« Le fruit d’une tâche collective : l’ouverture de la voie d’accès aux écoles nationales vétérinaires par un concours post-bac. » - La Semaine Vétérinaire n° 1957 du 13/09/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1957 du 13/09/2022

École

ANALYSE GENERALE

Christophe Degueurce, professeur, a été renouvelé dans ses fonctions de directeur de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA). Il assure ainsi un second mandat depuis le 5 août dernier, pour une période de cinq ans. Ces dernières années ont été riches de concrétisations sur le campus alforien. Bilan avec Christophe Degueurce, et projection sur les enjeux de ce nouveau mandat.

Quelles concrétisations et réussites de votre premier mandat vous ont le plus marqué ?

Le fait le plus important pour moi est le fruit d’une tâche collective : l’ouverture de la voie d’accès aux écoles nationales vétérinaires par un concours post-bac. Cela porte tous les enjeux de transformation des études vétérinaires en termes de diversité sociale et géographique. Avec Parcoursup, la loi permet de réaliser une discrimination positive en faveur d’étudiants boursiers et favorise une meilleure répartition territoriale. Par la voie de la prépa biologie, chimie, physique et sciences de la Terre (BCPST), les lauréats proviennent notamment de métropoles alors que par la voie post-bac, nous observons une représentation plus forte des territoires ruraux.

En cette rentrée 2022, nous réunissons les étudiants de A1 et A2 et nous allons construire la première promotion issue de toutes les voies de recrutement.

La seconde réalisation est la rénovation et la restructuration du campus de Maisons-Alfort avec quatre bâtiments concernés en cinq ans (dont l’Agora, qui est ouverte depuis cette rentrée 2022).

Nous avons ouvert le site à des partenaires comme l’Office national des forêts (ONF), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), qui font sens. En effet, l’ONF gère la faune sauvage dans les forêts domaniales ; l’Anses dispose d’un laboratoire d’hygiène alimentaire qui accueille les étudiants vétérinaires et les deux établissements sont liés du point de vue de la recherche.

Autre enjeu : l’aménagement du campus équin en Normandie qui ouvrira en 2024-2025. Il disposera d’un important centre hospitalier pour la chirurgie et la médecine des chevaux. Nous pourrions garder la partie propédeutique et formation à la manipulation des chevaux sur le site d’Alfort.

La plateforme hospitalière est aussi un élément important. En mars 2020, en pleine crise sanitaire du Covid-19, il nous a été demandé de maintenir les hôpitaux ouverts pour assurer les soins et les consultations des animaux. Le service est resté ouvert sans étudiants et sans internes grâce à une communauté d’ASV, de techniciens, d’assistants, de praticiens hospitaliers et d’enseignants très engagés. Cette expérience a abouti en décembre 2020 à une modification réglementaire qui fait des centres universitaires hospitaliers vétérinaires (CHUV) des établissements de soins à part entière et plus seulement des plateformes pédagogiques.

Pour soutenir l’augmentation de la taille des promotions et la dynamique hospitalière, l’État a apporté sept postes d’enseignants cliniciens. Ainsi depuis 2020, la communauté alforienne a décidé de ne plus fermer le CHUV pendant les congés scolaires.

Tout ceci a conduit à une réorganisation des plateformes hospitalières et de leur fonctionnement, avec création de services cliniques indépendants des unités pédagogiques et organisation de pôles transversaux.

Enfin, autre source de satisfaction : les collaborations et les échanges entre les ENV sont très positifs. Nous sommes passés d’un état de concurrence à un état d’émulation, de confluence. Il existe un rapprochement irréversible des quatre écoles nationales.

Quelles limites ou barrières aimeriez-vous lever dans les années à venir ?

L’introduction des sciences humaines dans le cursus reste un défi à relever. La formation vétérinaire est très technique et fondée sur un référentiel professionnel orienté vers l’acquisition de compétences cliniques. Nous avons un enjeu d’acculturation des étudiants aux problématiques sociétales, aux évolutions entrepreneuriales, aux défis auxquels ils auront à faire face. Vétérinaire, c’est une profession et de nombreux métiers et nous devons nous ouvrir à plus de questionnements pour former de jeunes professionnels capables de s’adapter.

Percevez-vous une souffrance ou des difficultés chez les étudiants ?

Il est indéniable que de nombreux étudiants ont été bousculés, perturbés à titre personnel par la pandémie, les confinements… Et l’actualité place tout le monde dans une situation d’insécurité qui impacte notamment les jeunes construisant leur avenir. Le phénomène n’est pas français ; de nombreuses études montrent cette tension et les échanges que j’ai pu avoir avec des collègues d’autres pays montrent que la préoccupation est présente dans la plupart des facultés. Certaines promotions sont plus touchées que d’autres. Le sujet n’est pas simple et implique l’action de professionnels. En tant que directeur, je suis particulièrement attentif à ces signaux.

Quels projets pour les mois à venir ?

Le projet d’établissement est riche. Il envisage de déplacer tout le campus équin en Normandie, la rénovation des espaces verts du campus alforien. Désormais, il nous faut reprendre en mains un campus martyrisé par quinze ans de travaux, lui redonner toute sa qualité afin d’améliorer les conditions de vie à l’ENVA. Nous projetons aussi la mise en place d’un plan de formation managériale, afin de permettre aux personnes en responsabilité d’améliorer le fonctionnement des services. Tout ceci porte une ambition : le bien-être au travail.

Nous formons nos étudiants au management, à la gestion, à la communication client mais il nous faut désormais utiliser nos plateformes hospitalières pour aussi mieux former les étudiants dans ces disciplines.

Nous avons tenu des assises de la vie étudiante qui ont été riches d’idées et de projets. Il nous faut désormais mettre tout ceci en œuvre pour améliorer la vie estudiantine, la rendre plus épanouissante après cette longue période de travaux.

Nous souhaitons aussi investir plus profondément les questions d’éthique et de déontologie, à un moment où la profession se restructure, où les questions relatives à l’indépendance taraudent les étudiants, où la préservation des conflits d’intérêts est incontournable.

Enfin, l’école sera soumise à l’évaluation européenne de l’association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV). C’est un rendez-vous important pour une ENV.

Les souhaits d’orientation professionnelle des étudiants vétérinaires au début de leur cursus

Nous avons mené une enquête auprès de la promotion de seconde année qui vient tout juste de faire sa rentrée. Les résultats sont étonnants. Sur 165 élèves, 28 % ne se prononcent pas. Le choix de l’orientation vers la médecine zoologique et la faune sauvage représente 15,2 % de la promotion, ce qui est en baisse par rapport aux choix exprimés les années précédentes (plutôt de l’ordre de 25 à 30 %). Le choix de la pratique canine représente 12,8 %, celui de la pratique mixte à prédominance canine 17,7 %, celui de la pratique mixte à prédominance rurale 11,6 %, celui de la pratique mixte à prédominance équine 6,1 %, l’équine pure 4,3 %, les productions animales 1,9 %. Les autres (2,4 %) s’orientent vers la recherche, les armées, le service public. Ces chiffres révèlent donc une tendance en hausse de la pratique mixte.