Médecine féline
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Audrey Chevassu
Le 14 octobre dernier, le Groupe de réflexion et d’intérêt félin (Grif) a organisé, à Paris, une journée de conférences sur le thème « Le chat 2.0 : la maladie rénale chronique en pratique ». L’accent a notamment été mis sur le diagnostic précoce de la maladie, qui représente un défi.
À l’occasion de la journée du Groupe de réflexion et d’intérêt félin1 (Grif) sur le thème « Le chat 2.0 : la maladie rénale chronique en pratique », une cinquantaine de praticiens intéressés par la médecine féline se sont réunis à Paris le 14 octobre dernier, ainsi qu’environ 70 personnes en distanciel grâce au live mis en place. Des sujets tels que le diagnostic précoce de la maladie rénale chronique (MRC), sa prise en charge nutritionnelle ou les traitements des complications et du syndrome urémique ont été abordés durant de courtes conférences interactives. Au cours de celles-ci, plusieurs partenaires ont présenté des innovations ou des objets connectés pour aider au suivi de l’animal, comme la puce Thermochip et les gamelles connectées de la gamme Sure Petcare de MSD Santé animale, l’aliment pour les chats insuffisants rénaux de Royal Canin et les médicaments utiles à la gestion des complications du laboratoire Boehringer Ingelheim.
1 à 3 % de la population féline concernée
Rachel Lavoué (A 04), diplômée de l’European Veterinary Internal Medicine, enseignante-chercheuse à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), en Haute-Garonne, a fait le point sur les animaux concernés par la MRC, sur son diagnostic et sa prise en charge. Il s’agit principalement d’individus âgés, puisque 30 à 80 % des chats de plus de 15 ans sont atteints de MRC, soit 1 à 3 % de la population féline touchée par cette maladie. Il existe différents facteurs de risque : individuels, génétiques, environnementaux, alimentaires (taux de phosphore, qualité des protéines). Un stade d’insuffisance rénale peut être attribué aux chats malades selon la classification Iris (International Renal Interest Society) ; ils vont de 1 à 4 : 2 étant un stade avec peu de signes cliniques et 4 étant le stade terminal. La maladie rénale se caractérise initialement par l’apparition d’une lésion rénale qui diminue le nombre d’unités fonctionnelles du rein ou des néphrons, puis par la formation de « supers néphrons », qui compensent pendant quelque temps cette perte avant de fonctionner de moins en moins bien.
Importance du diagnostic précoce
Rachel Lavoué et Brice Reynolds (T 91), diplômé d’études spécialisées vétérinaires en médecine interne des animaux de compagnie et responsable de la consultation féline au centre hospitalier universitaire de l’ENVT, ont détaillé l’importance du diagnostic précoce et sa difficulté. Il passe par l’identification des animaux à risque et par l’établissement d’une stratégie de dépistage. Le risque tient compte de la race (risque de polykystose chez les persans, par exemple), des antécédents de maladie rénale chez les parents ou dans la portée), des comorbidités (virus de l’immunodéficience féline, virus de la leucose féline, cardiopathie, hyperthyroïdie, tumeurs, maladies lithiasiques), ainsi que de leur âge, de leur examen clinique et des informations rapportées par les propriétaires, telles que la présence de polyuro-polydipsie ou de vomissements.
Pour élaborer la stratégie de dépistage, il convient de considérer la variabilité de la créatininémie ou de la valeur de la diméthylarginine symétrique (SDMA) chez un même individu (20 % pour la première, 50 % pour la seconde) en fonction du moment de la journée, de la mise à jeun ou non et de la méthode de dosage utilisée. Afin de prendre en compte ces variations, il est recommandé d’effectuer les prises de sang à jeun, à la même heure et en associant si possible créatininémie et SDMA. Établir un intervalle de référence individuel le plus tôt possible est conseillé, en proposant régulièrement des prises de sang annuelles dès 2 ans afin de connaître les valeurs normales d’urée et de créatinine de l’animal.
Traitement des complications
La MRC s’accompagne de nombreuses complications, telles que protéinurie, l’hypertension, la déshydratation, l’hypokaliémie, l’acidose métabolique, l’anémie, mais aussi de signes moins spécifiques, comme des manifestations digestives ou une anorexie. La protéinurie commence souvent dans les stades tardifs (3 et 4). La bandelette urinaire n’est pas un bon moyen de diagnostic chez le chat, le rapport protéines/créatinine urinaire est privilégié. Deux types de traitements existent : les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) et, depuis quelques années, les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine (les sartans). Le traitement recommandé jusqu’à présent reposait sur les IECA. Les sartans ont montré une preuve de non-infériorité mais pas de supériorité pour le moment, malgré un mécanisme d’action intéressant qui conserve l’action bénéfique de l’angiotensine 2 sur ses récepteurs AT2. D’autres études seront nécessaires pour approfondir la connaissance de ces molécules. La question de combiner les deux se pose parfois, cependant, puisque les études n’existent pas chez le chat, il est plutôt conseillé d’éviter de les associer.
Il est important de traiter une tension trop élevée dès qu’elle dépasse 160 mmHg en présence de lésions sur les organes cibles, si non dès 180 mmHg. Cela permet de protéger les reins, les yeux, le cœur et le cerveau, qui sont les organes les plus touchés par l’hypertension.
Enfin, pour la déshydratation, la réhydratation sous-cutanée paraît être une bonne option thérapeutique à partir du stade 3 pour les animaux stables cliniquement, afin d’améliorer leur confort et leur espérance de vie. Le propriétaire peut être aidé pour mettre en place le traitement à domicile, qui consiste en l’administration de 50 ml de cristalloïdes, injectés à l’aide d’un Epijet et d’une tubulure de perfusion durant 15 minutes, 2 fois par semaine. Le débit sera augmenté progressivement ; et la poche, tiédie pour limiter la douleur. Les propriétaires doivent être prévenus de la survenue d’une boule au niveau du site de perfusion ainsi que d’un œdème passager des zones déclives dans les jours à venir.
Prise en charge nutritionnelle
Maud Clavel (L 07), responsable du service nutrition au centre hospitalier vétérinaire Frégis (Val-de-Marne), a rappelé les objectifs de l’alimentation dans la prise en charge de la MRC en fonction des stades d’insuffisance rénale. Pour le premier stade, il n’y a pas de recommandations particulières, à part apporter davantage d’aliment humide. Les régimes hyperprotidiques, tels que le Barf, sont déconseillés à cause de leur déséquilibre phospho-calcique, mais il ne faut pas pour autant réduire les taux protéiques de l’aliment. Dans les stades plus avancés, une évaluation nutritionnelle complète de l’animal avec pesée, estimation de l’indice de masse grasse et de masse maigre, est régulièrement effectuée. Les objectifs seront alors de fournir un aliment enrichi en lipides pour augmenter l’appétence et la densité énergétique, de maintenir un débit de filtration glomérulaire (DFG) suffisant à l’aide d’acides gras essentiels et d’un taux d’humidité suffisant. Le phosphore devra être progressivement limité afin de ralentir la progression de la maladie tout en gardant une teneur en protéines assez élevée pour conserver la masse musculaire. Enfin, un haut taux d’oméga-3 est préconisé à tous les stades (effet rénoprotecteur), en privilégiant les formes peu oxydables (capsules percées sur l’aliment).
Cas du syndrome urémique
Il importe de repérer les animaux en crise urémique pour adapter leur prise en charge. Il s’agit d’individus dont l’état général s’est dégradé soudainement dans un contexte de MRC, avec une hausse rapide des paramètres biologiques et une diminution du DFG.
La prise en charge repose principalement sur la fluidothérapie par voie intraveineuse (attention à ne pas entraîner d’hypervolémie : réévaluer l’animal toutes les 12 heures). En cas d’hypokaliémie, il faudra complémenter en potassium en perfusion continue à débit constant. La perfusion permet également de limiter l’acidose métabolique, si elle est présente, ainsi que l’hyperphosphatémie. En cas de nausée ou de vomissements, le maropitant est préféré à l’ondansétron ou au métoclopramide. Enfin, pour l’anorexie, il ne faut pas hésiter à poser une sonde nasogastrique. Les causes initiales, quand elles existent, sont à rechercher, de même que les affections concomitantes, comme les infections du tractus urinaire et les pyélonéphrites.