Fluidothérapie
FORMATION CANINE
Auteur(s) : Gwenaël Outters Conférencier Jack-Yves Deschamps, chef de service des urgences et soins intensifs et enseignant-chercheur clinicien au CHUV Oniris de Nantes (Loire-Atlantique) Article rédigé d’après la conférence "Quels solutés pour quelles corrections?" présentée lors du dernier congrès de l’Afvac, qui s’est tenu à Bordeaux du 25 au 27 novembre 2021.
Si les grands fondements n’ont pas changé depuis une vingtaine d’années, les comportements d’utilisation des solutés sont franchement différents », constate Jack-Yves Deschamps dans sa conférence "Quels solutés pour quelles corrections?", livrée durant le congrès 2021 de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie. « Les compartiments hydriques sont notre champ de bataille » : 60 % d’eau dans l’organisme, 2/3 dans le milieu intracellulaire et 1/3 dans le milieu extracellulaire. Ce dernier regroupe le secteur interstitiel (3/4) et le secteur circulant (1/4).
Les secteurs hydriques déficitaires sont identifiés en fonction des symptômes. Quand le secteur intracellulaire est déficitaire, l’animal a soif, perd du poids ; quand le secteur circulant est déficitaire, le cœur bat plus vite, le rein est moins bien perfusé (urémie prérénale), le pouls devient filant ; quand le secteur interstitiel est déficitaire, le pli de peau persiste.
Différences entre les solutés
Les solutés se distinguent en fonction de leur composition. Les solutés glucidiques comprennent le glucose et le mannitol ; les solutés cristalloïdes isotoniques, à base de sel, sont le chlorure de sodium (NaCl) à 0,9 % et le Ringer lactate ; les solutés colloïdes contiennent des macromolécules (hydroxyéthylamidons [HEA]), ils se dégradent lentement et exercent une pression oncotique. Les solutés se différencient également selon leur concentration par rapport au plasma : isotoniques, hypotoniques (très rarement utilisés car un soluté isotonique, le glucose 5 %, se comporte comme un soluté hypotonique) ou hypertoniques. Afin de se rapprocher le plus possible du fonctionnement naturel, les solutés cristalloïdes isotoniques à base de sel, à la même concentration que le plasma, sont privilégiés.
Critères de choix du soluté
Quatre fondamentaux régissent le choix d’un soluté : l’osmose, règle qui gouverne les échanges entre deux compartiments séparés par une membrane semi-perméable ; le rôle du sel ; l’importance de l’oxygène ; et la volonté d’imiter la nature dans les corrections apportées.
L’osmose veut que, quand deux compartiments sont séparés par une membrane semi-perméable, l’eau va du milieu le moins concentré vers le milieu le plus concentré. Si la concentration en molécules (en mmol/l) est identique de part et d’autre de cette membrane, il n’y aura pas d’échanges, quel que soit le poids de ces molécules. Les molécules présentes en concentration élevée dans le sang auront un fort pouvoir osmotique, c’est le cas du sel. L’ion sodium (Na+) est le déterminant de l’osmolarité plasmatique, qui équivaut à deux fois la natrémie (une fois pour le Na+, une fois pour l’ion chlore [Cl-]).
Entre deux compartiments extracellulaires, un équilibre existe entre la pression hydrostatique, générée par la pompe cardiaque, qui a tendance à faire aller l’eau vers le milieu interstitiel, et la pression oncotique, exercée par les protéines, en particulier l’albumine, qui maintient l’eau dans le secteur circulant.
Les fluides véhiculent des hématies qui sont elles-mêmes transporteuses d’oxygène ; le remplissage des vaisseaux est donc la priorité du réanimateur.
Solutés salés : Ringer lactate et NaCl 0,9 %
En réanimation, la priorité est donnée aux solutés qui restent dans le secteur circulant et qui ont un fort pouvoir d’expansion volémique (PEV). Le PEV est la capacité à rester dans le volume circulant et à l’augmenter.
Le soluté idéal corrige tous les déficits, en agissant d’abord sur le secteur circulant et en y restant ; il a la même concentration que le plasma, est salé, isoionique en plus d’être isotonique, est peu dangereux et ne coûte pas cher. Il existe pratiquement : il s’agit du Ringer lactate. Injecté dans les vaisseaux, il va se répartir de part et d’autre du secteur extracellulaire (1/4 dans le secteur circulant, 3/4 dans le milieu interstitiel) : c’est le soluté de base pour traiter une déshydratation extracellulaire, mais aussi pour toute réhydratation, même intracellulaire : l’eau entrera dans les secteurs déficitaires.
Le potassium contenu dans le Ringer lactate n’est pas un problème, même en cas d’hyperkaliémie. Le NaCl 0,9 % et le Ringer lactate se valent en matière de réanimation, bien que le NaCl 0,9 % puisse induire une acidose si de larges volumes sont administrés (mais ceux-ci ne sont plus beaucoup indiqués).
Glucose 5 %
Le glucose 5 % est un soluté isotonique. Cependant, puisque le sucre passe librement la membrane, ce soluté se comporte comme de l’eau pure, comme un soluté hypotonique. L’eau va quitter le secteur circulant où elle a été administrée pour aller vers le milieu interstitiel et la cellule. Cela en fait un mauvais soluté de remplissage, mais un bon soluté pour corriger une déshydratation intracellulaire.
Jack-Yves Deschamps l’utilise peu, il lui préfère le Ringer lactate pour les besoins d’entretien. Le glucose 5 % pourrait être utilisé pour corriger des hypoglycémies après une correction plus agressive avec le glucose 30 % mais, en pratique, c’est rarement le cas. Il est préférable d’employer un sucre plus concentré dans un soluté de Ringer lactate.
Le glucose 5 % pourrait également servir à diminuer les hypernatrémies, toutefois un soluté cristalloïde isotonique est davantage conseillé dans ces situations. De même, les solutés mixtes (NaCl 0,45 % + glucose 2,5 %) sont adaptés, mais la plupart des animaux peuvent être entretenus avec un soluté cristalloïde sans faire appel au glucose.
Glucose 30 %
Le glucose 30 % n’est pas un soluté de remplissage. Son indication majeure est le traitement des hypoglycémies avec un bolus de 1 ou 2 ml/kg, sans exagérer pour ne pas déclencher une hypoglycémie rebond. Il est utilisé pour complémenter les solutés de Ringer lactate lorsqu’un apport en glucose est recherché chez un animal qui a une tendance à l’hypoglycémie.
Sa deuxième indication est de faire chuter rapidement une hyperkaliémie (chat en obstruction urétrale abattu à l’admission en hyperkaliémie : bolus de 2 ml/kg). Ce sucre va déclencher une décharge d’insuline, qui va faire entrer l’ion potassium (K+) dans la cellule. Son action est fugace, 20 minutes, le temps de mettre en place une dérivation des urines.
Mannitol 20 %
Le soluté de Mannitol à 20 % conserve son indication pour les traumatismes crâniens. Le but est de remplir le secteur circulant pour apporter de l’oxygène au cerveau tout en déshydratant les secteurs environnants, le milieu intracellulaire et le milieu interstitiel, qui sont œdématiés dans une boîte crânienne fermée. Il est administré à raison de 5 ml/kg. Son action dure environ une demi-heure, le relais est pris avec du NaCl 0,9 %, qui est légèrement hypertonique. Le Ringer lactate est contre-indiqué en cas de traumatisme crânien.
NaCl hypertonique
Jack-Yves Deschamps n’utilise plus le soluté de NaCl à 7,5 %. Son indication est la même que celle du mannitol, mais son mode d’action nécessite du sel très concentré, ce qui peut engendrer des acidoses hyperchlorémiques. Il était surtout employé pour obtenir un remplissage vasculaire massif (lors de torsion d’estomac par exemple) ; cette indication est désormais obsolète.
Bicarbonates
Le soluté de bicarbonates est indiqué dans les cas d’acidose très sévère pour alcaliniser le sang. Il n’est quasiment plus utilisé. Dans un diabète acidocétosique, il convient de d’abord réhydrater avec un Ringer lactate, puis de faire une insulinothérapie. L’acidose va se corriger d’elle-même.
Potassium
Le soluté de potassium ne doit jamais être administré pur, il doit être dilué et employé avec prudence par un vétérinaire qui sait manier une pompe à perfusion. Chez un animal qui mange, il n’y a pas beaucoup d’indications à le complémenter en K+. Dans tous les cas, la voie orale est plus sûre que la voie intraveineuse.
Colloïdes
L’utilisation des colloïdes en médecine vétérinaire s’est basée sur des considérations théoriques qui tenaient compte du fait que ces macromolécules sont davantage susceptibles de rester dans le secteur circulant sans provoquer d’inflation des autres secteurs. Ils ont beaucoup été étudiés dans la gestion d’un choc septique, or, dans cette situation, l’apport d’eau dans des vaisseaux atones avec une forte vasoplégie n’a souvent que peu d’effets sur la pression artérielle. En médecine humaine, il a été démontré que des patients ayant reçu des HEA ont plus besoin de ventilation et de dialyse ; la « surperfusion » induit des œdèmes dans certains tissus. Les colloïdes ne devraient donc plus être préconisés dans la gestion du choc septique en médecine humaine, pourtant ils restent très utilisés, et certaines revues vétérinaires, considérant que les études sur l’animal n’ont pas montré leur toxicité, continuent de les recommander. Jack-Yves Deschamps insiste sur la nécessité de réduire les volumes perfusés (il n’y a plus de raison de préconiser 80 ml/kg la première heure). Un, deux, voire trois bolus de Ringer lactate doivent devenir la règle, même en cas de choc. Il souligne également l’importance de la prise en charge précoce de la vasoplégie dans les chocs septiques par des molécules vasoactives (adrénergiques), comme la noradrénaline ou l’éphédrine.
De façon plus générale, Jack-Yves Deschamps estime que « nous ne guérissons rien, nous mettons la nature en état de le faire. Il n’y a pas, dans la nature, de situation où un animal se retrouve avec de grands volumes de fluides dans le sang, alors qu’il en existe de nombreuses où il supporte une déshydratation. Il convient d’être moins interventionniste : moins de fluides, moins de transfusions, moins d’antibiotiques, moins d’antiacides, moins de monitoring invasif ».