Synthèse
FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Anne Bonjour-Dalmon, Inrae, virologue, pathologiste de l’abeille Cet article est le troisième d’une série de quatre qui vise à faire le bilan des connaissances sur les virus affectant l’abeille domestique. La première partie décrit les voies de transmission. Une seconde partie focalisée sur les liens entre voies de transmission et pratiques apicoles sera publiée dans un prochain numéro.
Pour prévenir l’impact des maladies virales dans les colonies d’abeilles domestiques (Apis mellifera) et limiter la dissémination des virus, il est important de prendre en compte toutes les voies de transmission en jeu. Deux principaux types de transmission sont possibles : horizontal, entre individus d’une même génération (éventuellement à des stades de développement différents, par exemple larves et nourrices) ; et vertical, à la descendance, soit par les œufs, soit par le sperme des faux bourdons.
Transmission par vecteur
Si certains virus de l’abeille sont connus depuis des millénaires, la dissémination mondiale de l’acarien parasite Varroa destructor est à l’origine de l’expansion de maladies virales majeures1.
Varroa destructor peut être un vecteur passif. Dans ce cas, le transfert du virus est « mécanique » : l’acarien prélève des particules virales en s’alimentant sur des nymphes ou des abeilles infectées, puis les réinocule aux individus sur lesquels il se nourrit successivement. Cependant, il peut aussi être infecté lui-même et multiplier certains virus, il a alors un rôle de vecteur « biologique ». Il a été démontré que cet acarien est capable de répliquer certaines souches du virus des ailes déformées, le deformed wing virus (DWV), considéré comme le virus le plus problématique pour l’abeille mellifère. Dans ce cas, il transmet une quantité importante de particules virales. Cela induit des infections cliniques chez des abeilles qui pouvaient déjà être porteuses du virus, mais en très faible quantité (infections latentes avec quelques particules virales, sans signes cliniques associés, sans multiplication du virus2). De plus, la capacité de Varroa destructor à diminuer la réponse immunitaire chez les abeilles parasitées favorise la multiplication virale.
Par ailleurs, Varroa destructor est impliqué dans la transmission des virus de la paralysie aiguë, un complexe de trois virus proches : acute bee paralysis virus (ABPV), kashmir bee virus (KBV) et Israeli acute paralysis virus (IAPV) (voir tableau), nommé « AKI-complex1 ». La transmission peut être « mécanique » pour l’ABPV, le plus fréquent en France, ou « biologique », impliquant, pour l’IAPV, une multiplication dans le vecteur. Le virus de la paralysie lente (slow bee paralysis virus), souvent retrouvé chez les bourdons en Europe du Nord, est également transmis par Varroa destructor chez l’abeille mellifère. Enfin, la détection dans Varroa destructor d’autres virus moins fréquents ou moins impactants pour les colonies suggère qu’ils pourraient aussi être transmis par ce vecteur (Lake Sinai virus [LSV], apis rhabdovirus-1/bee rhabdovirus-1).
Transmission par voie orale
Le partage de nourriture entre abeilles adultes (trophallaxie) ou, plus généralement, l’ingestion de nourriture contaminée (miel, pollen) sont à l’origine de transmissions de nombreux virus (voir tableau), notamment ceux de la paralysie aigüe (AKI-complex), du couvain (sacbrood virus [SBV]), des ailes déformées (DWV) et de la cellule royale noire (black queen cell virus [BQCV]). En outre, les fèces des abeilles infectées sont fortement contaminées par l’AKI-complex, le DWV, le virus de la paralysie chronique (chronic bee paralysis virus [CBPV]) et le BQCV. Pour ce dernier, la transmission via ingestion serait liée à la présence de Nosema, un champignon fragilisant les parois intestinales qui favoriserait le passage du virus. Plusieurs virus ont été détectés dans les glandes hypopharyngiennes, qui produisent la gelée royale, ce qui suggère une transmission par l’alimentation des larves (AKI-complex, DWV, SBV). Bien qu’ils soient destinés à éviter que les pathogènes se répandent dans la colonie, les comportements de nettoyage et de cannibalisme pour éliminer des abeilles mortes infectées pourraient également favoriser la transmission de virus dans les colonies.
Transmission par contact
Le CBPV, agent de la maladie noire, et au moins un des virus de l’AKI-complex, l’IAPV, ont la particularité d’être transmis par simple contact avec des abeilles infectées. Dans les colonies, une forte densité en abeilles et un « confinement » lié à une météo défavorable favorisent donc la transmission entre individus. De simples blessures superficielles (poils cassés) permettent la pénétration du virus. Le contact avec des fèces d’abeilles infectées est suffisant, au laboratoire, pour transmettre le virus à des spécimens indemnes. En effectuant leur vol de propreté, les abeilles limitent ainsi ce risque de transmission. Cependant, les colonies affaiblies ne peuvent pas réaliser ces vols, ce qui pourrait amplifier cette voie de transmission.
Transmission verticale
La transmission verticale3 est principalement liée à la présence de virus dans les œufs pondus par la reine (DWV, BQCV, CBPV, AKI-complex, SBV, LSV, voir tableau). La contamination se ferait de manière transovarienne et non par contact avec des tissus infectés, car ces virus restent détectables dans des œufs dont la surface a été stérilisée. Tous les œufs issus de reines infectées ne sont pas porteurs du virus, ce qui suggère l’existence de barrières à la transmission verticale. Toutefois, jusqu’à un tiers des œufs pondus par des reines infectées par le DWV peuvent être contaminés. Récemment, un mécanisme de résistance à l’infection précoce a été mis en évidence, le suppressed in ovo infection. Ce caractère héritable limiterait la contamination de la descendance par le DWV4.
D’autres mécanismes de résistance ou de tolérance pourraient être impliqués et, a contrario, des données de terrain relèvent une sensibilité accrue de certaines lignées génétiques à des infections virales.
La transmission à la descendance peut aussi s’opérer à travers le sperme des faux bourdons, lors de l’accouplement, par exemple pour le DWV. Chez Apis mellifera, ces risques sont accrus avec la polyandrie (fécondation de la reine par une vingtaine de faux bourdons).
Virus de l’abeille, virus des abeilles
Plusieurs virus initialement décrits chez l’abeille mellifère ont été identifiés chez d’autres insectes (les fourmis, par exemple, pour le virus de la paralysie chronique et le acute bee paralysis virus). La transmission entre espèces pollinisatrices se ferait via le partage de ressources, avec la consommation, par d’autres espèces, de nourriture contaminée par des fécès issus d'individus infectés. Le niveau de socialité pourrait contribuer à la dissémination des virus, en favorisant les voies d’échanges horizontales intraspécifiques chez les abeilles sociales. Les virus les plus fréquents dans le genre Apis sont le virus de la cellule royale noire (BQCV), le virus des ailes déformées (DWV) et l’AKI-complex. Le DWV, très fréquent chez plusieurs espèces d’Apis, est moins répandu chez d’autres espèces pollinisatrices. À l’inverse, en France, l’Israeli acute paralysis virus est plus souvent observé chez les abeilles sauvages que chez Apis mellifera1. Certains virus (DWV, BQCV, AKI-complex, Lake Sinai virus) peuvent se multiplier chez plusieurs espèces hôtes. Le DWV, par exemple, peut le faire chez des espèces appartenant à neuf genres différents.
1. Dalmon A., Diévart V., Thomasson M., et al. Possible Spillover of Pathogens between Bee Communities Foraging on the Same Floral Resource. Insects 2021;12(2):122.