Vétérinaires : pour un enseignement davantage tourné vers le vivant ? - La Semaine Vétérinaire n° 1968 du 02/12/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1968 du 02/12/2022

Enseignement

DOSSIER

Auteur(s) : Chantal Béraud

Durant leurs études ou en formation continue, les vétérinaires du futur devront apprendre à soigner les animaux en tenant mieux compte du contexte vivant dans lequel ils s’intègrent. Les écoles vétérinaires participent déjà à cette transition.

« La profession vétérinaire a bien réussi à diminuer drastiquement l’usage des antibiotiques. Pourquoi ne pourrait-elle pas de même être aujourd’hui précurseur en matière de transition écologique ? », interroge Hélène Soubelet (T 97), directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité. Certes, la tâche qui est devant nous est immense ! Ne serait-ce que parce que notre connaissance du vivant est encore limitée : par exemple, seuls 10 % de la biodiversité mondiale – et seulement 1 % de celle du sol  sont à ce jour connus. De fait, l’étude de la biodiversité est une discipline récente de la science. Quant aux interdépendances et aux interactions entre les êtres vivants des divers écosystèmes, ce sont des processus souvent plus complexes qu’on ne s’y attend, dont beaucoup restent à découvrir. »

Élargir la vision des vétérinaires

L’un des buts de la Fondation est de mettre en commun les initiatives des acteurs et des chercheurs et leurs réflexions sur des questions émergentes dans ces domaines. « Nous communiquons également les résultats de la recherche auprès de juristes, d’économistes, d’étudiants en école d’ingénieur, de professionnels de la communication ou des sciences politiques, indique Hélène Soubelet. En matière de santé publique, juge-t-elle, notre profession est très performante pour gérer les maladies infectieuses, à la façon d’un gestionnaire de crise. Mais le vétérinaire doit absolument élargir sa vision en passant du soin d’un animal (de compagnie ou de rente) à celui d’un être vivant intégré dans un écosystème. Je pense que les écoles devraient aujourd’hui apprendre au vétérinaire à être plus globalement un gestionnaire du vivant, dans sa complexité, avec notamment des connaissances en écologie. »

Régénération des sols et système d’élevage

Cet état d’esprit est-il partagé par la jeune génération de vétérinaires ? Sans sondage d’opinion mené dans l’ensemble des écoles, difficile d’en juger. C’est en tout cas « par sensibilité personnelle » que Julie Renoux (T 07) dit s’être engagée dans cette approche, en devenant une vétérinaire consultante indépendante, dirigeante d’Agri Care C (société de conseil en stratégie des systèmes d’élevage et en prévention, santé et bien-être des animaux). Elle intervient également à la ferme pilote Hectar1 (auprès d’un troupeau de vaches laitières), créée par Xavier Niel (fondateur de Free) et Audrey Bourolleau. Il s’agit d’une exploitation conduite en agriculture biologique et selon les pratiques de l’agriculture de conservation. Julie Renoux se dit persuadée qu’il faut « revoir les systèmes d’élevage, en s’appuyant sur les fonctionnalités des écosystèmes, afin d’aboutir à une durabilité et à une meilleure résilience. En particulier pour les élevages herbagers, qui participent à l’entretien des paysages et à la régénération des sols, et doivent être maintenus ou réintroduits dans les exploitations agricoles ».

Impliquer les futurs professionnels

Pour concevoir le modèle génétique du troupeau de la ferme pilote Hectar, Julie Renoux a notamment travaillé avec Alain Ducos (professeur de génétique et productions animales), qui a été l’un de ses enseignants à l’École nationale vétérinaire (ENV) de Toulouse (Haute-Garonne). Elle a également déjà accueilli des étudiants vétérinaires sur ce site ; et des projets de thèse avec l’ENV de Nantes (Loire-Atlantique) sont en cours. Pour apprendre, et participer à ce qu’ils croient tous être la médecine vétérinaire de demain, en privilégiant une vision intégrée, un écosystème dans lequel le cheptel est relié à son environnement (voir encadré sur l’agroécologie).

Caroline Prouillac

Directrice de l’enseignement à VetAgro Sup, enseignante-chercheuse en pharmacie et toxicologie

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Un nouveau module d’enseignement en réflexion

Les étudiants de VetAgro Sup se sentent-ils concernés par la transition écologique ?

Nos échanges – dont certains informels avec les élèves – ainsi que l’essor d’actions associatives en lien avec la transition écologique montrent effectivement un intérêt croissant d’une bonne partie de nos étudiants pour ce thème. Leur prise de conscience s’oriente majoritairement sur le type de transformations qu’ils souhaitent mener en ce qui concerne la vie quotidienne de l’établissement, dont certaines ont déjà été mises en œuvre. En revanche, peu d’entre eux mènent une réflexion dans ce sens axée sur leur futur métier. Ou, quand ils le font, c’est généralement en fin de cursus avec, par exemple, l’émergence d’un plus grand nombre de thèses liées à l’agroécologie. Je trouve ce comportement plutôt « logique » pour plusieurs raisons : il faut d’abord bien connaître son métier, avoir un peu de recul dans sa pratique, en appréhender les enjeux, avant de réfléchir à comment la transformer sur certains aspects.

Comment cet enseignement pourrait être intégré à leur formation ?

Cet axe est actuellement plus ou moins développé, selon le niveau de sensibilité propre à chaque enseignant. Personnellement, dans mes cours de pharmacie et de toxicologie, j’aborde le problème des résidus de médicaments dans l’environnement, l’antibiorésistance, la sécurité du consommateur, entre autres. Mais je reconnais qu’il nous manque sans doute un enseignement de fond plus général qui y serait consacré. C’est une réflexion en cours et nous venons justement de lancer un groupe de travail sur ce thème, en commençant par recenser toutes nos actions de formation déjà diffusées dans ce sens dans nos deux parcours (ingénieurs agronomes et vétérinaires). Notamment les enseignements intégrant le concept d’une seule santé (humaine, animale, environnementale), concept que nous proposons déjà d’approfondir avec notre diplôme d’établissement One Health en pratiques. Quant au nouveau module qui pourrait être intégré à notre formation de base, il pourrait s’agir en partie d’un tronc commun, destiné tant à nos futurs vétérinaires qu’à nos futurs ingénieurs agronomes.

Henry Chateau

Directeur des formations de l’EnvA

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Un mode de vie plus vert sur le campus

Les étudiants de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (EnvA) sont-ils engagés sur la question écologique ? 

La question environnementale est un sujet qui intéresse nos étudiants comme de nombreux membres du personnel et l’institution en tant que telle. Nous avons pu mesurer cela à différents moments. Lors de la construction du projet d’établissement de l’EnvA [Val-de-Marne], en 2020, nous avons mené une grande enquête grâce à laquelle nous avons pu recueillir les avis et les envies des étudiants. Un sur trois imaginait l’EnvA en campus piéton et vert en 2025. Pour 50 % d’entre eux, l’environnement était une priorité. Les assises de la vie étudiante de l’EnvA, initiative de concertation lancée au printemps 2022, ont permis d’aller un peu plus loin. Le développement durable reste une des trois priorités essentielles pour 56 % des répondants à un questionnaire. Dans le cadre des ateliers, des idées et des propositions ont pu être émises sur le sujet.

Concrètement, de quelle manière cela se traduit-il ? 

Une association étudiante existe, Alfort Durable. Elle organise ponctuellement des actions, comme des journées de nettoyage ou des petites formations pratiques aux écogestes. Pour ce qui est des actions à mener à la suite des assises de la vie étudiante, nous y travaillons et nous avançons. Des arbres seront plantés prochainement, cet automne et au printemps. Le petit bois sera requalifié, en lien avec nos partenaires de l’Office national des forêts. Nous envisageons aussi la création de nouveaux espaces verts. Nous renforçons la place du vélo sur le campus, et allons réduire progressivement celle de la voiture. Mais cela vient rencontrer d’autres demandes de nos étudiants, parfois contradictoires, ce qui révèle les ambivalences que nous pouvons tous avoir sur le sujet.

Nourriture, tri, biodiversité, sobriété énergétique font-ils partie des enjeux de la vie sur le campus ?

Nous avons effectivement adopté une démarche responsable en matière de restauration, avec des plateaux-repas équilibrés, issus de produits locaux, de qualité, à prix réduit, et des lieux de restauration installés dans la résidence étudiante. Par ailleurs, nous essayons d’améliorer nos pratiques quotidiennes, notamment en ce qui concerne le tri. Au sujet de la biodiversité, des nichoirs sont installés dans le jardin botanique, ainsi que des plantes mellifères. Nous sommes aussi en train de réfléchir à la mise en place d’une ruche pour abeilles solitaires. Enfin, les étudiants sont très attentifs à la problématique de l’éclairage et nous partageons leur engagement. Au-delà de ces actions, l’EnvA est très mobilisée sur la question de la sobriété énergétique, d’autant plus dans le contexte de crise que nous traversons.

Caroline Prouillac

Directrice de l’enseignement à VetAgro Sup, enseignante-chercheuse en pharmacie et toxicologie

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Un nouveau module d’enseignement en réflexion

Les étudiants de VetAgro Sup se sentent-ils concernés par la transition écologique ?

Nos échanges – dont certains informels avec les élèves – ainsi que l’essor d’actions associatives en lien avec la transition écologique montrent effectivement un intérêt croissant d’une bonne partie de nos étudiants pour ce thème. Leur prise de conscience s’oriente majoritairement sur le type de transformations qu’ils souhaitent mener en ce qui concerne la vie quotidienne de l’établissement, dont certaines ont déjà été mises en œuvre. En revanche, peu d’entre eux mènent une réflexion dans ce sens axée sur leur futur métier. Ou, quand ils le font, c’est généralement en fin de cursus avec, par exemple, l’émergence d’un plus grand nombre de thèses liées à l’agroécologie. Je trouve ce comportement plutôt « logique » pour plusieurs raisons : il faut d’abord bien connaître son métier, avoir un peu de recul dans sa pratique, en appréhender les enjeux, avant de réfléchir à comment la transformer sur certains aspects.

Comment cet enseignement pourrait être intégré à leur formation ?

Cet axe est actuellement plus ou moins développé, selon le niveau de sensibilité propre à chaque enseignant. Personnellement, dans mes cours de pharmacie et de toxicologie, j’aborde le problème des résidus de médicaments dans l’environnement, l’antibiorésistance, la sécurité du consommateur, entre autres. Mais je reconnais qu’il nous manque sans doute un enseignement de fond plus général qui y serait consacré. C’est une réflexion en cours et nous venons justement de lancer un groupe de travail sur ce thème, en commençant par recenser toutes nos actions de formation déjà diffusées dans ce sens dans nos deux parcours (ingénieurs agronomes et vétérinaires). Notamment les enseignements intégrant le concept d’une seule santé (humaine, animale, environnementale), concept que nous proposons déjà d’approfondir avec notre diplôme d’établissement One Health en pratiques. Quant au nouveau module qui pourrait être intégré à notre formation de base, il pourrait s’agir en partie d’un tronc commun, destiné tant à nos futurs vétérinaires qu’à nos futurs ingénieurs agronomes.

Henry Chateau

Directeur des formations de l’EnvA

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Un mode de vie plus vert sur le campus

Les étudiants de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (EnvA) sont-ils engagés sur la question écologique ? 

La question environnementale est un sujet qui intéresse nos étudiants comme de nombreux membres du personnel et l’institution en tant que telle. Nous avons pu mesurer cela à différents moments. Lors de la construction du projet d’établissement de l’EnvA [Val-de-Marne], en 2020, nous avons mené une grande enquête grâce à laquelle nous avons pu recueillir les avis et les envies des étudiants. Un sur trois imaginait l’EnvA en campus piéton et vert en 2025. Pour 50 % d’entre eux, l’environnement était une priorité. Les assises de la vie étudiante de l’EnvA, initiative de concertation lancée au printemps 2022, ont permis d’aller un peu plus loin. Le développement durable reste une des trois priorités essentielles pour 56 % des répondants à un questionnaire. Dans le cadre des ateliers, des idées et des propositions ont pu être émises sur le sujet.

Concrètement, de quelle manière cela se traduit-il ? 

Une association étudiante existe, Alfort Durable. Elle organise ponctuellement des actions, comme des journées de nettoyage ou des petites formations pratiques aux écogestes. Pour ce qui est des actions à mener à la suite des assises de la vie étudiante, nous y travaillons et nous avançons. Des arbres seront plantés prochainement, cet automne et au printemps. Le petit bois sera requalifié, en lien avec nos partenaires de l’Office national des forêts. Nous envisageons aussi la création de nouveaux espaces verts. Nous renforçons la place du vélo sur le campus, et allons réduire progressivement celle de la voiture. Mais cela vient rencontrer d’autres demandes de nos étudiants, parfois contradictoires, ce qui révèle les ambivalences que nous pouvons tous avoir sur le sujet.

Nourriture, tri, biodiversité, sobriété énergétique font-ils partie des enjeux de la vie sur le campus ?

Nous avons effectivement adopté une démarche responsable en matière de restauration, avec des plateaux-repas équilibrés, issus de produits locaux, de qualité, à prix réduit, et des lieux de restauration installés dans la résidence étudiante. Par ailleurs, nous essayons d’améliorer nos pratiques quotidiennes, notamment en ce qui concerne le tri. Au sujet de la biodiversité, des nichoirs sont installés dans le jardin botanique, ainsi que des plantes mellifères. Nous sommes aussi en train de réfléchir à la mise en place d’une ruche pour abeilles solitaires. Enfin, les étudiants sont très attentifs à la problématique de l’éclairage et nous partageons leur engagement. Au-delà de ces actions, l’EnvA est très mobilisée sur la question de la sobriété énergétique, d’autant plus dans le contexte de crise que nous traversons.

Hélène Soubelet (T 97)

Directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité

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Intégrons d’autres intervenants dans les écoles

En France, notamment à l’université de Montpellier (Hérault), il existe de très bons formateurs en écologie et en biologie de la conservation des écosystèmes et des espèces. Je pense qu’ils devraient davantage intervenir dans le cadre du cursus des écoles vétérinaires (en y ajoutant des modules d’enseignement) ou dans celui de la formation continue. Personnellement, pour évoluer dans ma carrière, j’ai suivi un diplôme d’études approfondies de pathologie végétale.

Agroécologie : un travail polyvalent pour le vétérinaire de demain

Julie Renoux (T 07), vétérinaire consultante indépendante, dirigeante d’Agri Care C, travaille sur l’alimentation herbagère et sur une gestion optimisée du pâturage qui passent, notamment, par la sélection d’un choix de variétés et de mélanges de plantes et par la conduite du troupeau en pâturage tournant dynamique. « Ces rotations améliorent en effet la disponibilité fourragère et présentent des intérêts pour rompre les cycles parasitaires », commente-t-elle. En parallèle, je réalise des audits de parasitologie, en effectuant des coproscopies régulières sur les adultes et des dosages sanguins de pepsinogène en première année afin de déterminer le degré de développement de l’immunité des animaux, leur niveau d’infestation et, ensuite, pouvoir administrer des traitements ciblés et raisonnés. Dans les systèmes agroécologiques, les apports des médecines complémentaires sont d’autres pistes à creuser. »

Reconquérir la nutrition

Julie Renoux estime qu’en pratique rurale, la profession vétérinaire « est la plus légitime pour évaluer l’alimentation du troupeau ». Et d’expliquer : « Je me rends dans les parcelles pour faire des prélèvements de végétaux en vue d’analyser la qualité des fourrages, ainsi que celle de l’alimentation en observant les animaux (état de santé, état corporel, qualité des bouses, comportement, etc.). Tout cela, couplé avec des bilans métaboliques en oligoéléments et en vitamines, me permet de conseiller ou non à l’éleveur d’apporter tel ou tel complément alimentaire à son troupeau. Le vétérinaire est le seul intervenant de la ferme à pouvoir vraiment juger (grâce à son diagnostic de l’état de santé de l’animal) le résultat, en qualité, de l’alimentation fournie. » Pour toutes ces raisons, elle est persuadée que la profession, en concertation avec les éleveurs, est le référent à la fois le plus légitime et le plus compétent pour impulser et suivre ces changements de systèmes d’élevage, moteurs d’une possible transition écologique.

  • 1. bit.ly/3OxWQS6c.