Emploi
ENTREPRISE
Auteur(s) : Par Jacques Nadel
La pénurie de vétérinaires et les difficultés de recrutement sont un mal qui ronge la profession. L’argent n’est pas la clef du problème pour les générations Y et Z. Alors comment attirer et garder ces jeunes collaborateurs ? Comment faire et par quoi commencer ? Voici quelques conseils.
La problématique du recrutement ne date pas d’hier. D’après une étude de 2018, 62 % des cliniques vétérinaires avaient déjà des difficultés de recrutement, ce chiffre montait à 79 % pour des vétérinaires salariés et baissait à 24 % pour des auxiliaires spécialisés vétérinaires. À l’avenir, la situation ne devrait pas s’arranger, car en retenant une hypothèse de croissance annuelle du marché de l’emploi de 3 %, le besoin global de vétérinaires chaque année devrait osciller entre 900 (jusqu’en 2025) et 870 en 2026 et 2027 (données étude Phylum 2019).
Ces difficultés, voire l’incapacité à recruter, ont des impacts forts sur le plan financier (temps passé pour rédiger les annonces, recruteurs et chasseurs de têtes), humain (surcharge de travail, burn-out) et relationnel (pression, stress).
Sur un marché en tension entraînant une surenchère sur les salaires, les Canadiens attirent les diplômés français en proposant des salaires deux fois et demie supérieurs à la grille de la convention collective. Recruter et garder un collaborateur, cela s’apprend et cela demande un peu d’engagement et d’implication !
Expert en management, en recrutement et en gestion de la relation client, Pierre Mathevet, de la société Tirsev, a dévoilé ses stratégies pour attirer des talents qui sont rares et recruter les meilleurs profils, lors des 21es Journées européennes de Roissy organisées par l’Association vétérinaire équine française (Avef). « Le meilleur recrutement, c’est celui que l’on n’aura pas à faire, fidéliser est donc un enjeu majeur », définit-il, ajoutant que suite à un départ, le délai moyen pour trouver un vétérinaire remplaçant est de dix mois.
Le système de la « hiérarchie inversée »
Aujourd’hui, la donne a changé. Le temps où il fallait définir le profil du poste, rédiger l’offre d’emploi, la publier sur une plateforme de l’emploi et espérer recevoir le plus de candidatures appropriées possibles – ce que l’on appelle « Post and Pray – publier et prier » – est révolu. Cette stratégie classique finit régulièrement en « Post and Cry – publier et pleurer ». L’entreprise qui mise uniquement sur le « Post and Pray » va se rendre compte, un jour ou un autre, que cette approche n’a que peu de succès. Particulièrement dans les métiers qui sont marqués par une forte pénurie de main-d’œuvre.
Pour trouver un maximum de candidats potentiels, l’offre doit être originale et visible sur tous les canaux (site de la clinique, de la presse professionnelle, les réseaux sociaux, etc.). En plus de cela, il y a un changement de paradigme pour les employeurs. « C’est à eux de se vendre et c’est le candidat qui vient faire le recrutement de votre clinique qui doit être en phase avec ses attentes », explique-t-il.
Entre l’offre et la demande, la hiérarchie s’est inversée : le candidat est maître du recrutement et prend toute liberté de choisir au mieux l’entreprise dans laquelle il veut travailler. La notion de talent à aller chercher l’emporte sur celle de poste à pourvoir. « Recruter n’est pas embaucher, c’est aller chercher des talents », insiste Pierre Mathevet. L’entreprise doit donc travailler ce qui la différencie positivement pour susciter la préférence.
L’employeur va devoir faire un travail d’introspection sur son entreprise : connaître les avantages de celle-ci qui seraient susceptibles d’intéresser les candidats, ce qui a poussé ses salariés à intégrer sa structure et à y rester. « Il faut les associer à ce travail car ils sont votre plus belle source d’information, vos meilleurs ambassadeurs et relais de communication (ils ont tous une page Facebook pour communiquer sur l’entreprise) », recommande-t-il.
Ce conseil en management donne d’autres éléments et idées d’actions qui permettent d’attirer de nouveaux talents : partir des attentes des jeunes générations pour « se vendre », être proactif, attractif et créer l’envie, « ce qui signifie aussi d’anticiper, être en recrutement ouvert permanent… et éventuellement piquer des talents à la concurrence », précise-t-il.
Par ailleurs, trop de recruteurs sous-estiment encore l’importance d’une bonne « marque employeur » (c’est ce qui permet d’exprimer ses valeurs et sa culture d’entreprise). Elle est fondamentale pour attirer les meilleurs candidats et il est indispensable d’en faire une priorité majeure.
S’intéresser aux jeunes générations
Pour recruter, il faut faire l’effort de s’intéresser aux jeunes générations (Y et Z) et d’intégrer leur mode de fonctionnement, leurs drivers, leurs leviers de motivations, leurs attentes, etc. Avant même le salaire, « leur premier souhait est une bonne ambiance de travail », rappelle-t-il. Concernant les raisons de rester dans une clinique pour les jeunes vétérinaires, ces derniers citent dans un ordre décroissant l’ambiance de travail (82 % de réponses), le statut (74 %) et le temps de travail (48 %), selon des données de Vetfutur 2019. Quant aux raisons de leur départ, la fin de leur contrat arrive en tête, devant le déménagement, la mauvaise ambiance et l’opportunité d’un CDI ailleurs (données Vet. Record 2016). Pour les jeunes ASV, le temps de trajet du domicile au travail est la première raison de partir d’une clinique (74 %), avant le salaire (48 %) et l’ambiance de travail (31 %).
S’appuyer sur sa « marque employeur »
Le vétérinaire va travailler l’attractivité de sa clinique grâce à sa « marque employeur » en s’appuyant sur deux composantes :
- une réalité sincère et honnête des valeurs de l’entreprise en phase avec les attentes des candidats. C’est sans doute le plus important, finalement : dans un monde des plus transparents, le décalage entre le discours et la réalité des faits pourrait avoir des conséquences désastreuses. « Si la recrue ne trouve pas ce qu’elle est venue chercher, elle s’en va, or, un recrutement raté coûte extrêmement cher, de 30 à 50 k€ », prévient Pierre Mathevet.
- une communication forte pour la faire savoir, essentiellement digitale. Il ne faut pas seulement être actif sur les réseaux sociaux, il faut aussi faire preuve d’inventivité, créer des contenus innovants pour soutenir sa « marque employeur ».
Une grande partie de la « marque employeur » repose sur la qualité des conditions de travail de la clinique, et ce sera aussi le premier sujet sur lequel se renseigneront les futurs candidats à l’embauche.
Un système de management collaboratif et une organisation inclusive sont une des pierres angulaires de cette marque. Le vétérinaire dirigeant doit être un leader inspirant et/ou un manager attentif, un mentor, un tuteur bienveillant et empathique. En présentant aux candidats des projets stratégiques concrets avec des délégations de tâches et de responsabilités, en appui d’une vision, il crée un environnement de travail favorable au développement de ces projets. Le nouveau salarié n’en sera que plus impliqué autour d’un projet commun porteur de sens. « Cependant, recruter n’est pas “open bar”, met-il en garde. Il est important de définir un poste avec des missions précises et un temps de travail. Il est important de déterminer au préalable au sein du collectif d’associés les points négociables (temps de travail, jours de travail, samedis matin…) et les points innégociables (gardes, minimum de temps de travail…). » Ensuite, pour les jours de travail et les gardes, il sera toujours possible d’offrir une flexibilité tout en respectant les engagements initiaux donnés lors de l’entretien de recrutement.
Enfin, l’attractivité d’une entreprise tient aussi au cadre de travail (salle de repos et de détente, zone conviviale pour partager les repas, vestiaires spacieux et séparés, côté écologie de la clinique…) et le bien-être de ses employés doit être au centre de la réflexion.