« Les vétérinaires auront toujours mon oreille attentive » - La Semaine Vétérinaire n° 1968 du 02/12/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1968 du 02/12/2022

Entretien

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Propos recueillis par Michaella Igoho-Moradel

Le 1er novembre 2022, Franck Fourès a pris ses fonctions de directeur de l’Anses-ANMV. Pour La Semaine Vétérinaire, il revient sur le rôle déterminant de l’Agence et sur la poursuite des travaux qu’elle a engagés dans sa feuille de route 2022-2026.

Comment votre parcours vous a-t-il mené à la tête de l’ANMV1

En rejoignant l’ANMV, dont le siège est situé à Fougères (Ille-et-Vilaine), je renoue non seulement avec mes premières amours professionnelles mais aussi avec la Bretagne. Mon premier poste était à la direction générale des services vétérinaires de Rennes (Ille-et-Vilaine), au sein de laquelle j’étais chargé de l’inspection de la pharmacie vétérinaire. J’ai également été référent régional de la pharmacie vétérinaire pour la région Grand Ouest. Outre ces expériences, le choix de l’Anses2 a été déterminé par la diversité de mon parcours et par son adéquation avec les aptitudes nécessaires pour diriger l’ANMV. Pendant quatre ans, j’ai occupé un poste de directeur adjoint de l’évaluation des risques à l’Anses, où j’ai acquis des compétences d’encadrement de scientifiques de haut niveau, ainsi qu’une bonne connaissance du secteur de l’évaluation et de la gestion des risques. Puis, durant trois ans, j’ai été directeur adjoint de la DAAF3 en Guyane, avec des problématiques stimulantes. Par ailleurs, dans le cadre de mon doctorat de sociologie de l’action collective, obtenu à Sciences Po Paris, j’ai été sensibilisé aux sciences participatives et à l’intégration des parties prenantes et de la société civile dans les réflexions scientifiques. Enfin, mes fonctions à l’ambassade de France au Brésil m’ont permis de défendre les couleurs tricolores et les spécificités de la santé publique vétérinaire dans un contexte international. La conjonction de ces différentes expériences m’a conduit à occuper ce poste, ce dont je suis très heureux.

Quels seront vos grands chantiers à venir ?

Prendre la tête d’une agence très reconnue au niveau national et international nécessite de faire preuve d’humilité. Une période d’écoute, de sensibilisation et d’imprégnation est indispensable avant de donner sa touche personnelle. Je tiens d’ailleurs à remercier mon prédécesseur et l’équipe de direction, qui ont établi une feuille de route 2022-2026 solide, intégrant certaines réflexions menées en lien avec les parties prenantes. Je compte poursuivre ces travaux. Au-delà de la mise en œuvre du règlement européen sur le médicament vétérinaire, l’adéquation de nos bases de données nationales des médicaments vétérinaires avec celle de l’Union européenne reste un sujet important. Les grands chantiers de l’ANMV sont nombreux pour les années à venir. L’Agence a pour objectif de se positionner comme une référence européenne en matière d’évaluation de thérapies innovantes, telles que les vaccins de nouvelle génération, les cytokines ou les phages, et ainsi porter des dossiers novateurs. En ce qui concerne les alternatives aux antibiotiques en médecine vétérinaire, nous souhaitons faciliter l’évaluation au niveau français et européen et donc l’arrivée sur le marché de solutions en lien avec les médecines complémentaires (aromathérapie et phytothérapie). Autre point qui me paraît fondamental : l’ANMV doit se saisir en amont des préoccupations sociétales, comme la question de l’évaluation environnementale des médicaments, qui affecte pour l’instant surtout le médicament humain. L’Agence doit prendre en compte cette composante environnementale, mais aussi la santé des travailleurs et des utilisateurs de médicaments vétérinaires. La transversalité liée à ce positionnement est un grand atout et mérite d’être renforcée. L’ANMV doit ainsi être force de propositions pour faire évoluer les pratiques européennes sur ces sujets.

Avez-vous bon espoir d’avancer sur des sujets chauds, notamment la disponibilité des médicaments vétérinaires, les médecines complémentaires, l’antibiorésistance ?

Sur la question des ventes d’antibiotiques vétérinaires, la profession et les filières ont fait un travail remarquable, avec des chiffres en baisse, unanimement salué par l’ensemble des acteurs. Il est nécessaire de le poursuivre et de proposer des perspectives de remplacement et d’évolution des pratiques d’élevage pour garantir également aux vétérinaires que ces diminutions n’entraînent pas de problématiques de bien-être animal. Concernant les ruptures de stock de médicaments vétérinaires, l’Agence s’est beaucoup investie dans un projet de l’OMS4 financé par la Commission européenne. Un rapport sur les ruptures d’approvisionnement en antibiotiques en médecine humaine et vétérinaire sera dévoilé d’ici à quelques mois. Y figureront un diagnostic de la situation et des propositions afin de limiter les conséquences de ces problèmes de disponibilité pour les praticiens. Nous espérons qu’elles pourront être élargies à l’ensemble des médicaments. Vis-à-vis de la phytothérapie, le travail très remarqué de l’ANMV se poursuit aujourd’hui. Cette question a été intégrée aux réflexions du groupe de travail sur les plantes5 de l’Anses. Un certain nombre de plantes connues dans la pharmacopée européenne y seront étudiées pour trouver comment remédier au manque d’information dans ce domaine. Sur la question de l’antibiorésistance, nous attendons beaucoup du suivi des usages afin d’aller plus loin que le suivi des ventes. Un des objectifs est de donner aux vétérinaires la capacité de comparer leurs pratiques en matière de prescription d’antimicrobiens. Nous travaillons avec l’Ordre des vétérinaires sur le projet Calypso6, en particulier sur le module spécifique consacré à la surveillance de l'utilisation des antimicrobiens. Dans le cadre d’un projet européen, trois personnes ont été recrutées, notamment pour aider à constituer et à animer le réseau des déclarants (vétérinaires, pharmaciens, fabricants d’aliments médicamenteux).

Où en est l’adoption de textes d’application du règlement européen sur les médicaments vétérinaires ?

En mars 2022, une ordonnance a intégré les dispositions législatives de ce règlement dans le droit national. L’Agence est fortement impliquée dans la rédaction des textes d’application. Nous travaillons étroitement avec la DGAL7 et la DGS8, qui suivent ces dossiers. Plusieurs décrets sont attendus, dont deux ont déjà été mis en consultation auprès des parties prenantes cet été. Ils concernent le cœur de l’action de l’Agence : les autorisations de mise sur le marché, l’inspection, la publicité, la pharmacovigilance, le commerce parallèle, les sanctions en cas de dérive.

L’ANMV s’investira-t-elle davantage dans la veille en ligne pour lutter contre la contrefaçon et la falsification de produits vétérinaires ? 

Nous sommes très vigilants afin que tout le travail d’autorisation des médicaments vétérinaires que nous effectuons ne soit pas mis à mal par des falsifications ou des contrefaçons. Cette problématique est encore limitée en médecine vétérinaire et centrée sur des produits spécifiques, comme les colliers antiparasitaires pour chiens. Cette veille en ligne évoluera en même temps que les technologies disponibles. Les réseaux sociaux et Internet sont une mine d’informations. En 2023, les agents chargés de ces sujets suivront des formations sur la recherche et le criblage de ces informations sur les réseaux sociaux. Aussi, nous n’excluons pas, si besoin, la possibilité de nous équiper de programmes d’intelligence artificielle qui analyseraient les réseaux de manière automatique pour détecter des fraudes.

Quelle place réservez-vous aux vétérinaires dans votre feuille de route ? 

Concernant les ventes d’antibiotiques, les vétérinaires peuvent être fiers du travail accompli. Cela montre à quel point l’approche collective, qui est celle de la médecine préventive, est un atout de taille. Cet esprit d’équipe, la coopération entre vétérinaires et le travail en commun avec les acteurs des filières est un point fort de la profession. Et nous souhaitons, en tant qu’agence nationale, jouer notre rôle pour encourager cette collaboration. Par ailleurs, les vétérinaires jouent un rôle important à tous les maillons de la chaîne du médicament. Que ce soit la recherche fondamentale, la recherche appliquée, la recherche et développement, l’industrie, la qualité du médicament, la prescription, la délivrance ou encore la pharmacovigilance. L’Anses a comme principe d’action l’ouverture aux parties prenantes, il est donc primordial pour nous d’avoir un retour des acteurs qui travaillent en direct sur ces sujets. Les vétérinaires auront toujours mon oreille attentive ainsi que celle de l’équipe de direction.

  • 1 Agence nationale du médicament vétérinaire.
  • 2. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
  • 3. Direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt.
  • 4. Organisation mondiale de la santé.
  • 5. Groupe de travail créé pour évaluer « l’état des connaissances sur les huiles essentielles et les plantes d’intérêts pour la phytothérapie et l’aromathérapie des animaux producteurs de denrées alimentaires en vue d’établir des premiers profils de risques pour la santé humaine ».
  • 6. Dispositif qui collecte l'ensemble des données échangées entre les vétérinaires praticiens et l’administration relatives aux médicaments antibiotiques utilisés en médecine vétérinaire.
  • 7. Direction générale de l’alimentation.
  • 8. Direction générale de la santé.