Médecine féline
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon
Le dernier congrès de l’International Society of Feline Medicine a mis l’accent sur les conséquences délétères du stress sur la santé du chat, qui peut être notamment à l’origine de calculs ou de cystite idiopathique. La prise en charge comportementale fait partie intégrante du traitement.
Avec 36 nationalités et un peu plus de 300 participants, le congrès de l’International Society of Feline Medicine (ISFM), qui s’est déroulé à Rhodes (Grèce) du 30 juin au 3 juillet 2022, a célébré des retrouvailles attendues depuis juin 2020. Plus d’un millier de congressistes ont suivi l’événement en ligne, et le replay, désormais disponible1, devrait permettre à chacun d’avoir accès aux dernières informations scientifiques en médecine féline.
Mieux nommer le stress, père des maux félins
L’édition 2022 a été l’occasion de rendre public le souhait de Danièlle Gunn-Moore (cheffe du service de médecine féline à l’université d’Édimbourg) de changer deux dénominations qui, pour elle et d’autres spécialistes britanniques, ne font pas sens pour les propriétaires de chats, les empêchant selon elle d’agir. Les appellations de cystite idiopathique (voir encadré) et syndrome dyscognitif ont fait l’objet d’un débat et d’un vote sur des propositions. Ont été retenus pour l’instant syndrome de la vessie douloureuse ou migraine de la vessie et démence féline. Il reste désormais, comme pour l’entrée au dictionnaire, à voir comment le grand public, les professionnels et les autres experts de médecine féline s’approprieront ou pas ces termes. Le simple fait qu’il y ait débat montre à quel point, depuis plus de 50 ans au moins pour la cystite idiopathique, la question est un enjeu. Danièlle Gunn-Moore, dans l’une de ses conférences, a précisé que, comme en humaine d’ailleurs, le stress peut être à l’origine de la formation des calculs d’oxalates, par l’augmentation de la concentration urinaire en calcium, par les inflammations chroniques diverses (notamment digestives) qui contribuent à augmenter la concentration urinaire en oxalates et enfin par la sursaturation des urines qui provoquent une inflammation, favorisant le dépôt d’oxalates de calcium à la surface des papilles rénales, sur les plaques de Randall. Donc, au final, que le chat présente des calculs d’oxalates, de struvites ou une cystite idiopathique, c’est toujours du côté bien-être mental et et de la qualité de son environnement, physique et social, qu’il faut enquêter, en réalisant une véritable prise en charge comportementale. Danièlle Gunn-Moore n’a pas hésité à souligner que le propriétaire et/ou l’environnement du chat malade est toxique pour ce dernier, une prise de conscience à laquelle le propriétaire peut être réfractaire, quel que soit le nom donné à la cystite idiopathique.
Le fait que les compagnies d’assurances prennent en charge (ou pas, comme au Royaume-Uni) les consultations de comportement, lors de maladies liées au stress, peut tout changer pour le patient félin et son propriétaire. La jeune vétérinaire Carolina Paulino (université de Brooklyn) a conduit une étude au Portugal montrant l’influence positive du confinement sur la santé émotionnelle et mentale des chats, ayant présenté moins de cystites idiopathiques pendant cette période.
Le comportement, l’un des piliers de la consultation féline
Le bien-être mental du patient félin a été la principale thématique du congrès, avec une double lecture des maladies du chat par les comportementalistes et les spécialistes de médecine interne ou de neurologie. Les trois santés – physique, émotionnelle et cognitive – doivent être appréhendées à chaque consultation par le praticien vétérinaire généraliste, qui ne se contentera pas d’évaluer l’état physique, mais vérifiera l’état émotionnel et cognitif, en prenant soin d’adopter une démarche chamicale. Il est ainsi nécessaire de connaître pour chaque patient félin ses friandises préférées et de lui en proposer pour chaque consultation afin de faciliter les soins ou actes médicaux. Chaque vétérinaire généraliste doit pouvoir également référer à un comportementaliste aussi souvent que nécessaire. Dans le cadre de son PhD, Madgdalena Glebocka (université d’Édimbourg) a développé une grille de score du stress (à paraître) à l’usage des propriétaires, montrant que le fait de se cacher régulièrement est un indicateur de mal-être pour le chat.
Dennis Turner (université de Zurich), qui a consacré ses recherches éthologiques depuis les années 90 au comportement et interactions du chat avec les humains, a précisé que les chats ne préfèrent pas les femmes, mais répondent plus facilement à leurs comportements chamicaux. Les interactions sont d’autant plus positives et longues qu’elles sont à l’initiative du chat. L’attachement que nous développons avec nos chats ne constitue pas un substitut à celui d’un humain, mais un soutien additionnel, comme un véritable ami.
Le prochain congrès de l’ISFM aura lieu à Dublin du 29 juin au 2 juillet 2023 sur les affections urinaires hautes, dont l’augmentation de l’incidence est préoccupante.
Évolution de la terminologie de la cystite
Si les mots donnent le sens du futur, ils traduisent également souvent le niveau de compréhension de la physiopathologie à laquelle parviennent scientifiques et praticiens.
La cystite fait partie des toutes premières affections décrites dans les traités de médecine féline. Ont été successivement utilisés dans le monde les noms de :
1925 : syndrome urologique félin
1980 : affections du bas-appareil urinaire (ABAU)
1996 : cystite interstitielle/ cystite idiopathique féline
2008 : syndrome de Cannon, scientifique à qui nous devons les notions de fight & flight, et surtout la notion de maladies psychosomatiques
2010 : syndrome allostatique
2011 : syndrome de Pandore, ces quatre dernières dénominations ayant été proposées par Tony Buffington (université de Columbus & Davis).
En humaine, le terme de cystite interstitielle est utilisé pour les femmes et celui de syndrome de la vessie douloureuse pour les hommes, les deux étant synonymes.
Examen neurologique, un bon réflexe clinique
Clare Rusbridge (université de Surrey) a rendu très vivantes les différentes affections neurologiques du chat, mimant certaines. Le kit nécessaire pour réaliser un examen neurologique est simple : une bonne lampe torche (pour les réflexes photomoteurs), un clamp (pour vérifier la sensibilité faciale des moustaches, du nez) et un petit marteau (pour les réflexes tendineux), de la patience et de l’organisation, en utilisant une fiche neurologie (avec le rappel des réflexes à tester et leur signification). L’anamnèse est une étape essentielle, pour obtenir les éléments sur le GASP (Gait/Activity/Sleep/Pain soit démarche/activité/sommeil/douleur). Les changements de comportements, la présence de vocalisations de même que des vidéos du chat, dans son environnement, sont à rechercher. Le saut est souvent le premier élément moteur à disparaître, et l’ouverture de la gueule, avec le réflexe de déglutition (réactivité de la langue au contact du doigt du clinicien), permet de vérifier l’intégrité des nerfs crâniens V, IX, X et XII. Les réactions posturales, notamment l’hemi-walking, la brouette et le réflexe de sautillement, s’effectuent sur la table d’examen, pour chaque membre. Ces 3 tests sont les plus importants, facilement réalisables même sur un chat un peu réactif.
La démarche cat-friendly fête ses 10 ans
2022 est l’année des 10 ans de la démarche cat-friendly, qui avait démarré bien avant, dès 2006. À l’époque, Andrea Harvey, qui était l’une des toutes premières résidentes en médecine féline de l’université de Bristol, sous la responsabilité de Tim Gruffydd-Jones, avait été chargée, au volant d’une sémillante voiture rose, d’aller visiter et homologuer les cliniques britanniques cat-friendly. Une première brochure fut publiée au Royaume-Uni, en 2006 (traduite en français par Michèle Fradin-Fermé et Anne-Claire Gagnon pour la section vétérinaire de la Société Française de Félinotechnie), regroupant les grands principes et une seconde en 2007. Le 1er certificat Cat-friendly fut remis en 2008 par l’ISFM et l’American Association of Feline Practitioners (AAFP).
En 2011, le lancement de cette démarche en France, malgré une forte implication de Purina (qui avait traduit l’ensemble des documents techniques, dont la publication Feline Handling Guidelines) fut stoppé sur un véto de QualitéVet.
La démarche cat-friendly ou chamicale (traduction proposée en 2011) est un engagement que prennent les vétérinaires et leur personnel, qui déposent leur candidature sur dossier déclaratif. Trois niveaux (bronze, argent et or) ont été mis en place, en fonction du niveau des plateaux techniques et du volume de formation continue suivie en médecine féline.
47 cliniques amies des chats avaient été répertoriées dans quatre pays en 2012, 2711 cliniques le sont dans 45 pays sont aujourd’hui . En France, 83 cliniques sont chamicales (dont 13 avec le niveau or), la première ayant été celle de Privas en 2013. Sept cliniques félines seulement sont engagées dans cette démarche, ainsi qu’un centre hospitalier vétérinaire (Advetia) mais aucune école à ce jour sur le territoire français.
Les études conduites, aux États-Unis comme en Europe, montrent un taux significativement plus bas de griffures, morsures du personnel soignant, prouvant que la qualité de prise en charge et de respect des chats est payante. L’analyse économique montre également un impact positif de la démarche sur le chiffre d’affaires.
L’effet blouse blanche sur la glycémie et la pression artérielle est largement absent des cliniques chamicales. Le programme se développe désormais sur toute la planète, avec des formulaires et outils disponibles dans de nombreuses langues, souvent grâce aux vétérinaires eux-mêmes, comme ce fut le cas pour la Déclaration internationale des devoirs à l’égard des chats (traduite en français en 2018 par Maureen Moignard, Amelia Tarzi et Anne-Claire Gagnon). L’ISFM souhaite développer la coopération entre les structures chamicales (cooperative vet care) avec une approche centrée sur le chat. L’objectif à terme est que les chats soient heureux de venir dans les structures cat-friendly, qui les respectent, les comprennent et prennent soin de leur santé physique, émotionnelle et mentale.
Pour en savoir plus :
Guide pour une démarche chamicale : Cat Friendly Practice Traduction France 2007 (1). pdf