FORMATION CANINE
Auteur(s) : Laurent Masson Conférencière Sophie Gibert, diplomate European College of Veterinary Surgeons, praticienne au CHV Languedocia (Montpellier) Article rédigé d’après la conférence « Prise en charge du polytraumatisé », présentée au congrès 2021 de l’Afvac, qui s’est tenu du 25 au 27 novembre 2021 à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône.
Le polytraumatisme représente la deuxième cause de mortalité chez le chien et la majorité des traumatismes à l’admission dans un centre spécialisé vétérinaire. Il correspond à l’atteinte d’au moins un organe associée à celle d’une autre région ou organe du corps. Le décès de l’animal polytraumatisé est dû, dans un premier temps, aux pertes sanguines, à l’hypoxie et au traumatisme crânien. Dans un second temps, une hémorragie retardée, une infection ou une défaillance multi-organique provoquent le décès. Le pronostic de l’animal polytraumatisé est associé à un triage efficace (reconnaître les cas les plus critiques par une évaluation ABCDE et de l’état de conscience), un scoring, une évaluation complète, des soins adaptés et, surtout, l’entraînement de l’équipe vétérinaire.
Examen clinique d’admission
À l’admission, une préévaluation est réalisée à distance. Puis, comme dans toute situation d’urgence, une évaluation ABCDE est effectuée tout en recueillant l’anamnèse. Rapide et renouvelée pendant et après les mesures de réanimation, elle comporte cinq points.
Airway : examen du cou (recherche d’emphysème, de stridor laryngé), du thorax, de la position de l’animal pour respirer, recherche d’obstruction des voies respiratoires.
Breathing : examen de la courbe et de la fréquence respiratoires, de la couleur des muqueuses, recherche d’un tirage nasal ou costal, respiration gueule ouverte. Une oxygénothérapie n’est jamais délétère et est systématiquement mise en place, même juste par flow by devant le nez. Un humidificateur est indispensable lors d’une oxygénothérapie en cage à O2 ou par sonde nasale. Une intubation ou une trachéotomie peuvent être nécessaires en cas d’arrêts respiratoires ou de dyspnées inspiratoires hautes. Pour une dyspnée restrictive ou de discordance, l’animal est placé sous oxygène, dans un endroit calme et sous analgésie. La méthadone (0,1-0,3 mg/kg, toutes les 4 à 6 heures par voie intraveineuse, intramusculaire ou sous-cutanée) est la molécule de premier choix. L’efficacité de la buprénorphine est souvent insuffisante lors de polytraumatismes, et le butorphanol est un mauvais analgésique. La kétamine (0,1-1 μg/kg) arrive en deuxième intention : efficace sur des douleurs viscérales et spinales, d’utilisation sûre, elle est également intéressante pour son action bronchodilatatrice chez un animal avec un traumatisme thoracique. Les anti-inflammatoires stéroïdiens ou non ne sont pas des analgésiques à utiliser dans l’immédiat. En l’absence de réponse ou d’aggravation, il convient de réaliser une radiographie, voire une échographie si l’animal n’est pas transportable.
Cardiovascular : prise de la température, examen des muqueuses (couleur et temps de recoloration capillaire), prise du pouls artériel. Dès l’admission et la mise en place d’un cathéter veineux, des premiers examens complémentaires sont réalisés : hématocrite, protéines totales (en cas de perte sanguine, elles baissent avant l’hématocrite à la suite d’une splénoconcentration), lactates (indicateurs de la perfusion tissulaire), glycémie, ionogramme. Il est important de connaître la pression artérielle : en l’absence d’une mesure par Doppler, il convient de prendre le pouls métatarsien ou métacarpien plutôt que le pouls fémoral, car ils disparaissent si la pression est inférieure à 90 mmHg chez le chien et à 130 mmHg chez le chat, alors que le pouls fémoral ne disparaît que si la pression systolique est inférieure à 60 mmHg. Une tachycardie avec une pression artérielle normale doit alerter le praticien (phénomène de compensation). La perfusion lors d’état de choc est de 90 ml/kg chez le chien et de 60 ml/kg chez le chat : un bolus initial de 10 à 20 % est injecté, puis renouvelé 2 ou 3 fois après réévaluation. En l’absence de réponse, il faut rechercher une perte active et envisager un soluté hypertonique ou une transfusion.
Disability assessment : l’état de conscience de l’animal ne sera évalué qu’après restauration d’une pression artérielle systolique correcte (> 110 mmHg). Le score de Glasgow est surtout utilisé pour le suivi de l’état de l’animal. La combinaison d’un état de vigilance diminué, d’une hypertension artérielle et d’une bradycardie (triade de Cushing) est en faveur d’une hypertension intracrânienne. Une perfusion de mannitol ou de soluté hypertonique (2-3 ml/kg) est mise en place, en plus de l’oxygénothérapie et d’une surélévation de la tête de 20 à 30 degrés.
External areas : examen de l’abdomen, au niveau de l’ombilic, puis crânialement et caudalement, au niveau de la région anté-pubienne (recherche d’hématomes, crépitements, douleur, hernie, signes de fractures, saignement d’orifice).
Évaluation complète
À chaque anomalie détectée, la prise en charge doit être immédiate. Ensuite, le moyen mnémotechnique crash plan (cardiovascular, respiratory [déjà évalués précédemment], abdomen, spine, head, pelvis, limbs, arteries, nerves) permet de se rappeler tout ce qu’il va falloir examiner. Il peut être remplacé par un score de traumatisme aigu (ou ATT pour acute trauma triage : perfusion, cardiaque, respiration, œil-muscle-peau, squelette, neuro), qui est un score plus clinique et qui donne une meilleure évaluation pronostique.
L’abdomen est palpé, ausculté (borborygmes), examiné à la recherche d’une douleur, d’hématomes, de plaies, d’un signe du flot. L’hypovolémie par perte sanguine est la première cause d’hypoperfusion dans les traumatismes. L’échographie au chevet du patient permet de rechercher les saignements dans l’abdomen (4 fenêtres d’examen Pocus-abdo1 et Fast-abdo2) et dans le thorax (recherche du signe de glissement des plèvres, de lignes B présentes lors de contusions pulmonaires ou d’œdème pulmonaire, d’épanchement pleural ou péricardique). La vessie est souvent vide à l’admission et il convient d’évaluer le remplissage vésical en raison du risque de perforation ou d’anurie. Le chat polytraumatisé est fréquemment eupnéique à l’admission malgré des lésions thoraciques qui apparaissent quelques heures, voire 24 heures après, notamment en cas de hernie diaphragmatique. Par ailleurs, il faut rechercher une avulsion du tendon prépubien, piège classique s’il existe une hernie diaphragmatique. Des clichés radiographiques (de face et de profil) du museau à la queue sont réalisées dans un second temps, car il sont potentiellement stressants.
Un électrocardiogramme est effectué en présence d’arythmies perçues à l’auscultation, de tachycardie persistante, de choc précordial sans pouls perçu ou faible et de traumatisme thoracique.
En cas de suspicion de traumatisme médullaire, il importe de minimiser les manipulations et d’évaluer le statut de l’animal après la gestion du choc. L’évaluation orthopédique et neurologique est importante pour le pronostic : palpation de la colonne à la recherche d’asymétrie, présence d’une zone algique, d’un déplacement osseux, examen nerveux complet, en particulier réactions posturales, réflexes appendiculaires et crâniens, sensibilité superficielle et profonde des membres, mouvements de la queue et sensibilité, tonus et sensibilité de la région périnéale, capacité à se tenir debout, à se déplacer.
Un traumatisme du bassin est souvent associé à une atteinte d’une autre région du corps (chez 9 chats sur 10 présentant une fracture du bassin), comme une atteinte des voies urinaires basses, mais aussi des lésions rectales (risque d’apparition de signes de choc septique le lendemain du traumatisme). Il convient de se méfier des plaies pénétrantes cervicales et thoraciques car la taille externe de la plaie n’est pas proportionnelle aux dégâts profonds, notamment s’il y a eu empalement.