De l’appréciation du résultat d’une chirurgie - La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022

Jurisprudence

ENTREPRISE

Auteur(s) : Par Céline Peccavy

Un jugement montre une insécurité judiciaire certaine découlant des appréciations divergentes du résultat d’une chirurgie pour un animal. Décryptage de l’affaire.

Les faits

Le 19 avril 2020, Mme V, éleveuse de chiens de race chihuahua, cède à Mme A un chiot femelle nommé Raya pour un prix de vente de 1 900 euros. Le 18 août 2020, Mme A fait stériliser sa chienne. En septembre 2020, la chienne commence à présenter des boiteries des membres antérieurs. Le 22 septembre 2020, le diagnostic est établi : luxation des deux rotules. Une première intervention sur la rotule droite a lieu le 17 novembre 2020 avec un coût de 408,80 euros pour Mme A. La rotule gauche ne sera opérée qu’en octobre 2021.

Phase amiable

En février 2021, alors qu’une seule rotule a été opérée, Mme A vient solliciter de l’éleveuse une indemnisation de 2 938,80 euros (408,80 euros pour frais liés à l’opération de la première rotule, 380 euros pour remboursement d’un devis pour la seconde rotule, 950 euros pour réduction du prix de vente, 600 euros pour préjudice moral, 600 euros pour frais de conseil).

L’écart entre le montant de la chirurgie (408,80 euros) et la somme demandée comprenant au surplus un devis (total de 2 938,80 euros) va réduire à néant toute chance de trouver un accord, y compris en médiation.

Saisine du tribunal

Poursuivant ses démarches visant à obtenir une indemnisation, Mme A saisit le tribunal judiciaire de Pau le 7 juin 2021 sur le fondement de la garantie de conformité, avec un total de demandes de 11<0x00A0>188,80 euros. On assiste donc à une véritable envolée des réclamations. Examinons ensemble le détail des exigences qui, pour certaines, sont peu ordinaires. L’assignation fait ainsi mention de 788,80 euros de frais vétérinaires pour la première rotule, d’un remboursement de 1 400 euros sur le prix de vente, de 3 000 euros pour perte de chance et trouble de jouissance, car la chienne ne pourra pas reproduire, ni participer à des concours de beauté ni participer à des activités sportives, de 1 000 euros au titre de la résistance abusive, de 2 000 euros pour préjudice moral et de 3 000 euros de frais d’avocat. On retrouve classiquement le remboursement des frais vétérinaires et celui d’une partie du prix de vente. Beaucoup moins classiquement, on constate une demande d’indemnisation pour une chienne qui ne pourra pas reproduire, alors même que c’est sa propriétaire qui a fait le choix de la faire stériliser, avant tout souci de santé. De manière originale, on trouve aussi une demande de préjudice sportif pour un chihuahua.

Décision du tribunal

Sans grande surprise le tribunal va juger que la luxation des rotules constitue bien un défaut de conformité. Sa position quant au prix de vente est en revanche beaucoup plus contestable. Rappelons que le remboursement partiel du prix de cession n’a lieu d’être que lorsque le chien n’est pas « réparé ». Tout est alors question d’interprétation : une intervention chirurgicale réussie sur cette affection relève-t-elle de la réparation ou non ? Force est de constater malheureusement que tous les tribunaux n’ont pas la même conception de la chirurgie vétérinaire en matière de rotules. Prenons les exemples de jugements des tribunaux de Nîmes et Toulouse, où l’animal est considéré comme réparé lorsque « les soins prodigués lui ont permis de retrouver une mobilité et une vie normale » et cela même si « une légère boiterie » persiste « à froid ». À Pau, l’acte vétérinaire est perçu autrement. Le juge considère que par principe eu égard à la nature du bien la réparation est impossible. S’ensuit une obligation pour le vendeur de rembourser 1 000 euros sur le prix de cession. Quant aux autres demandes très particulières, le tribunal ne prendra pas la peine d’y répondre et va seulement considérer que devoir faire opérer son chien cause un préjudice moral/de jouissance indemnisable par la somme de 600 euros.

En conclusion, une insécurité judiciaire certaine découle des appréciations divergentes du résultat d’une chirurgie pour un animal.

  • Commentaire jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pau le 16 juin 2022.