Comportement
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Amandine Violé
La dernière journée scientifique du collectif Le Chien mon ami s’est intéressée aux chiens présentant une forte réactivité comportementale (agression, impulsivité, peur). Ils seraient de plus en plus nombreux.
Le collectif Le Chien mon ami (LCMA) a réuni une centaine de participants autour de la thématique du chien réactif lors de sa journée scientifique, le 19 novembre 2022, à Maisons-Alfort (Val-de-Marne). Source d’incompréhension, motif d’abandon voire d’euthanasie pour certains propriétaires, le comportement dit réactif de certains chiens soulève nombre de problématiques. Les experts réunis à l’occasion ont pu apporter leur éclairage scientifique quant aux déterminants, innés ou acquis, à l’origine de ces troubles émotionnels. Plusieurs stratégies thérapeutiques, fondées sur des retours d’expériences constructives, ont également été proposées.
Un chien dit réactif est un animal dont l’ampleur des manifestations comportementales apparaît inappropriée face à des événements récurrents de la vie quotidienne. Ces comportements peuvent s’exprimer sous le spectre de la peur, de l’anxiété, de l’agressivité, et ce, à l’encontre de congénères, de l’humain ou en réaction à divers stimuli environnementaux (la phonophobie est la plus couramment rapportée). Les conférences de la journée ont notamment fait le point sur l’origine de la réactivité canine.
Des déterminants innés
La génétique
Des travaux menés en laboratoires d’analyses pour humain et pour animal révèlent l’implication complexe de plusieurs gènes prédisposant aux troubles agressifs ou anxieux. Une corrélation étroite entre génétique et comportement existe donc et soulève la question d’une sélection en amont de lignées de chiens reproducteurs sociables et amicaux.
La race
La contribution raciale dans l’expression de tempéraments typés est indéniable. Citons notamment la témérité des chiens de berger. L’émergence de certains phénotypes comportementaux est le fruit d’une sélection ancienne et ciblée, en lien avec l’utilisation spécifique dévolue à certaines races canines (compagnie, défense, conduite de troupeau). Un berger australien n’aura donc pas les mêmes besoins constitutifs qu’un chihuahua.
L’individu
Chaque animal présente des caractéristiques psychologiques qui le déterminent. Certains chiens ont, par exemple, une plus forte tendance à éprouver de manière durable des états émotionnels négatifs et, de ce fait, à manifester des comportements craintifs, offensifs. À la lumière d’études conduites en éthologie animale, plusieurs tempéraments dominants ont été caractérisés : intrépide, sociable, joueur, craintif, agressif. Des tests d’évaluation comportementale sont désormais disponibles et permettent, en pratique, de mieux appréhender la psychologie canine1.
L’impact hormonal
Catherine Escriou (A 92), maîtresse de conférences en neurologie et comportement à VetAgro Sup, a rappelé l’impact négatif de la stérilisation sur des chiens qui présentent une réactivité préexistante, allant à l’encontre des demandes des propriétaires en ce sens. Les revues bibliographiques font état d’une absence d’efficacité de la stérilisation pour réduire les manifestations d’agressivité inter et intraspécifiques. Celles-ci peuvent même être majorées. La stérilisation n’est pas non plus recommandée chez le chien peureux.
Des déterminants acquis
La relation entre le propriétaire et le chien
Au-delà du lien étroit qui unit historiquement l’humain au chien, il est étonnant de constater la puissance de la synchronisation émotionnelle qui les relie. Le chien décrypte non seulement l’humain par le biais d’informations visuelles et/ou acoustiques, mais discrimine également sensiblement ces signaux. Une étude2 de 2021 menée sur une population de chiens de berger montre notamment que leur niveau de stress est directement influencé par la qualité de la relation entretenue avec leur maître et par la personnalité de ce dernier. Humain angoissé, chien stressé ! Isabelle Vieira (N 84), vétérinaire comportementaliste, a ainsi souligné l’importance de la construction d’un lien sécurisant et affiliatif fort entre l’animal et son propriétaire, à la fois perçu comme un aidant et comme un protecteur.
L’environnement
Étant donné sa domestication progressive, force est de constater que, de nos jours, le cadre de vie du chien correspond à celui de l’humain. Bruyants, oppressants, ces environnements peuvent s’avérer contraignants voire inadéquats pour certaines races, compte tenu de leurs caractéristiques phylogénétiques. Ainsi, comme l’a rappelé Jean-François Courreau (A 77), professeur d’éthologie à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne), la réactivité est parfois l’expression d’une inadaptation vis-à-vis du milieu imposé.
Accompagner les chiens réactifs et leurs propriétaires
La prise en charge des chiens réactifs repose sur deux piliers : la médication et la thérapie comportementale.
L’apport de la médicalisation
Élodie Roth-Contamin (A 92), vétérinaire comportementaliste, a précisé les apports de la médicalisation dans la gestion de ces chiens. Celle-ci a tout d’abord insisté sur l’importance d’exclure préalablement toute pathologie médicale : un bilan sanguin complet incluant un dosage de la T4-TSH (thyroxine-thyréostimuline) ainsi qu’une imagerie par résonance magnétique sont à envisager en cas de suspicion clinique. Plusieurs conditions à l’utilisation de psychotropes ont été spécifiées. Il s’agit des situations pour lesquelles le travail éducatif est impossible, le propriétaire est épuisé malgré son investissement, les capacités adaptatives de l’animal sont saturées, ou en cas d’abandon.
Un traitement doit alors être mis en place le plus précocement possible en vue de limiter sa durée à long terme (voir tableau). Toutefois, il faut être conscient que ces molécules n’empêchent pas l’occurrence de comportements problématiques, mais visent à retarder leur expression.
La thérapie comportementale
Si le chien produit des comportements innés, qui lui permettent de survivre dans un milieu donné, c’est toutefois grâce à l’apprentissage qu’il développe ses facultés adaptatives. Celui-ci peut se faire par voie « non associative » (habituation-sensibilisation) ou « associative » (conditionnement classique-conditionnement opérant). Ces notions constituent le socle des méthodologies en éducation canine. Un travail peut alors être commencé auprès d’un vétérinaire comportementaliste3 ou d’un éducateur canin spécialisé. Les intervenants de la journée LCMA ont insisté sur la nécessité de renforcer les échanges entre généralistes et comportementalistes afin d’optimiser la prise en charge de ces animaux. Différentes stratégies existent et sont à envisager au cas par cas en tenant compte des spécificités de chaque animal. Leur objectif consiste à faire acquérir ou à renforcer des comportements acceptables et à éteindre ceux indésirables. Maxime Lullier4, éducateur canin, accorde sa préférence à l’éducation par renforcement positif, plus à même de consolider le lien de confiance entre le propriétaire et son animal. La disponibilité émotionnelle des détenteurs et l’ampleur de leur investissement conditionnent nettement le succès du travail mis en œuvre. La patience est de mise dans le cadre de ces thérapies progressives. Le travail éducatif peut échouer. Si tel est le cas, le propriétaire doit alors être épaulé dans la gestion sécuritaire de son animal et dans la connaissance de ses limites.