ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Clothilde Barde
« Air France a annoncé sur Twitter le 30 juin 2022 arrêter le transport des primates destinés à la recherche dès l’issue de ses engagements contractuels en cours avec les organismes de recherche, conformément à la “nouvelle responsabilité sociétale de l’entreprise” » déplore un communiqué du Gircor publié le 8 juillet 20221. L’occasion de faire le point sur l’importance du rôle des primates non humains (PNH) dans la recherche en France et de comprendre les conséquences de cette mesure.
Comme l’indique le Groupement de recherche (GDR) BioSimia1, créé en 2016 par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et qui fédère les chercheurs des laboratoires de recherche publics (CNRS, Institut national de la santé et de la recherche médicale, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, Museum national d’histoire naturelle, universités) dont les recherches font appel aux PNH, « le primate non humain demeure un modèle indispensable en recherche ». Selon le consortium de chercheurs, « sans les travaux menés sur les macaques, nous ne connaîtrions pas la pathogénie du virus Sars-CoV-2, et nous aurions été incapables de développer vaccins et thérapies en un temps si court ». C’est pourquoi, ils déplorent la décision d’Air France d’arrêter de transport des PNH utilisés en recherche2 suite " aux pressions des associations animalistes" car, selon eux, au-delà de l’impact sur la recherche biomédicale française et européenne, cette situation peut, au contraire, nuire au bien-être de ces animaux. Ainsi, si tout transport est rendu impossible, à terme la délocalisation de ces recherches sera renforcée alors même que la réglementation européenne en matière de protection des animaux est la plus stricte du monde.
Dr Ivan BALANSARD
Vétérinaire (bureau éthique et modèles animaux, Institut des sciences biologiques du CNRS)
Comment s’assurer du bien-être des primates utilisés en expérimentation ? En tant que vétérinaire, quel est votre rôle ?
En termes de bien-être animal (BEA), outre un cadre réglementaire européen (directive 2010/63) très exigeant, on constate depuis quelques années une culture du soin (« culture of care ») qui se développe dans le milieu scientifique. Ainsi, d’un point de vue réglementaire, les établissements de recherche qui hébergent des singes sont contrôlés au moins une fois par an par des inspecteurs de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP). Tous les projets de recherche impliquant des primates doivent faire l’objet d’une appréciation rétrospective auprès d’un comité d’éthique. Les personnes qui travaillent avec les singes reçoivent une formation réglementaire spécifique complète et ils sont sensibilisés à la particularité du modèle, de par sa proximité phylogénétique avec l’humain. Dans ce système, le rôle des vétérinaires est essentiel. Ils accompagnent cette évolution culturelle en conseillant les chercheurs sur les questions relatives au bien-être animal et au raffinement des procédures expérimentales, et en assurant une surveillance sanitaire stricte des animaux. De plus, ils participent au comité d’éthique et à la structure de bien-être animal présent dans chaque établissement de recherche.
Pour que les vétérinaires et le grand public soient davantage conscients de la réalité du milieu de la recherche animale, une démarche de transparence a été entreprise en 2021 par le Gircor1, 2. Les questions relatives à l’éthique et au bien-être animal sont aujourd’hui au cœur des préoccupations des chercheurs qui travaillent avec ces modèles si précieux que sont les singes. Il reste sans doute du chemin à parcourir mais nous sommes dans une dynamique très encourageante.
Actuellement, les primates jouent-ils encore un rôle important dans la recherche ?
Les singes sont des modèles de choix en recherche préclinique notamment pour le développement de biothérapies. Ils jouent également un rôle essentiel en recherche fondamentale en neurosciences, notamment dans les travaux de recherche portant sur la mise en place de prothèses neurales, ou encore dans la compréhension et le traitement des maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer…) de par leur proximité phylogénétique avec l’être humain.
D’où viennent les primates utilisés en recherche en France ?
Il convient de rappeler qu’actuellement, il est interdit d’utiliser les grands singes dans les protocoles de recherche en Europe. En ce qui concerne la provenance des primates présents dans les laboratoires de recherche européens, non seulement la capture des animaux dans la nature est strictement interdite, mais à partir de novembre 2022, il sera interdit d’utiliser dans de nouveaux protocoles de recherche des singes de génération F1, c’est-à-dire des singes nés dans un élevage dont les parents ont été prélevés dans la nature. Seuls les animaux de seconde génération (F2) pourront être utilisés dans les protocoles expérimentaux, ce qui n’est pas sans poser de problèmes. Cette nouvelle contrainte, propre à l’Europe, ne repose sur aucun argument scientifique ou éthique, contrairement à l’interdiction de prélever des animaux sauvages, qui elle, tombe sous le sens. Ailleurs dans le monde, aux États-Unis comme en Asie, les laboratoires ont recours à des singes F1, voire des animaux prélevés dans la nature (F0). De plus, cette directive pose la question éthique de l’avenir des animaux F1 actuellement présents en laboratoires et qui ne pourront plus faire l’objet de protocoles. S’ajoute à cela un grave problème de pénurie de singes car une grande partie des élevages dédiés à la recherche se trouvent en Chine. Or, suite à la crise de Covid-19, le gouvernement chinois a mis en place un embargo sur l’exportation des animaux sauvages hors de son territoire, dont celle des singes macaques à longue queue utilisés pour la recherche. Enfin, avec les nombreuses innovations thérapeutiques actuelles, il y a un besoin croissant de primates pour les protocoles expérimentaux. Le développement rapide des vaccins contre le Covid-19 témoigne de l’importance de ce modèle, dans les phases précliniques expérimentales par exemple.
Quelques chiffres…
Selon une enquête de 20201, la souris est l’animal le plus fréquemment utilisé (64 %). Viennent ensuite les rats (9,1 %) puis les lapins (8,8 %) et les poissons (7,3 %). Les primates représentent 0,24 % des utilisations et, sur un total de 3 996 de primates utilisés en recherche, 89,3 % étaient des macaques à longue queue, 4 % des ouistitis, 2,1 % des babouins et 1,9 % des macaques rhésus.
Réglementation stricte
L’utilisation de primates dans la recherche scientifique est réglementée : tout chercheur doit formellement justifier son besoin de faire appel à des primates lors de sa demande d’autorisation de projet auprès du ministère chargé de la recherche, en démontrant que l’objectif de la recherche ne peut être atteint qu’avec des primates. Dans le domaine de l’expérimentation animale, la directive européenne n°2010/63/UE, révisant la directive n°86/609/CEE du Conseil du 24 novembre 1986 est applicable en France depuis le 1er<0x00A0>janvier 2013 par décret et par quatre arrêtés ministériels3.
Le rôle du vétérinaire
Le nouveau dispositif a renforcé le rôle du « vétérinaire désigné » dans chaque établissement d’élevage et de recherche, chargé, dans tout établissement éleveur ou utilisateur, de donner des conseils sur le bien‑être et le traitement des animaux3.
1. urlz.fr/j8fj
3. urlz.fr/j8fW