Douleur
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Par Lorenza Richard
Le Centre de recherche et de formation en algologie comparée de VetAgro Sup a pour vocation de rapprocher les vétérinaires des médecins et des scientifiques, l’objectif étant de pouvoir pratiquer des médecines comparées.
« L’objectif du Centre de recherche et de formation en algologie comparée (Crefac) est de faire de la médecine comparée chez l’humain et l’animal en ce qui concerne le diagnostic, l’évaluation de l’intensité de la douleur et de son traitement, et de diffuser l’information grâce à ses deux composantes : la recherche et la formation », explique Karine Portier (A 96), professeure d’anesthésie et d’algologie à VetAgro Sup.
Créé en 2020, le Crefac est un pôle d’expertise consacré à la recherche et à la formation en algologie. Son activité de recherche est menée au sein du Centre d’investigation clinique vétérinaire (CICV) de VetAgro Sup, dont il représente l’une des thématiques principales. Le CICV est le premier centre public de ce type en France dans lequel peuvent être conduites des études cliniques vétérinaires selon les normes internationales de bonnes pratiques cliniques.
Modèles animaux pour une recherche transversale
La vocation du CICV est de permettre aux chercheurs de développer des connaissances biologiques ou médicales à partir de modèles animaux cliniques. Sur la thématique de la douleur, le Crefac accompagne, notamment, des chercheurs qui ont développé une molécule ou une technique antalgique sur un modèle animal expérimental de laboratoire et qui souhaitent poursuivre leur recherche par une étude clinique vétérinaire sur un patient animal douloureux. L’espèce est choisie par rapport à la question posée. Par exemple, le chien arthrosique est un modèle validé pour étudier la maladie et la douleur qu’elle induit chez l’humain. S’ils sont prometteurs, les résultats peuvent être exploités afin de tester cette molécule en phase clinique chez l’humain. Ces recherches, qui respectent les règles d’éthique quant à l’utilisation des échantillons, sont indispensables pour mieux comprendre et mieux traiter la douleur animale, mais aussi humaine. En effet, « la probabilité d’approuver un médicament contre la douleur qui entre en phase I serait de 10 à 15 % en raison des incertitudes translationnelles, avance Karine Portier. L’idée est de développer une médecine comparée pour rapprocher les médecines humaine et vétérinaire sur le thème de la douleur ».
Ainsi, l’activité de recherche du Crefac est essentiellement menée au sein du centre hospitalier universitaire vétérinaire de VetAgro Sup, avec ses équipements et sur sa patientèle. « Les études sont soumises à la validation d’un comité d’éthique, et l’inclusion des cas dépend du consentement éclairé du propriétaire de l’animal, précise-t-elle. De plus, elles sont également utiles pour les vétérinaires car, s’il s’agit d’une phase préclinique pour la recherche thérapeutique chez l’humain, elle devient une phase clinique chez les animaux. En effet, si le médicament antalgique étudié est efficace chez le chien, par exemple, nous pouvons considérer que c’est une étude pivot et que ce médicament pourrait éventuellement être commercialisé pour cette espèce. »
Pôle de compétences collaboratif et international
Par ailleurs, le Crefac favorise et valorise les collaborations entre vétérinaires, médecins, kinésithérapeutes et scientifiques, qu’ils soient étudiants ou encadrants. Ces coopérations débouchent sur des masters et des doctorats, et sont sources d’échanges scientifiques internationaux. Dans ce cadre, plusieurs projets ont été menés à bien. « Nous avons d’une part travaillé avec une étudiante en première année de master et une résidente du European College of Veterinary Anaesthesia and Analgesia sur la grille d’évaluation de la douleur à partir des expressions faciales chez le cheval. Pour cela, nous avons fait évaluer, par deux groupes d’observateurs, à l’aide de la grille préalablement traduite en français, des photos de têtes de chevaux dont l’état de douleur leur était inconnu. Nous avons mis en évidence que les vétérinaires et les cavaliers étaient capables de reconnaître de façon fiable les chevaux douloureux grâce à leurs expressions faciales, détaille Karine Portier. D’autre part, nous avons reçu le prix Douleur et santé animale1 pour notre étude sur la localisation des trigger points chez le chien arthrosique afin de la comparer à la cartographie établie chez l’humain. Nous avons pu montrer aux propriétaires comment leur chien réagit quand on touche un trigger point, et nous leur avons appris à les masser pour les soulager. »
Pôle d’expertise en recherche et développement
Plusieurs autres projets de recherche confidentiels sont en cours sur le traitement de la douleur (efficacité de nouvelles molécules), comme sur son diagnostic de la douleur (notamment chez les patients anesthésiés ou non communicants), sur sa localisation (comparaison des emplacements des trigger points chez les sportifs humains ou équins en fonction de leur activité sportive), etc. Le Crefac supporte également une activité de développement d’outils consacrés au diagnostic de la douleur, par exemple un pupillomètre chez le cheval. « L’activité de recherche du Crefac est notamment associée au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (Rhône), mon unité de recherche, indique-t-elle. Un des traits d’union avec l’anesthésie-réanimation humaine est l’étude de la douleur chez les patients comateux, qui ont comme point commun avec les animaux de ne pas s’exprimer, ou de le faire différemment. Cela s’applique également en pédiatrie. »
Formation en algologie
Le second volet du Crefac est la formation avec, entre autres, la réalisation d’anesthésies locorégionales pour les juniors de l’Association vétérinaire équine française et des groupements techniques vétérinaires. Parmi les enseignements personnalisés (EP), les étudiants de VetAgro Sup peuvent choisir « zoobiquité en algologie ». « Ce terme, inventé par Barbara Natterson-Horowitz, une cardiologue américaine, et par Kathryn Bowers2, une journaliste, recouvre toutes les maladies qui rapprochent l’humain de l’animal et débouche sur la possibilité de médecines comparées. Cet enseignement fait intervenir des spécialistes en algologie, médecins, vétérinaires et scientifiques sur les thèmes du traitement clinique de la douleur aiguë, de la douleur chronique et de la recherche fondamentale en algologie. Les étudiants vont également visiter les services d’anesthésie des hôpitaux lyonnais pour observer la prise en charge de la douleur dans des structures spécialisées », ajoute Karine Portier.
Au niveau de la formation continue, « la Société française d’anesthésie et de réanimation (pour l’humain, nous consacre une session lors de ses congrès annuels à Paris, où sont abordés différents sujets sur la thématique des regards croisés entre anesthésies vétérinaires et humaines ». Enfin, en plus des publications du Crefac, « nous allons mettre en place des formations pour les vétérinaires praticiens », annonce-t-elle. Des projets à suivre, donc.