Unna oabbá

Stöld, nom commun désignant en suédois le vol (d’un objet, d’une chose), en l’occurrence d’un renne. C’est sous ce terme que la police locale, au nord du cercle polaire, désigne en réalité les assassinats et les tortures commis par des Suédois sur les rennes des Samis, un peuple de Laponie. Cette requalification immédiate et spontanée de ces actes odieux est faite par Elsa, l’héroïne de ce roman magnifique, qui commence, comme Bambi, par le meurtre de son faon Nástegallu, sous ses yeux de petite fille – unna oabbá (petite soeur) – de 9 ans. D’emblée, Ann-Helén Laestadius fait de ses lectrices et lecteurs les témoins d’un voyage au cœur de la violence humaine, souvent fratricide entre deux peuples aux origines communes, et qui se déchirent en s’en prenant à la prunelle des yeux des éleveurs de rennes, leurs faons. Issue d’une longue lignée d’éleveurs, qui cousent et brodent leurs tenues traditionnelles, hument le vent et vivent au rythme désormais incertain des saisons, Elsa a hérité de la sagesse accumulée par chaque génération. Dix ans après l’événement tragique et fondateur, en marquant ses faons juste avant l’été, après leur avoir entaillé délicatement l’oreille, elle murmure à chacun : « Je ne te possède pas, tu es à toi, rien qu’à toi. Je ne fais que t’emprunter. » Elle sait que les « rennes sont biekka oapmi, la propriété du vent ». Entremêlant journalistes, policiers, enseignants, éleveurs de rennes, jeunes étudiants et citadins qui veulent profiter de la nature au mépris des animaux, la narratrice montre comment le comportement de chacune et chacun peut changer (ou non) le cours de la violence. Elle redonne surtout aux rennes des Samis leur véritable place, celles d’êtres sentients pleinement vivants, dont la mort violente et volontaire n’est pas un Stöld. « Pour nous ce n’est pas un vol. C’est un assassinat. En toute conscience. »

Stöld, d’Ann-Helén Laestadius, Robert Laffont, 13,6 x 21,6 cm, 450 pages, 21,50 €.