Des projets en cours sur le bien-être des poissons d’élevage - La Semaine Vétérinaire n° 1969 du 09/12/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1969 du 09/12/2022

Pisciculture

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Enjeu d’avenir, le bien-être des animaux d’élevage s’étend aussi au secteur aquacole. Les questions de l’évaluation de la douleur et de l’enrichissement du milieu de vie font l’objet de recherches.

Comment améliorer le bien-être des poissons élevés en captivité ? Comme pour les autres secteurs de production animale, cette question est aussi au centre de la recherche. À l’Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole (Itavi), un projet de développement du tout premier outil d’évaluation du bien-être pour la pisciculture, B ABA, est en cours depuis 2021. « Cela fait longtemps que ce domaine de recherche nous intéresse, mais c’est seulement ces dernières années que les financements sont plus faciles à obtenir pour mener ces programmes », explique Mathilde Stomp, ingénieure de recherche et responsable de pôle bien-être animal à l’Itavi. Actuellement, sur le terrain, « la prise en compte du bien-être des poissons repose avant tout sur le savoir-faire des éleveurs, sans que les choses ne soient totalement formalisées. Il existe toutefois un guide de bonnes pratiques, élaboré par l’interprofession, indique-t-elle. En parallèle, on a gagné aussi en bien-être grâce à l’évolution du matériel d’élevage et de l’alimentation, à la meilleure gestion des maladies, à la protection contre les prédateurs et à la gestion de la qualité de l’eau ».

Les poissons perçoivent la douleur

Côté réglementation, il n’existe encore rien de spécifique aux poissons d’élevage. La filière aquacole ne doit théoriquement répondre qu’à une obligation générale, « garantir le bien-être et assurer que les animaux ne subissent aucune douleur, souffrance ou dommage inutile », tel qu’indiqué dans la directive du Conseil de l’Union européenne du 20 juillet 1998. Le règlement européen de 2005 sur le transport des animaux d’élevage n’inclut pas les poissons. Le règlement de 2009 sur la protection des animaux lors de la mise à mort non plus, car « de plus amples avis scientifiques sont nécessaires […] et une évaluation économique plus approfondie s’impose dans ce domaine ». Or, « le poisson n’a pas de néocortex comme les vertébrés, mais un télencéphale avec un système limbique, c’est-à-dire des structures cérébrales qui lui permettent de ressentir de la douleur et de percevoir des émotions positives et négatives », indique Mathilde Stomp. Si la réglementation européenne sur le bien-être est en cours de révision, « c’est une évolution des techniques d’abattage qui est pressentie ; l’Autorité européenne de sécurité des aliments va travailler sur cette question dans les années à venir, dont une possible obligation de mise à mort avec étourdissement au préalable. Mais l’interprofession prend les devants sur les futures réglementations ».

Les truites visées dans un premier temps

Avec le projet de recherche B ABA, l’idée est d’évaluer le bien-être en partant de l’animal, et non plus uniquement des pratiques d’élevage. Une trajectoire dictée par l’amélioration des connaissances, et sur laquelle les autres filières de production sont déjà en train de s’engager. Les truites sont les premiers poissons à être étudiés, sachant que la France est le deuxième producteur européen de truites (selon le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire). À terme, la méthode serait déployée à d’autres espèces d’eau douce, comme l’esturgeon, et à des poissons marins (bar, dorade). Un travail bibliographique et de terrain a permis de présélectionner un panel d’indicateurs comportementaux et physiques. Plusieurs ont été validés pour la truite : état des nageoires, perte des écailles, nécroses, état du nez et de la bouche pour les indicateurs physiques ; temps d’habituation à la présence de l’observateur, accélérations brusques, activité globale de nage, orientation de nage, utilisation de l’espace pour les indicateurs comportementaux. Reste à consolider les résultats, à analyser les liens entre indicateurs et pratiques pour identifier des profils d’élevage. Une fois ce travail accompli, l’objectif sera de développer l’outil à proprement parler, en s’appuyant sur le modèle d’Ebene, une application sur smartphone d’évaluation de bien-être animal, développée par l’Itavi, et déjà applicable en aviculture et en cuniculture. Les financements courent jusqu’en 2023, mais il est déjà prévu d’en solliciter des nouveaux pour la poursuite du projet.

Enrichir le milieu de vie

Ce projet est à mettre en parallèle avec d’autres recherches sur l’enrichissement du milieu de vie des truites d’élevage, qui ont fait l'objet de publications en 2022. La première étude1, menée par l’Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole (Itavi), en partenariat avec l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), s'intéresse à l'effet d'un enrichissement environnemental. En effet, comme l'indiquent les auteurs, étant donné que les poissons éprouvent de la douleur et des émotions, « il devient essentiel non seulement de prévenir les émotions négatives, mais aussi de donner aux individus captifs de plus grandes opportunités d’expérimenter des affects positifs ». Ainsi, il est montré que l’enrichissement du milieu de vie des truites avec des plantes, des galets, des abris est associé à moins d’agressivité des poissons, lesquels explorent plus leur environnement, et à moins de néophobie. Dans la deuxième étude (projet EnriFish2), menée par l'Inrae, l’idée est de stimuler les capacités cognitives des poissons (enrichissement cognitif ou occupationnel) en diffusant des « rideaux de bulles » avant la distribution du repas. Après conditionnement, les poissons sont capables d’associer repas et bulles, et la présence de ces dernières les rend plus calmes avant le repas, même s’il n’est pas distribué, avec moins de comportements agonistiques. Les bulles interviennent comme un facteur de prévisibilité positif pour les poissons, ce qui leur donne les moyens d’anticiper les choses et donc, in fine, de mieux contrôler leur environnement, apportant plus de bien-être. L’enrichissement cognitif pourrait être plus facilement mis en application : en effet, ajouter des objets peut être perçu comme une contrainte par les éleveurs, en raison du risque infectieux que cela représente (réservoir bactérien).

1. bit.ly/3VlCspS

2. bit.ly/3gOtBhs ; bit.ly/3Ul9JjH