Profession
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Tanit Halfon
Après une décision de fermeture par manque d’effectifs, le service d’urgences de la clinique de référés francilienne Evolia va finalement rouvrir ses portes en octobre, grâce à une solution originale, mais transitoire.
Le Code de déontologie impose à chaque vétérinaire praticien d’assurer « la continuité des soins aux animaux qui lui sont confiés » (art. R.242-48 du Code rural). Il doit aussi « participer à la permanence des soins », laquelle peut être déléguée « dans le cadre d’une convention établie entre vétérinaires et déposée auprès du Conseil régional de l’Ordre » (art. R242-61). Mais on le sait, les difficultés actuelles de recrutement peuvent compliquer l’équation. C’est ce qui est arrivé dans le Val-d’Oise, pour la clinique Evolia à l’Isle-Adam. Structure de référés bien connue de la région appartenant au groupe IVC Evidensia, composée d’une vingtaine de vétérinaires et d’une trentaine d’assistantes, elle assure la permanence des soins d’une quarantaine de structures conventionnées, et reçoit aussi les animaux vus par VetoAdom et nécessitant une hospitalisation. En moyenne, il y a 10 à 15 consultations par nuit. « Notre système de garde a évolué au fil du temps, nous explique Arnaud Guionnet, un des associés. Au départ, nos salariés assuraient les gardes, avec un des associés en doublon en cas d’urgences chirurgicales. En 2009, nous avons créé une année de clinicat avec des jeunes diplômés engagés pour une année afin de parfaire leur formation, durant laquelle ils assuraient aussi des gardes. Cela a permis, en parallèle, à nos salariés de limiter leurs gardes, voire d’arrêter. Cette organisation a été complétée d’un système de régulation téléphonique, du fait de la densification croissante de l’activité ». Problème : « pour la première fois cette année, nous n’avons pas pu recruter les effectifs habituels. » Cette situation a amené à un choix drastique pour la rentrée de septembre : la fermeture du service d’urgences. Des conventions ont même été actées entre Evolia et des structures de référés aux alentours pour la permanence des soins de la clientèle du centre.
Une solution provisoire
Les raisons de ces difficultés de recrutement ne sont pas claires : est-ce lié à l’augmentation des places dans les internship des centres hospitaliers vétérinaires, questionne Arnaud Guionnet. Evolia, en effet, n’a pas le statut d’un centre hospitalier vétérinaire (CHV), mais c’est un objectif stratégique d’évolution de la structure. Quoi qu’il en soit, cette fermeture sera heureusement de courte durée : une solution originale vient d’être trouvée pour le mois d’octobre. « Sur notre proposition, plusieurs confrères et consœurs ont accepté de participer à un planning commun de gardes. Les gardes seront assurées dans nos locaux que nous mettons à disposition de tous, moyennant un contrat de salariés ou de collaborateur libéral pour ce travail. Au total, une dizaine de structures, et je les en remercie, ont accepté cette alternative. » Cette solution est toutefois provisoire : l’objectif pour Evolia est, en effet, de pouvoir rapidement trouver un temps plein qui acceptera d’assurer deux à trois gardes de nuits par semaine « ce qui nous permettrait d’avoir une équipe de garde en interne au complet ». Si l’obligation de permanence et de continuité des soins (PCS) reste un fondamental de la profession vétérinaire, ce contexte donne à réfléchir aux évolutions possibles d’organisation des urgences. « Notre système français collectif de gardes a besoin d’être repensé. Il était basé sur un pacte générationnel, dans lequel les jeunes en début de carrière assumaient plus de gardes que leurs aînés, qui eux, levaient le pied. Sans jugement aucun, on ne peut que constater que cela est en train d’être remis en cause, analyse Arnaud Guionnet. Aujourd’hui, le vétérinaire ne veut plus avoir à subir des gardes qui peuvent être stressantes et exigeantes, en plus des journées de travail remplies, sans possibilité de journées de récupération. En matière d’équilibre vie personnelle et professionnelle, le compte n’y est plus. »
« Développer une offre attractive de gardes »
Selon lui, un enjeu central est de passer d’un modèle subi de gardes vers un modèle choisi. Il prend l’exemple des structures vétérinaires dont le modèle est d’assurer la prise en charge des urgences en dehors des heures normales d’ouverture des cliniques : « Cela se fait aux États-Unis, et ça commence à arriver dans certains territoires en France. Ces modèles ne vont pas tout résoudre, ni partout, mais ils ont le mérite de proposer une activité choisie. » C’est dans cette optique qu’Evolia ouvre un poste de vétérinaire urgentiste affecté aux gardes de nuit, que le candidat pourra choisir en toute connaissance de cause, avec une bonne rémunération et la possibilité de gérer les urgences en équipe.
Pour Patrick Govart, le directeur général d’IVC Evidensia France, c’est « aux acteurs de la profession, groupe ou pas, de développer une offre attractive » pour l’activité des urgences vétérinaires. « Les conditions de travail inhérentes à l’activité des urgences peuvent être tout à fait compatibles avec le mode de vie de certains, ou pour une période de vie donnée », assure-t-il. Il imagine même l’implantation de nouveaux systèmes d’organisation des urgences en France : « Au Royaume-Uni, une des activités vétérinaires du groupe IVC Evidensia est le service VetsNow. Le principe : des équipes d’urgentistes d’Evidensia sont déployées dans des cliniques en dehors de leurs horaires d’ouverture, afin d’assurer les gardes. La condition est d’avoir un local adapté pour l’activité d’urgences de nuit. La localisation géographique entre aussi en ligne de compte dans le choix des structures. À ce jour, VetsNow fonctionne avec une soixantaine d’établissements, indépendants ou pas du groupe. En France, un tel système n’est pas possible d’un point de vue juridique ».
L’enjeu du collectif
Au-delà de la question de l’attractivité, un autre enjeu est de penser collectif. À deux niveaux. Réfléchir l’urgence à l’échelle d’une seule structure n’est plus adapté aux exigences actuelles et aux améliorations des techniques, souligne Arnaud Guionnet. Il le rappelle : s’il y a des consultations d’urgences basiques qui demandent peu de matériels et « qui justifient les traditionnels tours de gardes », il faut aujourd’hui aussi pouvoir répondre à des urgences réelles avec un plateau technique adapté. Les grosses structures vétérinaires, telles qu’Evolia, sont à même de gérer ces situations. Et pourquoi pas « à terme, des maisons collectives équipées pour cela, indique-t-il. Et dans lesquelles pourraient intervenir un plus grand nombre de vétérinaires qu’actuellement, puisqu’au vu du contexte actuel, et pour les cinq à dix prochaines années, la solution sera d’engager un effort collectif adapté à tous les besoins des usagers ». En effet, le collectif est aussi la somme d’engagements individuels. Si Arnaud Guionnet ne s’est pas trop focalisé sur ce point, c’est un secret de polichinelle qu’il s’agit d’une source de tensions sur le terrain. Interrogé, le président de l’Ordre, Jacques Guérin, va jusqu’à faire le constat de vétérinaires qui se dédouanent de leurs obligations déontologiques, et appelle à plus de coopérations vétérinaires (cf. interview). C’est le cas dans l’Oise, au nord de L’Isle-Adam, où des vétérinaires s’organisaient déjà en collectif, avec aussi l’appui du centre Evolia (cf. témoignage).
Au vu de contexte, faudra-t-il que l’Ordre s’implique davantage dans l’organisation des gardes ? Certains l’appellent de leurs vœux, d’autres non. Bruno Tessier, président du Conseil régional de l'Ordre d'Ile-de-France, rappelle que l’Ordre n’a pas vocation à organiser les services d’urgences, qui sont de la responsabilité des vétérinaires praticiens en exercice. « Il s'agit de discuter avec tous les protagonistes, de placer chacun devant ses responsabilités et faire émerger des pistes de solutions ». C’est ce qui avait été fait dès cet été pour Evolia. Si Bruno Tessier sera attentif à ce que chacun prenne ses responsabilités jusqu'à déposer une plainte disciplinaire contre certains, « la priorité sera toujours données au dialogue et à la recherche de solutions, pas à la réprimande ». Une réunion sera organisée avec les vétérinaires du Val-d'Oise, mais aussi dans l'Oise voisine avec le CRO des Hauts-de-France, pour discuter de l'avenir des urgences dans la zone. Pour Jacques Guérin, la question de l’implication plus concrète de l'Ordre est sur la table.
Le président de l’Ordre appelle à la solidarité
Permanence et continuité des soins : de quoi parle-t-on ?
Jacques Guérin : La continuité des soins est l’obligation princeps qui naît de la relation de soins sollicitée et consentie par le détenteur de l’animal et par le vétérinaire qui l’accepte. Dès lors le vétérinaire s’engage à assurer la continuité des soins qui doit se comprendre comme les conséquences des actes vétérinaires qu’il réalise au profit de l’animal, mais plus largement comme la couverture des besoins de santé de l’animal inhérent au contrat de soins, tant que ce contrat persiste. Il s’agit donc d’une obligation individuelle liée au contrat de soins.
La permanence des soins est, elle, un engagement déontologique collectif de tous les vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre à prendre en charge tout animal en situation d’urgence ou de péril et qui ne disposerait pas d’un contrat de soins avec un vétérinaire traitant ou parce que dans certaines circonstances la distance géographique ne permet pas au vétérinaire traitant d’intervenir.
La permanence des soins ne devrait en toute logique n’être activée que dans des cas rares et non pour pallier les défauts de continuité des soins de certains vétérinaires qui s’en exonèrent trop facilement, en reportant sur leurs confrères cette contrainte majeure de leur exercice. Un contrat de soins n’est jamais subi. Le vétérinaire a la capacité de refuser. En revanche accepter la relation de soins pour ce qui lui est positif tout en rejetant la partie contraignante n’est pas éthiquement et déontologiquement acceptable. Cela vaut pour le vétérinaire généraliste comme pour le spécialiste.
En 2018, vous aviez fait de la permanence et continuité des soins (PCS) une cause ordinale. Quel est le bilan depuis ?
Le constat de 2018 est toujours d’actualité, voire s’enracine dangereusement. L’exercice vétérinaire se segmente voire s’hypersegmente, non plus sur la motivation de la compétence pour telle ou telle espèce, mais davantage pour échapper aux contraintes de continuité des soins. L’exercice vétérinaire n’est plus pensé au regard de l’intérêt de l’animal, mais d’abord au regard des intérêts particuliers des vétérinaires : une forme d’exercice à la carte, en temps choisi, à compétences choisies, en occultant les contraintes.
Force est de constater que la profession vétérinaire n’a pas trouvé la clé pour résoudre son rapport à la continuité des soins et secondairement à la permanence des soins, malgré les possibilités ouvertes par le Code de déontologie de 2015, en particulier le conventionnement entre vétérinaires.
Au contraire, la permanence des soins est trop souvent sollicitée pour pallier les nombreuses ruptures de l’obligation de continuité des soins. L’inacceptable est corrélé au nombre toujours plus réduit de vétérinaires qui assument leur obligation de continuité des soins et leur participation à la permanence des soins.
Dans le contexte de pénurie généralisée dans le secteur libéral qui ne pourra être résolu à court terme, avez-vous écrit dans le dernier Atlas démographique, ne pourrait-on pas imaginer, au moins de manière transitoire, des nouveaux modèles organisationnels pour la PCS ?
Dans les territoires ruraux, le modèle d’exercice robuste et résilient est indéniablement l’exercice mixte, le vétérinaire généraliste. La segmentation de l’exercice fragilise le maillage vétérinaire et favorise à terme l’émergence de déserts vétérinaires.
C’est bien l’objet des réflexions en cours et notamment des travaux conduits dans onze territoires pilotes.
Mais pour avancer, encore faut-il que toutes les parties prenantes acceptent de se parler, de s’asseoir à une même table et tout particulièrement que les praticiens cessent de voir en leurs confrères des concurrents. Le déficit en ressources vétérinaires doit pour cela être adouci, induire des relations nouvelles d’entraide entre collègues, de coopération. La solidarité plutôt que se fantasmer en concurrence !
Les instances représentatives ne devraient-elles pas être impliquées dans l’organisation, par exemple comme ce qui existe pour les pharmacies (organisation collective à l’échelle d’un territoire, en lien avec l’Agence régionale de santé (ARS), l’Ordre et le syndicat) ?
La question est clairement sur la table. Le thème central du prochain congrès de l’Ordre en 2023 sera la PCS. Le délitement de la prise en charge de la continuité des soins oblige l’Ordre des vétérinaires à réagir et à porter le débat.
Typhaine Gaudefroy (L 11)
Praticienne canine à Breuil-le-Vert (Oise)
Un exemple de système collectif de gardes
Jusqu’à présent, nous assurions les gardes de nuit à plusieurs cliniques jusqu’à 23 h, puis les urgences étaient envoyées à Evolia. Mais plusieurs structures de notre système de garde ont dû faire face à des pertes d’effectifs vétérinaires. S’est ensuite ajoutée l’annonce de fermeture du service d’urgences d’Evolia… Heureusement, notre porte de sortie a été de pouvoir recruter des nouvelles cliniques pour compléter notre système local de garde. Nous arrivons à un planning d’un soir de gardes par mois par équivalent temps plein (ETP) jusqu’à minuit. Nous renvoyons ensuite vers des établissements avec un service d’urgences, majoritairement Meaux et V24, en attendant l’ouverture proche d’une structure d’urgence à Taverny. La mise en place d’une régulation téléphonique aide beaucoup. Dans ce contexte, je regrette de ne pas avoir eu un plus grand soutien de nos instances, pour l’organisation concrète des gardes sur notre territoire.