En avant pour la fin du broyage des poussins mâles - La Semaine Vétérinaire n° 1969 du 09/12/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1969 du 09/12/2022

Filière poules pondeuses

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Tous les couvoirs se sont équipés de technologies d’ovosexage pour se préparer à l’obligation de fin du broyage qui s’appliquera à partir du 1er janvier 2023. Se pose déjà la question de l’amélioration des techniques pour une détection plus précoce du sexe des embryons.

L’interdiction du broyage des poussins mâles de la filière poules pondeuses entrera en vigueur le 1er janvier prochain (décret du 5 février 2022). Pour rappel, 50 millions de poussins mâles sont tués chaque année en France, puisqu’ils ne sont pas valorisables économiquement dans la filière ponte. Les professionnels sont-ils prêts ? Oui, selon les intervenants du webinaire « Alternatives à l’élimination des poussins mâles », organisé par l’Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole (Itavi) le mardi 22 novembre dernier. Les cinq couvoirs concernés1 se sont équipés d’une technologie de sexage permettant de sexer au plus tard le quinzième jour d’incubation, comme l’impose la réglementation. Le sexage in ovo évitera l’éclosion de mâles pour que naissent seulement des poussins femelles, c’est-à-dire les futures poules pondeuses. 

Trois méthodes de sexage2 seront utilisées, suivant les opérateurs. « Ces méthodes sont en cours de développement depuis quelques années, ce sont des prototypes qui sont en train d’être mis en place sur le terrain », souligne Maxime Quentin, directeur scientifique de l’Itavi. Côté coût, un accord interprofessionnel a été signé pour 2 ans afin de financer ces nouveaux processus : les distributeurs se sont engagés à reverser aux accouveurs une cotisation sur la vente des œufs de consommation pondus et vendus sur le territoire français. « Le coût global de l’arrêt de l’élimination des poussins mâles a été estimé à 45,3 millions d’euros, détaille Maxime Chaumet, secrétaire général du Comité national pour la promotion de l’œuf. Chaque accouveur recevra en fin de mois une compensation forfaitaire de 1,11 euro par poussin ovosexé. Tous les couvoirs recevront le même montant d’indemnisation. » Un tiers de confiance interviendra au moment de la transaction entre accouveurs et distributeurs. Cet accord a l’avantage de ne pas facturer un coût supplémentaire aux éleveurs, ce qui était une volonté politique. Toutefois, côté interprofession, on parle plutôt de désengagement de l’État, qui a imposé une mesure, sans aucune contrepartie financière. La cotisation ne permettra pas forcément de rembourser l’ensemble des surcoûts pour les accouveurs, puisque le calcul repose sur la méthode de sexage la moins chère. Une réévaluation des coûts réels est prévue en juillet 2023 et en janvier 2024, dans le cadre de la révision de cet accord.

Améliorer la performance des outils

Côté technique, les équipements sont opérationnels. Ils devraient gagner en efficacité au fil du temps, comme en a témoigné Pierre Lanckriet, commercial pour le couvoir Lanckriet, qui a choisi la technologie Orbem. Cette méthode d’ovosexage est non invasive : elle a recours à l’imagerie par résonance magnétique pour différencier les mâles des femelles (ainsi que les œufs clairs) en identifiant les organes reproducteurs des embryons. Comme pour toutes les autres technologies, ce processus est automatisé, avec des algorithmes qui deviendront de plus en plus performants en matière de prédiction. Il faudra d’abord passer par une phase de test, avec une vérification des performances de la machine, ce qui demandera du temps : « Nous devrons travailler sur une base horaire journalière de 16 à 20 heures, ce ne sont pas des rythmes habituels. Mais il n’y a pas d’autres solutions que de nourrir l’intelligence artificielle, et c’est la multiplication des cas qui rendra la machine plus précise. » D’ici à la fin de l’année 2023, Pierre Lanckriet estime pouvoir atteindre 97 % de précision, et 98 % courant 2024. De plus, il est nécessaire de trouver le bon compromis entre précision et cadence de sexage : une réduction de la cadence permet d’améliorer la précision, mais elle implique des adaptations dans la gestion horaire et, surtout, dans la logistique du circuit des œufs. À noter que le sexage in ovo modifie aussi les équipements des accouveurs, étant donné qu’ils devront gérer moins d’œufs après sexage et avant leur éclosion, ce qui nécessite de redimensionner les incubateurs (la sortie des œufs de l’incubateur se fait à 18 jours).

Détecter plus précocement

Avec la technologie Orbem, le sexage peut être effectué à 12 ou 13 jours, mais « nous pourrons le faire à 11 jours, et nous devrions être capables de descendre à 10 jours ». Ce questionnement sur la période de détection est central pour les accouveurs. En effet, après 6 jours d’incubation, il y a un doute sur une possible apparition de la douleur chez l’embryon : tout l’enjeu serait donc de pouvoir sexer le plus précocement possible. Non sans défis, a expliqué Sophie Rehault-Godbert, chercheuse à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), puisque les différences entre sexes apparaissent à des stades de développement spécifiques, et toutes les approches ne pourront pas être compatibles avec un usage à 6 jours ou avant. Pour Oberm, par exemple, la différenciation des gonades commence à partir de 6 jours, et elles ne sont bien visibles qu’après 9 jours d’incubation.

Et ce n’est pas le seul enjeu. L’idéal serait de disposer d’une technique non invasive pour limiter le risque de répercussion sur le développement de l’embryon, une méthode rapide, précise et efficace, applicable pour toutes les souches et, enfin, de coût acceptable pour les filières. Ces conditions ne sont pas forcément toutes réunies pour chaque technologie de sexage. L’Inrae participe au programme de recherche européen Poultry and Pig Low-input and Organic production systems’ Welfare, qui vise à identifier des moyens de détection très précoce. La technique ambitionnée reposerait sur l’utilisation des ondes radiofréquences, qui ont l’avantage d’être non invasives et dont le coût est limité.

Autres solutions à considérer

Outre les technologies de sexage in ovo, d’autres approches pourraient être envisagées : l’orientation du sex-ratio, l’édition génomique et le développement d'une filière pour poussins mâles. Pour la première, il s’agit de modifier des paramètres d’ambiance lors de l’incubation (température, humidité et surtout vibration sonore), ce qui induit l’expression d’un gène responsable du développement des gonades femelles. On se retrouve alors avec des femelles ZZ3. Invitée au webinaire, une société israélienne mise sur cette technique. Elle a déjà lancé des premières expérimentations dans des fermes pilotes, et d’autres suivront. À ce stade de recherche et développement, aucun changement de productivité des poules pondeuses nées de cette technique (courbe de ponte similaire) n’a été observé, ni aucune modification dans la composition des œufs. Un programme de recherche sera engagé dans une université américaine pour mieux comprendre le mode d’action. L’édition génomique, quant à elle, permet de sexer avant incubation mais elle est fondée sur des manipulations génétiques.

La troisième approche serait de créer une filière d'élevage pour les poussins mâles : des « frères des poules » sont évoqués. Il serait également question d’élaborer une nouvelle génétique, avec des souches compatibles à la fois avec la ponte pour les femelles, et avec la production de viande pour les mâles (souches à double fin dites dual). Dans le premier cas, il faudrait développer un nouveau marché pour ces coquelets ; dans le deuxième, cela implique de trouver le bon compromis entre coût et productivité. Des travaux de recherche sont en cours (projet Yoong) pour évaluer l’impact économique de ces deux voies, par rapport à ce qui se fait actuellement, ainsi que l’impact environnemental induit par ces nouveaux marchés de production alimentaire.

Des exceptions pour la filière palmipèdes

Le décret du 5 février 2022 ne s’applique pas pour les poussins utilisés à des fins scientifiques, ou pour ceux destinés à l’alimentation animale. Par ailleurs, seule la filière poules pondeuses est concernée, sachant que celle des palmipèdes gras fait usage d’une mise à mort des canetons femelles après éclosion. En effet, seuls les mâles servent à la production de foie gras et de magret. Toutefois, les entreprises du secteur ont pris les devants pour anticiper une éventuelle évolution réglementaire. 

  • 1. Lohmann France, Hy-Line, Isa, Lanckriet et Novoponte.
  • 2. Méthode AAT (analyse spectrale sur la couleur des plumes des poules de souches brunes), Orbem ou Nectra.
  • 3. Chez les oiseaux, les mâles sont homogamétiques (ZZ) et les femelles hétérogamétiques (WZ).