Exercice rural
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Céline Lardy
La rémunération de la prophylaxie est un sujet récurrent ; tous les ans, chaque département fixe ses propres tarifs au terme de négociations bipartites entre vétérinaires et éleveurs. L’exemple des Pays de la Loire illustre les difficultés posées par ce dispositif.
La campagne de prophylaxie 2022-2023 a officiellement déjà débuté. Pourtant, la question des tarifs pratiqués fait encore souvent l’objet de débats locaux houleux lors des négociations bipartites entre organisations agricoles et vétérinaires, comme l’impose le Code rural et de la pêche maritime. Dans les Pays de la Loire, les vétérinaires ont décidé de se fédérer et de proposer des tarifs régionaux homogènes et communs à chacun des départements, étayés par une étude scrupuleuse du coût des missions de prophylaxie. Dans quatre des cinq départements de cette région, les organisations agricoles ont refusé l’augmentation demandée, et aucun accord n’a donc été signé.
Remettre à plat la base de calcul du coût des actes…
« Nous voulons que la prophylaxie, réclamée par la filière et par l’État, soit rémunérée à hauteur de ce qu’elle nous coûte, en matière de main-d’œuvre et de dépenses annexes », explique Christophe Mompas (N 99), vice-président du Syndicat régional des vétérinaires des Pays de la Loire, chargé des négociations en Maine-et-Loire. Ainsi, les requêtes des vétérinaires consistaient notamment en une revalorisation des tarifs de prophylaxie à leur juste valeur et une indexation sur l’indice de convention collective pour les évolutions ultérieures, et non sur l’indice ordinal (IO), comme c’est actuellement le cas. « En comparant l’évolution des différents indices – IO, point de convention collective, inflation –, on se rend compte qu’il existe un vrai décalage entre le coût réel du travail et l’indice utilisé pour établir les tarifs de prohylaxie », souligne-t-il. En se fondant sur un rapport1 du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), commandé en 2015 par le ministère chargé de l’agriculture pour essayer d’uniformiser la grille de prophylaxie entre les départements, deux méthodes de calcul ont été testées. « Afin d’évaluer le tarif d’une prise de sang, nous avons d'abord fait notre calcul sur la base du coût réel d'un praticien d’échelon 3. Nous l’avons également chiffré en partant des indemnisations actualisées des actes de police sanitaire. Quelle que soit la méthode de calcul utilisée, nous sommes tombés sur le même résultat, soit 2,85 € HT par prise de sang. C'est ce tarif que nous avons donc proposé aux professions agricoles dans chaque département. Nous avons également fourni aux préfets de département des courbes d’indices des prix d’achat des moyens de production agricoles (Ipampa), sur lesquelles on peut constater que les prix de la viande et du lait ont évolué beaucoup plus favorablement que le coût du vétérinaire, des services et médicaments ou des services uniquement au cours des dix dernières années ».
…et des frais de déplacement
Malgré ce travail analytique, seule la Sarthe a bénéficié de la signature d’une convention locale. Dans les quatre autres départements, cette revalorisation a été refusée par les organisations agricoles. Le dossier a donc dû être renvoyé vers le préfet concerné, personne qui doit trancher, par arrêté préfectoral, en cas de négociations inabouties.
La décision du préfet est tombée en Maine-et-Loire et en Vendée, où les vétérinaires ont obtenu une augmentation proche de l’inflation 2022 et au-delà de l’évolution de l’IO entre 2021 et 2022, mais en-deçà de leurs revendications (2,69 € HT).
La question du tarif du déplacement peut, elle aussi, faire l’objet d’un débat compliqué, ce qui a été le cas l’an passé dans la région, puisque tous les départements n’appliquent pas le même, certains n’en ayant tout bonnement pas du tout. « Après des négociations difficiles, nous avons pu créer des lignes budgétaires réservées au déplacement dans tous les départements. Là encore, nous avions effectué un travail important pour chiffrer le coût du déplacemen du vétérinaire, en prenant en compte le temps passé par le praticien dans sa voiture, le nombre de kilomètres parcourus, l'usure de la voiture… Nous demandions 35 € HT l’année dernière, 37 € HT cette année. À ce jour, nous avons déjà obtenu 30 € dans quatre départements sur cinq », précise Christophe Mompas.
Reste à savoir comment va se dérouler cette campagne 2022-2023, avec l’allègement des mesures prophylactiques de la rhinotrachéite infectieuse bovine pour les élevages indemnes depuis plus de trois ans. Cela risque d’augmenter le temps passé par animal, surtout si cette nouvelle organisation de la prophylaxie en élevage laisse à désirer. En effet, seule une partie du cheptel étant testée, il faudra donc identifier préalablement tous les animaux concernés à l’aide d’un algorithme national.
Ne pas se placer dans une opposition franche
Pour l’heure, les vétérinaires du Pays de la Loire ne souhaitent pas porter plus loin le combat, estimant avoir déjà obtenu un mieux et un début de régionalisation des tarifs. Mais ce n’est pas forcément le cas partout. En effet, l’arrêté préfectoral pourrait théoriquement être refusé par la profession. « Même s’il n’y a pas grand-chose à craindre si l’arrêté préfectoral n’est pas respecté, par rapport à notre image, nous ne souhaitons pas en arriver là », estime Christophe Mompas. Par ailleurs, pour que les arrêtés soient valables administrativement, ils devraient paraître deux mois avant le début de la campagne de prophylaxie, la plupart pourraient donc être facilement contestés. « Nous allons appliquer les tarifs définis par arrêté, car nous n’avons pas envie d’être dans une opposition franche, pénalisante pour la campagne de prophylaxie. Néanmoins, il faudrait que le travail engendré ne nous coûte pas plus que sa rémunération ».
Une baisse du volume des prophylaxies
Et après ? Dans le rapport du CGAAER, une tarification nationale de la prophylaxie était évoquée comme trajectoire possible, mais cela ne semble plus à l’ordre du jour. Comme l’explique Laurent Perrin (L 84), président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), les allégements de prophylaxie, mis en place en raison de l’amélioration constante de la qualité sanitaire du cheptel en France, réduisent fortement le nombre d’actes dispensés. « La prophylaxie pouvait représenter entre 25 et 35 % du chiffre d’affaires d’un cabinet il y a une trentaine d’années, maintenant elle ne représente plus que 2 à 10 % », remarque-t-il. De fait, « cette tarification nationale a de moins en moins de sens, puisqu’on réalise de moins en moins d’actes. L’évolution positive de l’état de santé du cheptel entraînant une modification de l’exercice sanitaire, la rémunération du vétérinaire doit donc être adaptée ». D’autre part, la tarification nationale poserait le problème du système de calcul, puisque les contraintes sont différentes en fonction des zones, en matière de typologie d’élevage et de géographie.
Vers un nouveau système
Dans ce contexte où l’épidémiosurveillance n'est plus financé par le volume d’affaires de la prophylaxie comme c'était le cas autrefois, Laurent Perrin estime : « il nous semblerait judicieux d’opter pour une rémunération en temps de paix, c’est-à-dire prendre en compte l’engagement des vétérinaires pour assurer cette épidémiosurveillance. »
Dans cette optique, un courrier2 a été envoyé au ministère, cosigné par l’Ordre, le SNVEL, la Société nationale des groupements techniques vétérinaires mais aussi par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et par les chambres d’agriculture. Reste à trouver le mode de rémunération. Selon le président du SNVEL, « l’épidémiosurveillance et la sécurité sanitaire bénéficient aussi à l’État et aux consommateurs et, plus globalement, à la société. Il faudra donc probablement trouver un ratio pour déterminer ce qui est à la charge de l’État et ce qui revient aux éleveurs, afin d’entretenir un réseau sanitaire efficace et efficient ».
Pour Christophe Mompas, une autre solution est possible. « Pour garder le peu de vétérinaires motivés qui restent, la veille sanitaire pourrait être financée par une “sanitaxe” de quelques centimes, supportée par le consommateur et applicable aussi bien dans le domaine végétal qu’animal. J’avais fait une proposition en ce sens à la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt. Ce type de taxe existe déjà pour financer le recyclage, cela pourrait être envisagé pour maintenir la performance et la qualité sanitaire française ».