Dossier
DOSSIER
L’Agence nationale du médicament vétérinaire fait le bilan des principaux effets indésirables déclarés en 2021 chez l’être humain à la suite d’une exposition accidentelle à des médicaments vétérinaires.
Corinne Piquemal, Élisabeth Bégon, Flore Demay, Sylviane Laurentie
Anses-ANMV- Département Inspection, Surveillance du Marché et Pharmacovigilance- CS 70611 - 35306 FOUGERES Cedex
Au regard du nombre d’animaux de compagnie en France, de leur médicalisation croissante et des interactions rapprochées avec leurs propriétaires, la question de l’exposition humaine accidentelle aux médicaments vétérinaires mérite d’être soulevée. En s’intéressant aux effets indésirables (EI) survenant chez l’humain consécutivement à l’usage de médicaments vétérinaires, la pharmacovigilance vétérinaire joue un rôle clé dans l’évaluation et l’identification des risques encourus par les utilisateurs. Une étude rétrospective des déclarations d’EI déclarés chez l’être humain en 2021 et collectées dans la base de pharmacovigilance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail-Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV) a été menée afin de mettre en évidence les pratiques et les médicaments les plus à risque, et de proposer des mesures de prévention.
337 cas d’événements indésirables déclarés en 2021
En France, le signalement d’EI chez une personne après exposition à un médicament vétérinaire se fait essentiellement auprès des centres antipoison humains, en appelant (85 %) ou sur le portail de télédéclaration commun à tous les EI sanitaires chez l’être humain. Il est également possible de les déclarer auprès du laboratoire pharmaceutique titulaire ou responsable de l’autorisation de mise sur le marché. Tous ces signalements sont ensuite inscrits dans la base nationale de pharmacovigilance. En 2021, en France, 337 cas d’EI dus à une exposition humaine à des médicaments vétérinaires, et pour lesquels un lien de causalité avec l’administration n’a pas été exclu, ont été enregistrés dans la base de données nationale de l’Anses-ANMV. Parmi ces 337 cas, 314 cas relevaient d’une exposition accidentelle (EA) au médicament (soit 93 % des cas d’exposition humaine), et 23 cas sont survenus à la suite d’une exposition volontaire. Ces derniers ne seront donc pas inclus dans l’analyse conduite. Cette étude des cas d’EA a permis de dégager certaines tendances. Les circonstances sont variées : ingestions (37 %), injections (29 %), projections ou contacts oculaires (15 %), contacts cutanés (11 %), contacts avec l’animal traité (5 %) et inhalations (2 %) (figure 1).
Les antiparasitaires, principale classe thérapeutique impliquée
La majorité des déclarations concerne des individus adultes (85 %). Néanmoins, les enfants de moins de 5 ans représentent près de 12 % des cas (80 % d’ingestions accidentelles). Dans 5 % des déclarations, c’est un vétérinaire qui a été victime de l’EA (65 % de projections de médicament lors d’une injection). Puisqu’une déclaration peut concerner plusieurs produits, un total de 334 médicaments vétérinaires sont impliqués dans les 314 déclarations enregistrées à la suite d’une EA. Ils sont destinés à 50 % aux animaux de compagnie, à 39 % aux animaux de rente et à 4 % aux chevaux (figure 2). Dans 7 % des cas, le médicament a de multiples espèces cibles (par exemple, chiens, chats, bovins, et équins, voire parfois « toutes espèces »). Les principales classes thérapeutiques mises en jeu sont les antiparasitaires externes, qui constituent 31 % des médicaments signalés (par convention, les endectocides, qui ont une action sur les parasites externes et internes, ont été comptabilisés dans la catégorie « antiparasitaires externes » dans cette étude), suivis des vaccins (25 %, dont 87 % à destination des animaux de production), et des médicaments ciblant le système nerveux (10 %). Les médicaments les plus régulièrement cités sont les produits de la gamme Butox, antiparasitaires externes, (16 cas pour Butox 50 pour mille concentré à diluer et 7 cas pour Butox pour-on), ceux de la gamme Bravecto spot-on (Bravecto solution pour spot-on et Bravecto plus solution pour spot-on), antiparasitaires externes également, et Prascend, un médicament neurologique, avec une implication dans plus de 10 déclarations pour chacun (figure 3).
Les symptômes les plus fréquemment observés
Dans 15 des cas impliquant le Butox, le médicament a été ingéré par accident, engendrant essentiellement des symptômes digestifs et des irritations buccales. Pour 12 des déclarations concernant l’usage de pipettes de Bravecto, l’EA a eu lieu lors de l’ouverture du dispositif, ce qui a provoqué des atteintes localisées au niveau des zones en contact avec le produit (principalement la bouche et les mains). L’ingestion involontaire de comprimés de Prascend a quant à elle été associée à la survenue de symptômes digestifs (vomissements), généraux (fatigue, malaise), neurologiques et cardiaques (hypotension). Les symptômes les plus fréquemment observés (47 %) sont des signes d’irritation en lien avec la voie d’exposition (réaction au site d’injection, de projection cutanée ou oculaire). Des signes digestifs sont relevés dans 32 % des cas. Enfin, des signes neurologiques, généraux, cardiaques, respiratoires et ostéo-articulaires sont également mentionnés dans certains cas (figure 4). Toutefois, la plupart des symptômes cités sont bénins et aucun décès n’a été constaté.
Un nombre de déclarations en baisse
Les résultats obtenus dans cette étude rétrospective des cas d’EI déclarés chez l’être humain à la suite d’une EA à un médicament vétérinaire en 2021 ont été confrontés à ceux obtenus dans une étude similaire conduite sur les cas signalés en 20181. Leur nombre a diminué, passant de 392 à 337, avec une part relative d’EA stable. Davantage d’ingestions accidentelles ont été rapportées en 2021 (37 % vs. 23 % en 2018), mais moins de cas d’injection accidentelle (29 % vs. 34 % en 2018). Les principales classes thérapeutiques impliquées dans les cas d’EA sont toujours les antiparasitaires, suivis par les vaccins, ce qui peut sembler logique puisqu’il s’agit des médicaments les plus vendus. Les gammes les plus citées sont globalement les mêmes qu’en 2018 : Butox, Bravecto spot-on et Prascend. En revanche, le nombre relatif de déclarations en 2021 a évolué pour 2 de ces médicaments : 16 pour Bravecto spot-on contre 34 en 2018, et 23 pour Butox contre 14 en 2018. Le nombre de cas d’absorption accidentelle de Butox 50 pour mille concentré à diluer a fortement augmenté (14 cas vs. 4 cas en 2018). Les signalements liés à Prascend sont restés stables (11 cas). Pour ce qui est des populations concernées, en 2021, près de 12 % des EI ont touché des enfants de moins de 5 ans (pour lesquels les risques d’intoxication grave sont majorés) alors qu’en 2018, ils n’étaient que 3,6 % à avoir été victimes d’un EI dû à une exposition à un médicament vétérinaire. Il s’agit généralement d’ingestion accidentelle de produits laissés à leur portée ; dans 60 % des cas en 2021, ceux-ci sont destinés aux animaux de compagnie (Butox 50 pour mille concentré à diluer dans 22 % des cas). Les éleveurs demeurent particulièrement victimes d’injections accidentelles, en particulier lors des vaccinations. Dans la plupart des déclarations, les symptômes restent bénins : signes d’irritation cutanée, oculaire, ou buccale en fonction de la zone en contact avec le médicament, et symptômes digestifs en cas d’ingestion.
Prévenir les risques pour les utilisateurs
L’Anses-ANMV et la profession vétérinaire tiennent un rôle central dans la prévention des risques utilisateurs. Celle-ci nécessite une mise à disposition d’informations claires au sujet de ces risques dans la rubrique « précautions particulières à prendre par la personne qui administre le médicament vétérinaire aux animaux » du résumé des caractéristiques du produit (RCP). Ces indications sont régulièrement actualisées en fonction des connaissances disponibles sur les médicaments, alimentées en grande partie par les remontées de pharmacovigilance. L’analyse des données obtenues permet de détecter des risques qui n’auraient pas été identifiés au moment de l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché. Si un nouveau risque est signalé, des mesures de prévention, telles qu’une mise à jour des RCP et des notices et/ou des actions de communication auprès des professionnels et du grand public, sont engagées. Cela a été le cas par exemple en 2018, pour les produits de la gamme Bravecto spot-on2. Il a été remarqué que ces EA étaient, au moins en partie, liées à une mauvaise compréhension du fonctionnement de l’ouverture de type « Twist’n’use » (« tourner-presser »). La baisse du nombre de déclarations relevée entre 2018 et 2021 semble montrer que les actions mises en place (communiqués diffusés par l’ANMV et le laboratoire commercialisant le médicament, modifications des RCP et de la notice, fourniture de gants) ont été efficaces. Pour le Prascend, une alerte a été diffusée en 20213. Néanmoins, le recul est encore trop limité pour évaluer son impact. Les cas concernant le Butox 50 pour 1000 concentré à diluer devront quant à eux être suivis de près afin d’évaluer si des mesures de prévention des risques doivent être entreprises. Pour ce qui est des risques liés aux injections, les piqûres accidentelles de vaccins vétérinaires ont fait l’objet d’un rapport d’étude spécifique, publié par l’Anses-ANMV en 2021, visant à mettre en évidence les principaux facteurs de risque et les complications possibles selon le vaccin impliqué et sa composition4. Au-delà de la déclaration des EI, les vétérinaires praticiens et leurs auxiliaires spécialisés jouent également un rôle clé dans la prévention des EA humaines aux médicaments vétérinaires en sensibilisant les propriétaires aux risques et en leur rappelant, au moment de la prescription et de la délivrance, les bonnes pratiques à adopter et les précautions à respecter lorsqu’il s’agit de manipuler ces produits. Ainsi, lors de la délivrance des antiparasitaires externes, régulièrement impliqués dans les déclarations d’EA, il est important d’expliquer aux utilisateurs comment s’en servir en toute sécurité, en précisant la façon d’ouvrir et d’appliquer la pipette, mais aussi en insistant sur le fait que le site d’application ne doit pas être touché et que, tant que celui-ci n’est pas sec, les contacts étroits avec l’animal doivent être évités.
Se référer au résumé des caractéristiques du produit
En fonction des précautions explicitées dans les RCP, il faut préciser lorsqu’un médicament nécessite d’être manipulé avec des gants. Le port de gants est d’autant plus important pour l’usage de certaines substances ayant un potentiel cancérogène (comme les médicaments contenant du métronidazole) ou tératogène (antithyroïdiens de synthèse, corticostéroïdes, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, pipettes antiparasitaires contenant de la N-méthyl-2-pyrrolidone, etc.). La manipulation de ces dernières est néanmoins fortement déconseillée aux femmes enceintes. Pour certaines catégories de produits, la prévention des risques pour le propriétaire intervient en consultation, au moment de l’administration des médicaments par le praticien. C’est le cas en particulier pour les vaccins vivants contre Bordetella bronchiseptica, pour lesquels il faut s’assurer que le foyer ne comprend pas d’individus potentiellement à risque (jeunes enfants, personnes âgées ou sous traitement immunosuppresseur, femmes enceintes), car la vaccination peut engendrer une excrétion de la souche vaccinale de la bactérie pendant au moins 6 semaines et exposer les personnes fragiles à une infection5. Des rappels au sujet des bonnes pratiques à adopter pour conserver des médicaments vétérinaires à domicile en toute sécurité sont également nécessaires. Les produits doivent être rangés dans leur emballage d’origine, regroupés dans un même lieu de stockage, séparément des médicaments à destination humaine, et hors de portée des enfants. Ceux qui requièrent une préparation préalable (e.g. une dilution dans le cas de Butox, une dispensation dans un aliment pour Prascend) doivent être clairement identifiés et ne doivent pas être préparés trop en avance ni en trop grande quantité. Différents supports de prévention6 (infographie et vidéo) ont récemment été diffusés par l’ANMV et sont mis à disposition des praticiens vétérinaires sur le site de l’Anses-ANMV afin de les déployer dans leur cabinet.
Les ingestions
Cent dix-sept événements indésirables sont liés à l’ingestion accidentelle d’un médicament vétérinaire. Dans 72 % des cas, la substance ingérée était destinée à un animal de compagnie. Ce médicament était un antiparasitaire externe dans 28 % des signalements. Les causes d’ingestion accidentelle sont multiples. Dans 35 % des cas, il est clairement spécifié qu’il s’agit d’une confusion entre un traitement prescrit au propriétaire et celui de l’animal. Près de 12 % des déclarations relatent l’ingestion d’un aliment dans lequel est caché le médicament vétérinaire (contexte régulièrement rapporté en cas d’ingestion de Prascend) ou d’une solution préparée à l’avance et non identifiée comme étant un traitement (telles les dilutions de Butox 50 pour 1000 concentré à diluer). L’ouverture avec la bouche des antiparasitaires sous forme de spot-on est également une cause rapportée d’absorption accidentelle (5 cas). Les signes cliniques associés à ces ingestions accidentelles sont essentiellement des troubles gastro-intestinaux : douleurs abdominales (22 %), vomissements (21 %), nausées (14 %), diarrhée (11 %).
Les injections
Dans 91 des cas signalés chez l’humain, l’exposition au médicament vétérinaire a fait suite à une injection accidentelle. Pour 81 % de ces déclarations, le médicament impliqué est un vaccin. Les injections accidentelles concernent quasi exclusivement des médicaments à destination des animaux de rente (82 %), les éleveurs en étant généralement les victimes. Ces injections provoquent des symptômes essentiellement localisés au niveau du site d’injection, tels que douleur, paresthésie, engourdissement (95 % des cas) et inflammation (85 %).
Les projections et contacts oculaires
Des projections oculaires ou des contacts accidentels avec les yeux (parfois consécutifs à une confusion avec un médicament pour humain) sont mentionnés dans 48 déclarations d’événement indésirable. Dans 44 % des cas, une projection d’antiparasitaire externe est impliquée dans la survenue des effets indésirables. Ces produits destinés aux animaux de compagnie se présentent en majorité (57 %) sous forme de spot-on. Les projections et contacts oculaires entraînent des signes cliniques locaux : 69 % d’irritations (sensation de picotement, de brûlure, de douleur, de prurit), 46 % de conjonctivites ou de rougeurs oculaires, 40 % de douleurs et/ou de paresthésies oculaires.
Les contacts cutanés
Un total de 35 cas sont liés à un contact cutané accidentel avec un médicament vétérinaire. Pour 83 % d’entre eux, le produit incriminé est un antiparasitaire externe. Dans 63 % des situations de contacts cutanés, les effets indésirables font suite à l’usage d’un médicament destiné aux animaux de compagnie, et impliquent quasi exclusivement des antiparasitaires sous forme de pipette. Les déclarants évoquent principalement des signes cliniques localisés au niveau de la zone d’exposition : sensations de douleur, de chaleur, de brûlure, de picotements, de prurit (51%). Érythème, brûlures, œdème et cloques sont également cités (17 %).
Les expositions consécutive à un contact avec l’animal traité
Quinze déclarations rapportent une exposition humaine due à un contact direct avec un animal traité, qui est domestique dans 13 cas. Pour 9 signalements, le médicament impliqué est un antiparasitaire sous forme de spot-on. Les symptômes évoqués sont essentiellement localisés au niveau de la zone de contact (cf encadrés sur les projections et contacts oculaires et sur les contacts cutanés). L’exposition involontaire à la substance survient généralement dans les 24 heures suivant le traitement, en particulier durant la nuit, lorsque l’animal dort avec ses propriétaires, ou en raison d’un contact direct avec le produit alors que la zone d’application n’est pas encore sèche.
Les inhalations
Les expositions involontaires consécutives à une inhalation font l’objet de 7 déclarations. Les signes cliniques rapportés sont variables : irritation des yeux et des voies respiratoires (3 cas), mais aussi troubles digestifs (4 cas) ou cardiaques (1 cas).
Déclarer les événements indésirables
Le ministère de la Santé et de la Prévention met à disposition des particuliers comme des professionnels un portail unique pour déclarer tous les événements indésirables chez l’humain, y compris à la suite de l’utilisation d’un médicament vétérinaire : https://bit.ly/3FutrWk.
Les vétérinaires et les ASV, des interlocuteurs privilégiés pour les propriétaires
Le nombre de déclarations d’effets indésirables faisant suite à une exposition accidentelle des utilisateurs à des médicaments vétérinaires reste limité, et la sévérité des cas rapportés modérée. Néanmoins, les risques demeurent présents et, en l’absence de mesures de prévention efficaces, ces expositions pourraient aboutir à des conséquences plus graves, en particulier chez les jeunes enfants. Dans ce contexte, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et l’Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV), en tant qu’autorités compétentes en matière de médicaments vétérinaires, mais aussi les praticiens et les auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV), qui restent les interlocuteurs privilégiés des propriétaires, ont un rôle central à jouer dans la prévention des accidents liés à la manipulation et à la conservation de médicaments destinés aux animaux. Cette prévention passe avant tout par des rappels oraux réguliers à propos des risques déjà identifiés. L’alimentation du système de pharmacovigilance, grâce à la déclaration des effets indésirables constatés sur le terrain, est également fondamentale. Elle peut conduire à la mise en évidence de nouveaux risques, ce qui permet de mieux informer le public par la mise à jour des notices et/ou la publication de communiqués spécifiques. Les vétérinaires peuvent suivre en temps réel l’ensemble des actualités ayant trait aux à ces médicaments en s’abonnant à la newsletter de l’Anses-ANMV. Enfin, il est important de préciser que, si cette prévention des risques liés à l’usage des médicaments vétérinaires vise en particulier les propriétaires d’animaux de compagnie, elle concerne également tous les professionnels de la santé animale : vétérinaires, ASV, mais aussi éleveurs.