Exercice rural
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Tanit Halfon
La dernière journée nationale vétérinaire a été l’occasion pour toutes les parties prenantes de montrer leur implication dans la lutte contre les déserts vétérinaires en zone rurale. Si l’échelon local s’est mobilisé pour établir des diagnostics territoriaux et des plans d’action adaptés, d’autres chantiers sont à poursuivre au niveau national.
L’enjeu de la désertification vétérinaire en milieu rural est à l’agenda politique depuis plusieurs années. Avec un premier point d’orgue en 2016, sous la forme d’une feuille de route « Réseau de vétérinaires dans les territoires ruraux et en productions animales » qui avait listé les défis à relever pour y remédier. En 2022, où en est-on ? Si la situation est toujours critique, « je dois reconnaître que nous avons été entendus », a convenu Laurent Perrin (L 84), président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, en ouverture de la journée nationale vétérinaire, qui s’est tenue le 29 novembre dernier à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne). Cette troisième édition avait pour thème le maillage vétérinaire et visait à faire un point d’étape sur cet enjeu, notamment sur les appels à manifestation d’intérêt1 (AMI) lancés en janvier 2022 sous l’impulsion des instances professionnelles vétérinaires et agricoles, avec le soutien du ministère de tutelle. Le principe de ces AMI1 était d’accompagner, d’un point de vue méthodologique et pécuniaire, la réalisation de diagnostics territoriaux vis-à-vis du maillage vétérinaire et l’élaboration de plans d’action adaptés au contexte local (voir encadré). Sur 24 dossiers reçus, 11 ont été sélectionnés et ont été appuyés par le cabinet de conseil Phylum.
Un travail collectif et local
De l’avis de tous les participants, ces AMI ont motivé les territoires à se saisir de la question de la désertification vétérinaire et mis autour de la table l’ensemble des parties prenantes. Signe de cet engagement collectif, la journée a rassemblé tous les acteurs concernés. Pour les trois tables rondes organisées ont répondu à l’appel des représentants des conseils départementaux (Yonne, Creuse2, Isère) et de la région (Nouvelle-Aquitaine), un président du groupement de défense sanitaire du Loire-et-Cher, l'adjointe au directeur de l'Ecole de Toulouse en charge des stages tutorés, des membres de l’administration territoriale (service régional de l’alimentation d’Île-de-France [SRAL]) et centrale (Direction générale de l’alimentation), mais aussi du milieu politique, avec la sénatrice des Yvelines Sophie Primas. Sébastien Windsor était également invité, une première pour un président des chambres d’agriculture de France, a-t-il remarqué : « Cela me semble normal car nos métiers, nos enjeux, notre avenir intimement liés. Nous devons faire évoluer nos modèles économiques ensemble, avec une progression du revenu des éleveurs comme des vétérinaires. Tout cela nécessitera de faire évoluer nos relations […], vous pouvez compter sur nous, et cet appel ouvre la voie à un changement majeur de nos relations. »
Au-delà du constat de cette mobilisation collective, les discussions ont mis en lumière la pertinence d’adopter une approche locale, grâce aux AMI. En effet, chaque territoire a des spécificités parfois totalement exclusives, comme en Île-de-France. Ce territoire inclut à la fois éleveurs professionnels et petits détenteurs, dont le nombre a explosé en 10 ans. En parallèle, il y a 12 millions de personnes qui cherchent à consommer local, avec des produits issus d'élevages plus durables. Mais le nombre de vétérinaires ruraux est infime par rapport aux praticiens canins. Les AMI ont permis de lever des points de blocage dans la méthodologie de travail, sachant que la réflexion sur le maillage vétérinaire rural avait commencé il y a au moins une décennie.
Un soutien politique
En dehors des tables rondes, plusieurs personnalités ont pris la parole pour afficher leur soutien au maillage vétérinaire rural : des membres des instances représentatives et techniques vétérinaires, bien entendu ; mais aussi Christiane Lambert, présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, qui a affirmé que la contractualisation était un outil pertinent pour l’installation et le maintien de jeunes vétérinaires et d’éleveurs dans un territoire, ainsi que des politiques haut placés : Gérard Larcher (L 73), vétérinaire de formation et président du Sénat, et Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Le Sénat est mobilisé sur le sujet depuis longtemps, a indiqué son président : « Nous pensons que la désertification vétérinaire est le dernier signe avant la désertification agricole. L’activité agricole est une composante de la dynamique économique de nos territoires ruraux, de leur vitalité, de la beauté de nos paysages, de la biodiversité […]. Le Sénat a apporté sa pierre à l’édifice, en adoptant un amendement pour acter le dispositif de lutte contre la désertification vétérinaire3, qui a permis aux collectivités territoriales d’octroyer des aides pour l’installation et le maintien de vétérinaires […]. Nous sommes attentifs au soutien budgétaire du dispositif des stages tutorés. Le Sénat s’est également mobilisé pour augmenter le nombre de vétérinaires formés en France grâce à un amendement visant à ouvrir cet enseignement aux établissements d’enseignement supérieurs privés non lucratifs agréés. »
Le ministre s’engage sur le modèle économique
Dernière intervention de la journée, celle de Marc Fesneau, qui a rappelé les autres et récentes avancées du maillage. « En 2022, nous avons travaillé sur une évolution du dispositif du suivi sanitaire permanent. Désormais, celui-ci sera encadré par un contrat de soins signé entre un seul vétérinaire traitant et un éleveur, pour un atelier de production donné, avec des exceptions pour les filières porcine et avicole en particulier. Cette réforme amène un cadre suffisamment protecteur pour éviter les dérives affairistes de la téléconsultation ; les actes réglementaires portant autorisation de la télémédecine sont ainsi en cours d’élaboration. Un guide d’information pour les collectivités locales a été édité pour faciliter la prise en main du dispositif de la loi Ddadue3, et une réunion sera organisée début 2023 avec les représentants des collectivités territoriales. » D’autres chantiers sont en cours : le système d'information vétérinaire Calypso et la délégation d’actes, qui devrait être prévue pour 2023 dans le cadre de la loi d’orientation agricole. Et, surtout, le ministre a acté sa volonté de réfléchir à l’évolution du modèle économique vétérinaire pour la partie sanitaire, dont « les missions relèvent de l’intérêt général ». Une enquête va être lancée pour établir une revue des missions de service public, « afin de repenser le mode général d’organisation et de rémunération de celles-ci », a annoncé Marc Fesneau.
Toutes ces avancées et engagements suffiront-ils ? Ce qui est certain, et tous les intervenants l’ont bien souligné, est qu’il faudra suivre sur la durée chaque territoire dans sa mise en œuvre des solutions locales, afin de consolider la dynamique. Pour Jacques Guérin (N 88), président de l’Ordre, « l’action de l’AMI est un acte fondateur de la relation entre vétérinaire et éleveur pour les dix à vingt ans à venir, comme l’a été, en 2011, la définition de l’acte vétérinaire ».
Travailler son attractivité
Les 11 dossiers des appels à manifestation d’intérêt feront l’objet d’une synthèse prochaine début 2023, qui sera établie par le cabinet de conseil Phylum, dans l’objectif de pouvoir fournir aux collectivités intéressées un guide méthodologique pour travailler sur l’enjeu du maillage et, surtout, une boîte à outils dans laquelle piocher des solutions. Des premiers éléments ont toutefois été présentés lors de la dernière journée nationale vétérinaire, qui a eu lieu le 29 novembre dernier à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne). Parmi les points à retenir, l’attractivité des entreprises vétérinaires est apparue comme un enjeu central, tout autant que l’attractivité territoriale : y contribue notamment le volume de l’activité rurale – et sa technicité –, qui doit être suffisant pour attirer une nouvelle recrue.
Si plusieurs pistes d'évolution sont proposées par les collectivités, la contractualisation, fortement défendue depuis longtemps par le SNVEL, pâtit encore d’une forte résistance vétérinaire et d’une faible appétence des éleveurs. Une double appréhension ressort : côté éleveurs, la crainte de payer pour des servives absents ou inutiles ; côté vétérinaires, celle de perdre en chiffre d’affaires. Quelles que soient les solutions, il apparaît primordial d’anticiper les situations de crise.
Plus d’informations dans un prochain article.