quels actes doivent absolument n’être autorisés qu’en présentiel dans le SSP, et quels autres pourraient être autorisés en téléconsultation à distance. Anonymement, un praticien explique aussi : « En rurale comme en canine, certains vétérinaires craignent qu’il n’apparaisse une régulation téléphonique en amont, qui leur détourne la clientèle, du style Doctolib. Et qu’il ne se développe hors de leurs cliniques du téléconseil ou de la vente de médicaments concurrents. »
« En rurale, il y a aussi la peur que certains vétérinaires continuent d’aller sur le terrain faire le “boulot”, SSP, césariennes, soins d’urgence… mais que tout le reste soit “capté” par des vétérinaires (ou même par des non-vétérinaires), qui eux ne travailleraient uniquement qu’à distance, poursuit-il. Ce qui mettrait donc en péril le maillage vétérinaire. »
La question de la prescription
« Ces craintes nous sont remontées », confirme David Quint. Il ajoute : « En parallèle du groupe de travail inter-organismes professionnels vétérinaires2, notre syndicat a recueilli d’autres retours d’expérience sur le terrain. Il a permis des échanges, essentiellement sur les dérives possibles, mais peu de cas concrets ont été documentés. Nous restons cependant vigilants si de tels retours négatifs arrivaient maintenant. Nous en tenons également compte pour nos réflexions sur le SSP, considérant que la télémédecine sera probablement un élément de ce SSP réformé. »
Sur un éventuel effet boostant de la télémédecine sur la vente à distance des médicaments hors consultation, il veut rassurer : « La télémédecine n’est accessible qu’au vétérinaire qui suit l’animal, qui le connaît. Elle est un outil à la disposition du praticien pour améliorer ce suivi. » Ce cadre posé, il semble totalement contre-productif d’interdire la prescription lors d’une téléconsultation, car cela irait à l’encontre du principe même de la télémédecine : « Restreindre la prescription contreviendrait à cet usage et en limiterait fortement l’intérêt pour ceux qui y voient des opportunités. Par ailleurs, il n’y a pas eu de consensus visant à la restriction entre organisations professionnelles vétérinaires (OPV) et Direction générale de l’alimentation (DGAl). Enfin, l’article R. 5141-111 du Code de la santé publique précise simplement que “ toute prescription de médicaments […] est rédigée, après un diagnostic vétérinaire ”, qui est établi après un examen clinique (ou dans les conditions du décret de 2007 sur la prescription hors examen clinique) qui peut être établi grâce à la télémédecine puisque c’est son but… ».
Ne pas brider les innovations
Le décret d’expérimentation établissait déjà plusieurs garde-fous (voir encadré). « Nous veillons à ce que ces limites soient protectrices pour notre profession, commente David Quint. Mais nous essayons aussi que ces limites ne brident pas des projets qui peuvent être utiles, soit au développement d’une amélioration de l’accès aux soins, soit pour un meilleur appel à des spécialistes, en lien avec le vétérinaire traitant. N’importe quel vétérinaire ne peut pas consulter à distance un animal dont il n’a pas la connaissance et/ou dont il n’assure pas le suivi. À distance, tout ne peut pas être fait et un certain nombre d’examens ne sont pas réalisables. Il y va de la crédibilité de la profession et ces limites, même si elles rencontrent certaines oppositions, se veulent réellement protectrices des vétérinaires mais aussi et surtout de leurs clients ainsi que des animaux soignés. »
Et d’argumenter encore : « Donc oui, assurément, la télémédecine est un outil potentiellement très utile : pour l’amélioration du suivi des patients, pour gagner du temps, surtout en ces temps de pénurie de diplômés… Cependant, comme il existe aussi des initiatives qui flirtent avec ces limites, les conseils de l’Ordre restent vigilants sur ces questions. L’ensemble de la profession doit se montrer attentif pour que le cadre soit clairement établi et respecté. »
Décider pour ne pas être évincé
Étant donné qu’en santé humaine, la télémédecine est autorisée, il semble plus qu’improbable que l’État l’interdise pour la santé animale. De fait, si les négociations en cours semblent vouloir encore traîner en longueur, la profession ne risque-t-elle pas de rater un cap important, à force de vouloir peut-être se surprotéger ? Oui, opine David Quint. Et de conclure sur une forme d’avertissement : « C’est pourquoi, maintenant, un équilibre est à trouver pour éviter à la fois les dérives et la perte d’intérêt ! Sans compter que si la profession n’organise pas la télémédecine, il est à craindre que d’autres ne le fassent pour elle… ». Au-delà de l’outil stricto sensu, la télémédecine s’inscrit dans la transition en cours des modèles vétérinaires et agricoles. Ce dont témoigne Julie Fontaine, praticienne avicole et cunicole à Bressuire, dans les Deux-Sèvres (voir témoignage) : « Dans certaines situations, utiliser de la télémédecine procure indéniablement un intéressant gain de temps. Par exemple quand c’est l’éleveur lui-même qui peut nous envoyer les images pour une autopsie, cela évite au vétérinaire de se déplacer. Face au regrettable développement de déserts vétérinaires ruraux, c’est important ! » Dans le même temps, la facture devient également plus « verte », grâce à moins de carburant dépensé et moins de pollution générée à la clef, dit-elle. Dans cette transition, repenser le modèle économique de la rurale est un défi, dans lequel l’insertion de l’outil de la télémédecine pourrait donc trouver sa place.
JULIE FONTAINE (Nantes 2006)
Praticienne avicole et cunicole à Bressuire (Deux-Sèvres)
Au sein du réseau Cristal1, je suis chargée d’évaluer ce que la télémédecine peut nous apporter en pratique. Mais pour davantage développer des solutions partagées dans notre réseau, il faudrait vraiment que la profession définisse quelle est la valeur juridique d’un acte en télémédecine et quel est son positionnement dans un suivi sanitaire. Nous sommes donc en attente du futur règlement pour pouvoir réellement déployer ce système…
De notre expérimentation des mois passés, nous pouvons cependant dès aujourd’hui tirer différentes conclusions. Par exemple, comme nous travaillons dans toute la France, il apparaît déjà que, dans certaines zones géographiques, faire une téléconsultation en vidéo est encore impossible, car les images sont trop hachées ou trop floues. Personnellement, j’utilise aussi un logiciel de saisie de compte-rendu que j’ai sur mon téléphone portable. En quelques minutes seulement, et en cochant des cases, j’édite un document qui permet à moi et à l’éleveur de conserver tout l’historique de ma visite ou de ma téléconsultation, avec ses conclusions. Enfin, en dernier lieu, j’ai expérimenté que la télémédecine peut parfois engendrer de nouvelles demandes de services. Par exemple, en état de crise d’influenza aviaire, l’administration m’a demandé de réaliser une dernière téléconsultation pour vérifier une ultime fois la bonne santé des volailles, 24 heures avant leur envoi à l’abattoir.
OLIVIER PERROY
Cofondateur de la plateforme LinkyVet
Nous attendons que la législation puisse définitivement autoriser la télémédecine sous toutes ses formes, tout en protégeant la profession vétérinaire. Nous souhaitons par exemple qu’un client puisse réaliser une téléconsultation avec un spécialiste sans forcément l’avoir vu physiquement au préalable, ne serait-ce que pour ainsi résoudre de possibles problèmes liés à de longs déplacements… Car, s’il y a trop de restrictions, je pense que ces dernières encourageront les fraudes, et la profession se retrouvera alors encore davantage en concurrence avec des plateformes dites de conseil. Et la frontière entre un conseil et une consultation peut être ténue…
Concernant la rurale spécifiquement, il y a aussi de vrais usages intéressants à développer en télémédecine. Cependant, en dehors de quelques praticiens ruraux, il me semble que la profession vétérinaire n’est pas encore prête à adopter des changements. Pourquoi ? Certes, je reconnais qu’il peut y avoir comme explications quelques freins technologiques : couverture réseau insuffisante dans certaines zones géographiques, bâtiments d’élevage qui bloquent l’accès à la 4G… Mais je crois que c’est surtout la difficulté à modifier leurs habitudes qui représente le frein principal pour les praticiens en rurale… tout comme d’ailleurs pour certains de leurs confrères non encore convaincus par l’intérêt de la télémédecine en canine !
THIERRY POITTE (Toulouse 1983)
praticien canin à Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime), fondateur du réseau CAPdouleur
Rencontrant environ 1 000 praticiens par an lors de mes formations douleur, je me rends bien compte que le lancement de la télémédecine vétérinaire est laborieux. Face à moi, j’ai donc des praticiens motivés, soucieux de progresser dans le domaine de l’analgésie… mais que je sens encore interrogatifs sur l’intérêt de la visioconsultation, sa maîtrise technique et le temps qu’ils auraient à y consacrer. Je ne partage pas leurs doutes puisque, pour ma part, via la fibre et la plateforme LinkyVet, j’utilise aujourd’hui régulièrement un outil facile et fiable. La visioconsultation me permet de compléter mon examen clinique par une évaluation de la douleur de l’animal, au sein de son milieu familier, sans le stress de l’animal ni celui, parfois du propriétaire venant à la clinique. Ainsi, au plus près de la réalité de leur quotidien, les conseils donnés dans le cadre de l’éducation thérapeutique gagnent en recommandations individualisées, qui tiennent aussi compte de la relation particulière et de la contagion émotionnelle unissant le propriétaire à son animal douloureux.
La téléconsultation en médecine rurale
Le décret d’expérimentation de la télémédecine vétérinaire du 5 mai 2020 avait instauré plusieurs restrictions d’usage pour la téléconsultation et la télésurveillance, dans son article 3 :
1° Dans le cadre du suivi sanitaire permanent, dès lors qu’une visite physique du troupeau a été réalisée depuis moins de six mois. Le conseil régional de l’Ordre compétent peut accorder une dérogation à un vétérinaire pour porter ce délai à douze mois maximum, lorsque cette prolongation permet d’assurer un meilleur service de la clientèle et est justifiée par des conditions liées aux particularités géographiques ou démographiques ainsi que par les besoins de la santé animale ou les intérêts de la santé publique vétérinaire.
2° Dans les autres cas, pour un seul animal, dès lors que celui-ci a fait l’objet, au cours des douze derniers mois, d’une consultation réalisée par le même vétérinaire ou par un vétérinaire exerçant au sein du même domicile professionnel d’exercice.