Un cas d’insulinome chez un braque allemand - La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1959 du 30/09/2022

Cancérologie et chirurgie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Louise Scauflaire et Laetitia Boland, diplomées du Collège européen des chirurgiens vétérinaires (ECVS), praticiennes au CHV Nordvet, La Madeleine (Nord).

Cas clinique

Présentation clinique

Un braque allemand de 11,5 ans est présenté en consultation d’urgence pour crise convulsive généralisée. La phase d’aura se caractérise par des tremblements de la tête, la phase ictale par des mouvements tonico-cloniques et des manifestations neuro-végétatives (ptyalisme, miction) et la phase post-ictale par une désorientation, un pousser au mur et un défaut d’ambulation. L’examen clinique révèle une hypovigilance ainsi qu’un déficit ambulatoire.

Examens complémentaires

Un bilan sanguin révèle une hypoglycémie (0,3 g/l). Le reste du bilan est normal. Un test de dosage des acides biliaires est également réalisé et se révèle sans anomalie. À ce stade, un insulinome est suspecté. Des examens d’imagerie sont réalisés afin de rechercher un nodule pancréatique. L’échographie abdominale ne révèle pas d’anomalie. Le scanner permet la mise en évidence d’un nodule pancréatique. Le bilan d’extension loco-régional est négatif. Des dosages d’insuline lors de trois phases d’hypoglycémie sont demandés (laboratoire extérieur). Les valeurs obtenues sont de 14 mU/l, 160 mU/l et 16 mU/l (valeur de référence < 25m U/l). Il y a donc un dosage anormal.

Diagnostic

La présence d’un nodule pancréatique associée à une hypoglycémie persistante avec hyperinsulinémie permet de suspecter fortement un insulinome.

Prise en charge

Une hospitalisation pour stabilisation est décidée lors de la présentation clinique. Un bolus de glucose (1ml/kg de glucose 30 %) suivi d’une perfusion de Ringer lactate complémenté en glucose à 5 % permet la stabilisation de la glycémie. Une alimentation pour animal diabétique est mise en place. La prise alimentaire est fractionnée en de nombreux petits repas. Une sortie d’hospitalisation sous prednisolone (0,35 mg/kg, deux fois par jour) est décidée dans l’attente des résultats des examens complémentaires.

Une prise en charge chirurgicale est décidée après une stabilisation d’une semaine. Une laparotomie ventrale est réalisée. La masse pancréatique est mise en évidence en région du corps du pancréas droit et un nodule hépatique est découvert. Les deux masses sont disséquées et leur exérèse est réalisée. L’abdomen est rincé et une fermeture conventionnelle est réalisée.

Suivi

L’état clinique est stable à l’issue de la chirurgie. Aucune hypoglycémie ou hyperglycémie n’est rapportée. Le traitement à base de prednisolone est poursuivi.

L’analyse histologique de la masse pancréatique est en faveur d’un adénocarcinome sans emboles avec des marges étroites, et celle de la masse hépatique en faveur d’un carcinome hépatocellulaire solide sans emboles avec des marges saines. L’analyse histologique ne permet pas de confirmer que les nodules hépatiques sont des métastases de la masse pancréatique.

Une consultation de suivi réalisée un mois plus tard révèle une nouvelle hypoglycémie (0,63 g/l). Un scanner de suivi révèle l’apparition de deux nodules hépatiques compatibles avec des métastases. L’état clinique reste bon.

Un traitement à base d’inhibiteur de la tyrosine kinase sera proposé en cas de persistance des épisodes d’hypoglycémie ou de confirmation par immunohistochimie de la présence de métastases hépatiques.

Discussion

L’âge moyen de présentation clinique pour un insulinome est aux alentours de 10 ans. Les races moyennes et les grandes races sont plus touchées1. Les chiens atteints d’insulinome sont généralement présentés en consultation pour des crises convulsives (33,6-63 %), une faiblesse (39-59,5 %), un changement de l’état de conscience ou de comportement (27,6 %)1,2. Le diagnostic repose sur l’association d’une hypoglycémie avec hyperglycémie et de la visualisation d’un nodule pancréatique en imagerie. Le scanner a une meilleure sensibilité que l’échographie abdominale dans la détection des nodules pancréatiques1. Le diagnostic de certitude repose sur l’histologie.

Pronostic

Le traitement chirurgical offre une médiane de survie plus importante que le traitement médical seul2. La médiane de survie en cas de traitement médical seul est de huit mois2. En fonction des études, la médiane de survie en cas de traitement chirurgical est 372 jours3, 561 jours4 ou 600 jours2. Le stade de l’insulinome est un facteur pronostique : plus le stade est élevé et moins le pronostic est bon. Le stade<0x00A0>1 correspond à un insulinome sans métastase, le stade 2 à un insulinome avec des métastases aux nœuds lymphatiques loco-régionaux et le stade 3 à un insulinome associé à des métastases à distance. Une étude montre que la médiane de survie d’un insulinome de stade 1 est de 652 jours alors qu’elle n’est que de 320 jours pour un stade 2 ou 33. Il a aussi été prouvé qu’une hypoglycémie persistante après la chirurgie est un facteur pronostic négatif.

Intérêt des inhibiteurs de la tyrosine kinase

Certaines études se sont intéressées à l’intérêt des inhibiteurs des tyrosines kinases dans le traitement des insulinomes. Un premier cas a été décrit chez un chien présentant un insulinome de stade 35. Une chirurgie a été réalisée afin de retirer le nodule pancréatique et des nodules hépatiques. Un traitement à base de toceranib a été mis en place après la chirurgie. Le chien est resté euglycémique pendant 20 mois et était toujours vivant 24 mois après la présentation clinique. Ces résultats sont encourageants quant à l’intérêt des inhibiteurs de la tyrosine kinase. Une étude rétrospective sur 30 cas a montré une médiane de survie à 655 jours chez les chiens traités avec des inhibiteurs des récepteurs de la tyrosine kinase6. La médiane de survie sans aggravation clinique était de 561 jours.

Une autre étude a comparé l’effet d’un traitement palliatif et d’un traitement palliatif associé à l’administration d’inhibiteurs des récepteurs de la tyrosine kinase7. La médiane de survie des chiens traités avec les inhibiteurs de la tyrosine kinase en plus du traitement palliatif était de 399 jours alors qu’elle était de 67 jours pour le traitement palliatif seul. L’administration d’inhibiteurs de la tyrosine kinase était cependant à l’origine de troubles gastro-intestinaux plus importants que dans le groupe contrôle mais cet effet secondaire était facilement résolu. L’utilisation des inhibiteurs de la tyrosine kinase semble donc prometteuse en ce qui concerne les insulinomes métastasés au moment du diagnostic ou lors d’hypoglycémie persistante après la chirurgie.

Bibliographie

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