Santé publique
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Tanit Halfon
Depuis la dernière épizootie, les détections de cas de franchissement de la barrière d’espèces sont en hausse, avec des infections de mammifères. Si des infections humaines sont rapportées, le risque est toutefois considéré comme faible pour la population générale à ce stade.
L’année 2021-2022 a été celle de la plus grande épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) en Europe. Ce record est associé à d’autres composantes inédites, comme une large extension géographique sur le continent européen, mais aussi au-delà, puisque le virus a survécu au sein des populations d’avifaune sauvage migratrice pour arriver en Amérique du Nord, causant des pertes en élevage aux États-Unis et au Canada. La période estivale de l’année 2022 fut aussi sans précédent ; le virus a continué de circuler dans l’avifaune sauvage européenne non migratrice. Avec, pour conséquence, une pression virale environnementale majeure qui a abouti à des foyers précoces dans l’avifaune captive et domestique en Europe et en France. Dans ce contexte de dynamique virale, y a-t-il un risque de santé publique ? Oui, a rappelé Nicolas Eterradossi (N 87), directeur du laboratoire de Ploufragan-Plouzané de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) à l’occasion d’une conférence à l’Académie vétérinaire de France (AVF), le 6 octobre dernier : « Avec le virus H5 hautement pathogène de sous-clade 2.3.4.4b1, un nombre croissant d’événements de franchissement de la barrière d’espèces ont été décrits vers des espèces mammifères très diverses, y compris des cas avec des signes cliniques montrant que le virus arrive à se multiplier dans son nouvel hôte. » Ce sous-clade1 est à l’origine des vagues épizootiques en Europe depuis l’hiver 2016-2017 plusieurs sous-types viraux incriminés ont émergé au fil du temps via des phénomènes de réassortiment.
Des infections sporadiques chez des mammifères…
Le dernier bilan2 de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) sur l’IAHP, en date de septembre 2022, fait le même constat : depuis octobre 2020, 12 pays européens ont rapporté des cas d’infection de mammifères, « notamment chez des renards roux, des phoques communs, des phoques gris, une loutre d’Eurasie, un lynx, des porcs domestiques, un blaireau européen, un putois européen, un furet et un marsouin commun ». Les infections chez les renards étaient majoritairement caractérisées par des signes cliniques neurologiques, ou alors les animaux étaient trouvés déjà morts. Outre-Atlantique, la situation est la même, dont un cas rapporté chez un grand dauphin aux États-Unis et un autre chez un ours brun au Canada. Le rapport décrit également, aux États-Unis, un événement de transmission interespèces chez des phoques, associé à de la mortalité, ce qui est une première. En France, un programme d’analyses sérologiques ciblant des élevages mixtes porc-volaille avait mis en évidence, en décembre 2016, un cas à H5N8 de clade 2.3.4.4b chez un porc d’élevage.
…dont l’humain
Le risque est valable pour l’être humain, chez qui on détecte aussi des infections sporadiques. Selon le rapport de l’Efsa, en Eurasie, 7 cas d’infection humaine à H5N8 ont été confirmés en Russie en 2020, et 1 cas à H5N1 au Royaume-Uni, en décembre 2021. Aux États-Unis, un cas d’infection à H5N1 a été rapporté en avril 2022. D’autres ont également été détectés en Afrique, au Nigeria. Non couvert par le rapport de l’Efsa, le mois d’octobre a connu une infection humaine à H5N1 en Espagne. Ces cas ne sont pas graves : ils sont soit asymptomatiques, soit associés à des signes cliniques frustes. De plus, ils concernent toujours des personnes qui ont été exposées à des volailles en raison de leur activité professionnelle. Par ailleurs, aucune transmission interhumaine n’a été détectée. Néanmoins, en Chine, depuis 2014, 80 cas d’infection humaine à H5N6 potentiellement sévère ont été décrits. Les deux principaux pics d’infection ont eu lieu en 2021 (près de 40 cas), puis en 2022 (environ 15 cas). Une trentaine de décès ont été rapportés. Selon un rapport de l’Anses de juin 2022, pour plusieurs de ces cas chinois, les analyses génomiques des souches virales en cause ont objectivé la présence d’un « marqueur moléculaire majeur de la transmission à l’être humain », correspondant à une mutation de type substitution. « Cette mutation n’a pas été retrouvée dans les prélèvements aviaires ou environnementaux réalisés à proximité des cas humains. Elle n’était pas présente dans le génome des virus des cas humains détectés en Russie et au Royaume-Uni en 2020 et en 2021 », est-il précisé toutefois dans le rapport.
Prévenir les contaminations
Lors de sa conférence à l’AVF, Nicolas Eterradossi s’est interrogé sur toutes ces détections d’infection de mammifères : « Est-ce lié à des systèmes de surveillance de la faune sauvage plus performants ? » Mais, selon lui, il est possible que ces descriptions de cas soient en grande partie liées à l’acquisition de mutations adaptatives aux mammifères, qui peuvent être mises en évidence en analysant les souches virales chez ces animaux. Heureusement, pour l’instant, « le principal marqueur adaptatif, une mutation de la polymérase permettant au virus de l’IAHP de se multiplier à une température corporelle basse, typique des mammifères par rapport à la température haute des volailles, est absente des analyses ». Avec un bémol : « Si on laisse des virus H5 se multiplier chez des mammifères, cette mutation peut être sélectionnée au cours du processus adaptatif, et cela a été vu en Chine. Le passage chez les mammifères favorise la sélection de souches de virus IAHP possédant une virulence et une capacité de transmission accrues chez ces espèces. »
Dans ce contexte, la vigilance est de mise, a indiqué le conférencier. La prévention des contaminations est alors centrale, elle concerne en premier lieu toutes les personnes exposées à des volailles contaminées ou susceptibles de l’être, qui devraient porter des équipements de protection individuelle appropriés. À ce sujet, le rapport de l’Anses évoqué plus haut avait bien indiqué que la présence de marqueurs moléculaires d’adaptation à l’humain n’était pas nécessaire à une transmission, qui reste « toujours possible en cas d’exposition massive sans protection respiratoire à des aérosols très fortement contaminés, générés par la manipulation de volailles fortement excrétrices ou porteuses du virus ». L’Efsa avait également abouti à la conclusion que le risque de contamination par un virus IAHP de clade 2.3.4.4b était plus important pour les personnes exposées, faible à modéré, alors qu’il est considéré comme faible pour la population générale.
Limiter les occasions de réassortiment
La vigilance passe en outre par une meilleure détection des cas humains. « Dans une démarche One Health, le Haut Conseil de santé publique (HCSP) a mis à jour la conduite à tenir face à une suspicion d’infection humaine d’influenza aviaire ou porcine. Et, pour la première fois, durant la campagne de vaccination contre la grippe humaine 2022-2023, les professionnels exposés aux virus de l'influenza aviaire et porcine ont été ciblés comme étant une catégorie de population pour laquelle ce vaccin est recommandé. Il ne s’agit pas de protéger contre l’infection par ces virus, puisqu’il y a un éloignement antigénique, mais de limiter les occasions de réassortiment entre virus humains et animaux, avec le risque de sélectionner des souches aux capacités zoonotiques. » Cette actualisation du HCSP a découlé non pas de la situation sanitaire liée à l’influenza aviaire, mais à l'influenza porcine. En effet, au cours de l’été 2021, un cas d’infection humaine à virus influenza de sous-type H1N2 d’origine porcine a été détecté. Il s’agissait d’un homme de plus de 60 ans, qui présentait des comorbidités et a été admis en réanimation pour un syndrome grippal aggravé, fort heureusement guéri. Il avait été au contact de porcs 4 jours avant l’apparition des symptômes. Cet épisode a mis en lumière l’absence, pour les médecins, de conduite à tenir spécifique à l'influenza porcine. Ce constat a motivé le lancement de campagnes de communication auprès des professionnels en Bretagne, et la saisine du HCSP pour demander un avis sur la prévention de la transmission humaine. Les experts ont profité de cette occasion pour actualiser les connaissances sur le risque de transmission des virus influenza aviaires à l’humain, et rappelé les préconisations face à un cas suspect.