Les étudiants vétérinaires en proie au mal-être - La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022

Enquête

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Des étudiants surchargés, fatigués et stressés, avec une faible estime de soi… Une récente enquête de l’Association internationale des étudiants vétérinaires, avec l’appui de Vétos-Entraide, a révélé plusieurs signaux inquiétants quant à l’état mental des étudiants des quatre écoles nationales vétérinaires. Le point avec Marie Babot et Thierry Jourdan, de Vétos-Entraide.

Il y a du mal-être étudiant dans nos écoles nationales vétérinaires. C’est ce que révèle une enquête menée en 2018 par le bureau nantais de l’Association internationale des étudiants vétérinaires (IVSA), sur la souffrance ressentie pendant le cursus, et dont les données ont été analysées récemment par l’association Vétos-Entraide. 620 étudiants des quatre ENV1 y avaient répondu, dont 80 % de femmes, soit 20 % de la totalité des étudiants de France ! Un autre questionnaire IVSA Nantes a été envoyé en 2022, avec certains résultats qui pourront être comparés au premier.

Premier constat : les étudiants vétérinaires ressentent un niveau élevé de stress durant leur cursus. Sur une échelle de 1 à 6, 56 % déclarent un niveau de stress moyen, égal ou supérieur à 4. Parmi eux, presque la moitié, 42 %, a un niveau de stress estimé à 5 et 6. Pour 54,5 % des étudiants, ce stress est fortement omniprésent durant les études (niveaux 4 à 6), dont pour 60 % très fortement (niveaux 5 et 6). Ce sentiment de stress diffère significativement du sentiment ressenti dans la vie personnelle qui est lui, bien moindre : un peu plus de la moitié des étudiants ont dit ressentir un stress moyen d’un niveau égal ou inférieur à 3 en dehors des études vétérinaires. De plus, pour 62 %, ce stress de la vie privée n’est pas fortement omniprésent (niveaux 1 à 3). En clair, la vie étudiante a un « effet amplificateur » du stress des individus. Les femmes apparaissent plus stressées que les hommes, dans les quatre ENV. Par ailleurs, ce niveau de stress ne diminue pas avec les années d’études, alors qu’on aurait pu s’attendre à un effet bénéfique du temps, du fait d’une meilleure acclimatation de l’étudiant à son environnement, de l’expérience acquise et des liens tissés (et donc des soutiens potentiels). Au contraire, leur stress augmente d’année en année !

Des étudiants surchargés

Plusieurs facteurs de stress sont incriminés, avec un top 3 : « la pression de ne pas réussir les examens », « le sentiment de ne pas être bon », et enfin « la charge de travail et les responsabilités ». La surcharge de travail apparaît comme un facteur de stress majeur de la première à la cinquième année de cursus. Les premières années, il y a la surcharge de travail relative au temps consacré aux apprentissages des enseignements dits théoriques. Les dernières années de cursus, la surcharge est liée aux rotations cliniques, avec un planning ressenti comme trop pesant. Cela correspond à une moyenne hebdomadaire de rotations de près de 49 heures (estimation des 262 répondants étant déjà en clinique), avec 15 % des étudiants déclarant faire plus de 60 heures par semaine. En cinquième année, 64 % des étudiants font plus de 50 heures de rotations cliniques par semaine. « Il y a des différences importantes suivant les rotations cliniques. Certaines sont assez redoutées par rapport à la charge de travail, au nombre d’heures successives, avec parfois l’impossibilité de pouvoir satisfaire à ses besoins physiologiques », souligne Marie Babot.

« Au-delà de 48 heures, nous sommes dans l’illégalité la plus complète en matière de droit du travail. Il n’y a pas, non plus, de convention de stage pour les rotations cliniques ce qui constitue un vide juridique, souligne Thierry Jourdan. Récemment il y a eu un arrêt de jurisprudence en médecine humaine, par lequel il est demandé aux hôpitaux de respecter des horaires de 48 heures au maximum pour les internes. Cela peut parfaitement être appliqué pour le monde vétérinaire. » « Les rotations en équine sont surreprésentées dans les verbatims et sont très redoutées dans les quatre ENV » précise aussi Marie Babot.

Une mauvaise estime de soi

Pendant ces rotations, les étudiants ont pu exprimer un sentiment d’exploitation, d’être des petites mains, avec un manque de latitude décisionnelle. « Cela reflète un sentiment de ne pas être forcément dans une posture d’apprentissage », indique Marie Babot.

L’enquête fait aussi ressortir une grande fatigue : la moitié des étudiants déclarent être très fatigués (niveaux 5 et 6), 40 % moyennement (niveaux 3 et 4). Cette fatigue s’accentue au cours du cursus pour les femmes, avec une fatigue ressentie significativement supérieure durant leurs quatrième et cinquième années d’études, par rapport à leurs première année.

Au sujet du facteur de stress énoncé comme « le sentiment de ne pas être assez bon », il ressort que 69 % des étudiants considèrent son niveau académique dans la moyenne, 22 % au-dessus de la moyenne et 9 % en dessous. Ces résultats ne sont pas bons, bien au contraire. Comment l’expliquent Marie Babot et Thierry Jourdan, les étudiants en écoles d’ingénieurs ou de commerce ont une estime de soi bien plus importante. En clair, les 22 % sont en réalité un pourcentage très faible par rapport à ce qui aurait pu être attendu, et donc un résultat pouvant être qualifié de « très inquiétant ». « On sait que l’estime de soi académique est étroitement liée à la réussite académique, en conséquence, c’est déjà une perte de chance durant les études », indique Thierry Jourdan.

Un lien avec les interruptions précoces de carrière ?

Au-delà de l’estime de soi académique, 55 % indiquent s’inquiéter souvent de ne pas être de bons vétérinaires, et 34 % parfois. Seuls 13 étudiants sur 620 disent ne jamais s’en inquiéter. Pour ceux qui s’en inquiètent souvent, cela ne s’améliore pas en cours de cursus. C’est encore une autre composante pouvant faire craindre une perte de chance dans les études et aussi une plus grande peur pour son avenir professionnel.

Cet avenir justement, comment les étudiants l’envisagent-ils ? Un peu plus de 80 % des répondants se destinent à la pratique clinique, sans différence entre les ENV. Sur la centaine d’étudiants ne se destinant pas à cette carrière, si plus des trois quarts ne subissent pas cette décision, le presque quart restant indique que cette décision a été motivée par une expérience négative à l’école. Enfin, près de 70 % des étudiants n’ont jamais songé à arrêter leurs études, mais presque 15 % l’ont envisagé parfois ou souvent. « Cela soulève la question d’un lien éventuel avec les interruptions de carrière constatées sur le terrain, durant les cinq premières années d’exercice » estime Marie Babot.

Une responsabilité collective

Ces données quantitatives sont précieuses pour définir des stratégies d’amélioration. Elles ne doivent bien sûr pas occulter le fait qu’il y a des étudiants qui vont bien : « Il y en a qui arrivent à faire face aux obstacles avec un sentiment d’épanouissement personnel », décrit Thierry Jourdan. Près de deux tiers indiquent, en effet, maîtriser leur propre vie pendant le cursus. Ce sentiment est en forte corrélation avec le niveau moyen de stress. Mais pour le tiers restant (230 étudiants), ça coince ; et parmi ceux-là, deux tiers ont le sentiment de maîtriser leur vie médiocrement, un tiers de ne pas la maîtriser du tout. « Pour cette sous-population d’étudiants, difficile de faire face aux périodes les plus stressantes du cursus, pour eux, c’est trop à gérer. Au vu de ces résultats, on ne peut pas considérer que c’est un succès pour notre profession », explique-t-il.

Pour Marie Babot comme Thierry Jourdan, c’est la responsabilité de la profession, dont les ENV, de mobiliser des leviers pour améliorer le bien-être des étudiants, qui sont les vétérinaires de demain. « La souffrance des professionnels, qui a été mise en lumière dans le rapport Truchot, commence dès l’école. Diminuer la souffrance des étudiants, c’est diminuer celle des professionnels de demain », souligne Thierry Jourdan.

Trop de détail

Au sein des ENV, un travail serait à faire sur la surcharge de travail, qui alimente le stress. « Au niveau académique, on en arrive à exiger des étudiants de maîtriser un niveau de détail. Cela augmente considérablement la charge de travail ! Les méta-analyses scientifiques le prouvent. Cela n’a aucune vertu pédagogique, avec des jeunes qui vont bachoter pour les examens, puis rapidement oublier », souligne Thierry Jourdan. « Tous les jeunes ne seront pas spécialistes, et s’ils le sont, ils ne le seront pas dans tous les domaines, renchérit Marie Babot. Il convient de se questionner sur le contenu des enseignements et la quantité de connaissances théoriques exigée, pour une meilleure prise en compte de la fatigue psychologique des étudiants. Sans oublier que ce niveau d’exigence met une pression énorme sur eux. Ils ont l’impression qu’être un bon vétérinaire implique de connaître une quantité astronomique de connaissances. » Côté clinique, les deux évoquent la frustration des étudiants de devoir attendre pour commencer la pratique. « On pourrait imaginer des modalités d’enseignement dans lesquelles la pratique clinique est intégrée plus tôt dans le cursus. De manière générale, il faudrait amplifier tout ce qui peut être en contact avec la vraie vie de terrain. »

Le bon exemple de Saint-Hyacinthe

La faculté vétérinaire de Saint-Hyacinthe, au Québec, apparaît comme un modèle à suivre. Là-bas, toute une politique de prévention du mal-être a été instaurée, notamment après qu’un interne s’est suicidé, il y a dix ans. Cela s’est matérialisé par un agencement des rotations cliniques : les étudiants ont arrêté les rotations de nuit, pour limiter la fatigue et car cela participait peu à l’acquisition des compétences. Les rotations sont limitées dans le temps : 8 h-16 h ou 16 h-24 h, avec des temps de récupération. La nuit, les urgences sont assumées par les professeurs et les internes, avec l’appui de techniciens et d’animaliers. Il y a une convention de stage pour les rotations cliniques, qui a été élaborée avec les étudiants : elle définit les temps de travail avec les pauses obligatoires (sauf pour les urgences, plus aléatoires). Par ailleurs, les enseignants sont aussi formés pour reconnaître les signes de fatigue ou détresse psychologique, et pratiquent le renforcement positif. Ce sujet résonne avec d’autres résultats de l’enquête française qui a mis en lumière un ressenti de manque de soutien des étudiants par le personnel des écoles. Près de trois quarts d’entre eux ne sentent pas capables de demander de l’aide au personnel des écoles. De plus, 50% estime que les professeurs et cliniciens ne se soucient pas assez de leur bien-être ni ne les traitent suffisamment avec respect (niveaux 4, 5 et 6). Seulement près de 20 % ont un bon ou très bon ressenti à propos du soutien des enseignants et cliniciens (niveaux 1 et 2).

À l’instar de la faculté vétérinaire de Saint-Hyacinthe, « les encadrants devraient avoir une formation, surtout les enseignants qui sont au plus proche des élèves, pour être dans une approche pédagogique positive, et aussi déceler les étudiants les plus en difficulté ».

Libre de choisir, libre de parler

Le principe de « diplomation-insertion » est aussi au centre des préoccupations. « Les ENV et toute la profession devraient s’inquiéter de la bonne insertion des jeunes diplômés. Si la diplomation puis l’insertion sont défaillantes, il ne faut pas s’étonner que les jeunes changent de métier », dit Thierry Jourdan. Pour lui, les deux dernières années d’études et les trois premières années de vie active sont cruciales. Il soutient ainsi l’idée d’un véritable accompagnement pédagogique vers un projet de vie professionnel. « Cela va dans le sens du travail fait au sein de l’association Vétos-Entraide, sur le mentorat vétérinaire. » Côté professionnel, une attention particulière doit être donnée à l’accueil et accompagnement des étudiants durant leurs stages, pour alimenter leur bonne estime de soi. Attention aussi aux échanges entre consœurs et confrères sur les réseaux sociaux, qui peuvent alimenter l’anxiété des étudiants à propos de leur avenir.

« Les étudiants doivent aussi se sentir libres de choisir leur futur métier. Attention à ne pas les pousser à faire de la clinique à tout prix. Avoir à subir un métier augmente le risque de réorientation précoce » avertissent-ils. Ils préviennent : « Ne nous y trompons pas : s’il y a du mal-être, cela ne signifie absolument pas qu’il y aurait une certaine fragilité étudiante. Les étudiants sont sérieux, engagés, solidaires de leurs camarades et ont des ressources. Ils ont envie de participer à l’organisation du fonctionnement des écoles et de faire entendre leurs besoins. Cela ne coûte rien de les écouter, les prendre au sérieux et leur proposer de participer à l’amélioration des choses. » Comme ils le soulignent, avec 620 réponses, et 850 pour le questionnaire de 2022, qui est encore plus long, cela montre bien que les étudiants ont des choses à dire. À bon entendeur.

Promouvoir la qualité de vie des étudiants et du personnel

Pour Marie Babot et Thierry Jourdan, une accréditation basée aussi sur la prévention des risques psychosociaux et la promotion de la qualité de vie étudiante et du personnel est nécessaire. « Nous avons étendu ce souhait au personnel, car les élèves ne peuvent aller bien que dans une école qui va bien, avec des encadrants qui vont bien et avec un budget suffisant. Les élèves ne risquent pas d’aller mieux si les moyens humains et financiers ne sont pas là ». Il existe néanmoins de nombreuses propositions qui ne sont pas onéreuses applicables rapidement.

  • 1. 44 % Oniris, 21 % ENVA, 18 % ENVT, 17 % VetAgro Sup.
  • Le rapport est librement téléchargeable par ce lien : vetos-entraide.com/rapport-souffrance-etudiants-2018/