Les vétérinaires face à l’inflation - La Semaine Vétérinaire n° 1965 du 11/11/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1965 du 11/11/2022

Finances

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Jacques Nadel

Est-ce parce que tout augmente qu’il faut tout augmenter ? Dans le contexte inflationniste actuel, la stratégie d’entreprise à adopter vis-à-vis des prix et des salaires est devenue une question centrale pour les vétérinaires praticiens. Si la hausse des tarifs paraît inévitable, elle doit être raisonnée.

La question de la hausse des tarifs et des salaires est sur toutes les lèvres des vétérinaires, notamment en pratique canine. Dans un contexte de double crise du pouvoir d’achat et de l’emploi, les arbitrages sont parfois cornéliens. Quelles stratégies adopter ? Selon le baromètre des tarifs vétérinaires 2022, publié par le site internet Le Mammouth Déchaîné, consacré à la protection animale, ceux-ci connaissent, entre avril 2021 et 2022, une augmentation moyenne nationale de 2,32 %, tous actes confondus. Cette moyenne cache des disparités tarifaires importantes en fonction des départements et des régions ; or une moyenne perd de son intérêt lorsque les écarts-types se creusent. Face à la hausse des coûts de production, certains vétérinaires augmentent sans hésiter leurs tarifs, alors que d’autres ont plus de scrupules.

« Les hausses tarifaires ne suivent pas l’inflation », constate d’emblée Benoît Savaëte (Liège 09), consultant en management des structures vétérinaires au sein du groupement VetFamily, afin de décomplexer les praticiens. Selon lui, ces derniers doivent suivre une logique d’entrepreneur en toutes circonstances. « Ne pas augmenter ses tarifs ou rogner sur ses marges, c’est prendre le risque de mettre en danger la trésorerie de l’entreprise », prévient-il. En effet, il faut prendre en compte les délais de paiement inchangés des fournisseurs et l’allongement possible de la durée du crédit client.

Pour une approche différenciée des hausses de prix

Face à un potentiel fléchissement de l’activité – puisque l’inflation risque d’aggraver le renoncement aux soins ou l’abandon de l’animal adopté au début de la crise sanitaire – la répercussion des hausses de prix des laboratoires et l’augmentation de celui des actes doivent être faites avec discernement. C’est le cas pour Philippe Pernod (L 86), praticien à la clinique des 1 000 Pattes de Neuville-aux-Bois (Loiret) : « Je répercute l’inflation sur mes tarifs autant que possible, mais pas forcément de manière linéaire. Par exemple, pour certains actes (consultation, vaccination, stérilisation, etc.), j’applique une hausse mesurée qui permet de pratiquer des prix d’appel concurrentiels. »

À plus forte raison en période de crise, « le vétérinaire doit se recentrer sur les fondamentaux, raisonner en marge et non en chiffre d’affaires, et assurer une veille concurrentielle resserrée », recommande Benoît Savaëte. Il invite à repérer, à l’aide d’un tableau de bord des prix et des marges, les segments d’activité et les ventes les plus rentables (antiparasitaires, consultation, stérilisation, vaccination, rappels vaccinaux, etc.) sur lesquels doivent prioritairement porter les augmentations de tarifs. Le vétérinaire nuance toutefois cette préconisation en fonction de l’environnement concurrentiel.

Attention à ne pas abuser du coefficient multiplicateur sur les nouveaux prix d’achat : cela pourrait être au détriment des ventes de certaines catégories de produits, comme l’hygiène, les compléments alimentaires, le petfood, etc. « Pour atténuer l’impact frontal d’une hausse tarifaire, il est également possible de mettre en place un plan de prévention à l’année (forfait), qui a l’avantage de fidéliser la clientèle et de maintenir le coût de la prévention sur douze mois », conseille-t-il.

Charles Facon (T 02), directeur général d’Eunoia Conseil, milite aussi pour une approche différenciée des augmentations de tarifs. « Tous les actes qui font l’attractivité de la clinique peuvent être revalorisés en suivant l’inflation », prône-t-il. C’est une règle de base : une hausse de prix doit s’accompagner d’une hausse de la valeur perçue. Par exemple, pour les actes spécialisés, « le prix doit être en cohérence avec les attentes du client », martèle Benoît Savaëte, la valeur d’utilité perçue par le client devant être le critère déterminant du prix.

Des augmentations plus faciles en rurale

Compte tenu de l’envolée des cours de la viande bovine et du lait, « les vétérinaires qui exercent en rurale ne doivent pas avoir d’états d’âme à augmenter les tarifs de leurs actes, estime Charles Facon. À la différence de la pratique canine, le contexte est favorable aux praticiens en rurale en raison de l’effet de rareté. Dans un marché BtoB peu concurrentiel, les éleveurs acceptent que les prix suivent l’inflation car ils n’ont pas le choix, ni l’envie de “perdre” leur vétérinaire et de parcourir 50 kilomètres pour en trouver un autre. »

Même s’il sait qu’il a les cartes en main, Adrien Couvreur (T 05), qui exerce dans une clinique mixte à Bourg-de-Visa (Tarn-et-Garonne), répercute mécaniquement l’inflation sur le prix de ses actes, mais se montre plus magnanime pour les produits de santé animale. « Je continue à rétrocéder aux éleveurs les remises obtenues par mon groupement d’intérêt économique. Avant l’inflation, elles s’élevaient à plus de 50 % sur les endectocides, elles se situent maintenant autour de 30 % à 40 % », confie-t-il. Auprès des propriétaires de chevaux et d’animaux de compagnie, l’absence de concurrence en milieu rural lui garantit une marge de manœuvre absolue quant à ses pratiques tarifaires. « Mais le but n’est pas de profiter de la situation et de marteler des clients qui nous amènent leurs animaux, surtout pour des soins d’urgence », précise-t-il.

Combiner revalorisation des salaires et primes

Avec l’inflation, la hausse des salaires est en train de s’imposer comme un enjeu pour les vétérinaires soucieux de fidéliser leur équipe, bien que la plupart des salariés ne se montrent pas très revendicatifs. Il est nécessaire, parfois sous la contrainte, d’accéder aux demandes d’augmentation (ou de les devancer) au-delà des accords conventionnels signés par les partenaires sociaux. « Les salaires sont indexés sur l’inflation, mais il faut aussi savoir raisonner pour ne pas adopter qu’une seule politique salariale. Ainsi, j’accorde des revalorisations différenciées aux salariés les plus méritants, l’uniformité des hausses salariales étant dangereuse pour l’entreprise », rapporte Philippe Pernod.

L’inflation et les difficultés de recrutement ne doivent pas conduire à des décisions déraisonnables, alors que l’activité semble aujourd’hui se stabiliser et que la profession a peu de visibilité sur l’avenir. À long terme, s’engager sur des niveaux élevés de rémunération peut mettre en péril l’équilibre économique de la structure. S’assurer au préalable que celle-ci aura les moyens financiers de les assumer est donc indispensable.

« Il est impossible de prédire comment évoluera la conjoncture économique, aussi je conseille de combiner revalorisation des salaires et attribution de primes fixes (prime de partage de la valeur, ou ex-prime exceptionnelle du pouvoir d’achat, entre autres) et variables », livre Charles Facon. Il insiste en outre sur « la nécessité de faire un point sur les augmentations de salaires (et du prix des actes) en milieu d’exercice et, au moment du bilan de fin d’année, de faire un rappel sur l’ensemble des rémunérations versées au salarié, car il n’en a pas toujours conscience ». Enfin, le vétérinaire doit, selon lui, travailler sa « marque employeur », c’est-à-dire réfléchir à ce qu’il est capable d’apporter à ses employés en plus des considérations salariales : conditions de travail, valeurs, ambiance, perspectives d’évolution, mode de management, qualité de vie au travail, etc. « Cette réflexion doit également conduire à s’interroger en profondeur sur son organisation et sur son style managérial (notamment délégation de responsabilités et de compétences, rationalisation des méthodes de travail), et à les revoir pour gagner en productivité et en qualité de vie au travail pour toute l’équipe », conclut Benoît Savaëte.

Maintenir la marge, un impératif !

Il est indispensable d’anticiper l’impact d’un changement de prix sur la marge. Si N1 est le nombre de ventes réalisées avec une marge M1, et N2 le nombre de ventes réalisées avec une marge M2, il faut que : N1 x M1 = N2 x M2 pour maintenir la marge. Donc, si le vétérinaire modifie M2 en baissant le prix du produit 2 (ou en ne l’augmentant pas malgré un prix d’achat plus élevé), il doit bien avoir en tête l’objectif de vente N2, qui devient N2 = N1 x M1/M2.