Infectiologie
FORMATION MIXTE
Auteur(s) : Anne Couroucé Article rédigé d’après une conférence de Debra Archer, cheffe du service de chirurgie équine à l’Université de Liverpool (Royaume-Uni), présentée au congrès de l’European College of Equine Internal Medicine les 28 et 29 octobre 2022 à Rome (Italie).
Le changement climatique englobe non seulement le réchauffement de la planète, mais aussi les modifications des régimes de précipitations et l’élévation du niveau de la mer. En plus des implications évidentes et directes sur les populations humaines, le changement climatique a une série d’impacts sur les maladies infectieuses. Cela comprend des effets sur l’émergence, l’évolution, la dynamique et la propagation mondiale des agents pathogènes dans les populations humaines et animales. À la suite de la pandémie de Covid-19, l’accent a été mis sur le risque d’épidémies de maladies infectieuses humaines, mais les conséquences du changement climatique sur les agents pathogènes et sur les insectes vecteurs sont également majeures pour la santé et le bien-être des animaux.
Parallèlement au changement climatique, les maladies infectieuses sont affectées par les changements technologiques, notamment les transports (surveillance mondiale accrue, augmentation du rythme et de la portée de la propagation par le transport aérien et le train à grande vitesse), les soins de santé (nouvelle dynamique associée aux vaccins, amélioration des soins et réduction des maladies). Interviennent également les changements démographiques, y compris la croissance démographique et la transformation de l’utilisation des terres (contact plus étroit avec les espèces réservoirs, déplacements de populations plus importants, modification de l’évolution et de la dynamique des maladies avec l’évolution des effectifs des équidés et des taux de natalité et le vieillissement des équidés (risque, transmission et charges de morbidité modifiés).
Quels risques à l’avenir ?
L’un des plus grands risques à venir de maladie infectieuse équine associé au changement climatique sont les virus transmis par les arthropodes équins (arbovirus). Les arthropodes vecteurs comprennent les moustiques, les moucherons piqueurs (Culicoides), les phlébotomes et les tiques. Les principaux arbovirus équins sont les alphavirus (virus de l’encéphalite orientale, occidentale et vénézuélienne, virus de Ross River), les flavivirus (virus du Nil occidental, de l’encéphalite japonaise et de l’encéphalite de Murray valley) et les orbivirus (virus de la peste équine et de l’encéphalose équine). Ces virus ont des vecteurs arthropodes différents et provoquent des signes cliniques qui peuvent être assimilés avec d’autres maladies infectieuses ou non. Cela peut rendre difficile le diagnostic d’une maladie arbovirale connue dans de nouvelles populations ou lors de l’émergence d’un nouvel agent pathogène. Cela démontre également l’importance de la surveillance et de la notification des maladies, ainsi que du suivi des populations de vecteurs et des espèces réservoirs pour détecter les agents pathogènes, y compris les arbovirus.
Contrairement aux virus qui ont un mode de transmission mécanique sur ou dans les pièces buccales de l’insecte sans réplication (par exemple le virus de l’anémie infectieuse équine), les arbovirus se répliquent dans le corps de l’insecte. Par conséquent, le climat (température) et d’autres paramètres environnementaux (comme les habitats de reproduction) affecteront la survie, la distribution, le comportement et la capacité du virus à se répliquer dans l’intestin. Le taux de piqûres, de mortalité et la période d’incubation extrinsèque sont directement liés à la température ambiante et se combinent pour donner une « capacité vectorielle » avec des températures spécifiques qui offrent des conditions optimales pour la transmission du virus. Le risque de maladie doit tenir compte du climat local, des vecteurs indigènes (natifs), des vecteurs invasifs et de leur capacité à se propager, à survivre et à se répliquer. Plusieurs études ont prouvé que l’augmentation continue des températures dans diverses régions, y compris en Europe, entraîne une modification de la répartition des vecteurs et un risque accru d’épidémies d’arboviroses dans des zones auparavant indemnes. En raison de la complexité des cycles de transmission, du cycle de vie des vecteurs et des effets du changement climatique sur la dynamique des vecteurs et des infections vectorielles, prédire si et quand une maladie à transmission vectorielle pourrait s’établir est difficile. La modélisation informatique a démontré le potentiel d’implantation d’arbovirus, tels que la peste équine, dans de nouvelles régions, notamment l’Inde, l’Australie, le Brésil, le Paraguay et la Bolivie, ce qui aurait des conséquences potentiellement catastrophiques pour le bien-être des chevaux et l’industrie équine dans les pays touchés. Bien qu’il existe des vaccins équins efficaces, sûrs et sous licence commerciale contre les arbovirus, d’autres, comme les vaccins vivants atténués contre la peste équine, sont sous-optimaux et font actuellement l’objet de recherches. Cependant, même si des vaccins sûrs et efficaces sont disponibles, la réticence à la vaccination peut empêcher les propriétaires de chevaux de faire les faire vacciner, tel que démontré en Australie dans la prévention de l’infection par le virus Hendra. D’autres considérations incluent l’importance d’empêcher le développement des vecteurs avec des méthodes plus pratiques et efficientes de contrôle de ceux-ci, par exemple éliminer les sources d’eau stagnante qui sont des emplacements idéaux pour la reproduction des vecteurs, utiliser de meilleurs insectifuges, sans danger pour l’environnement.
Résistance aux anthelminthiques
En plus des préoccupations existantes concernant la résistance aux anthelminthiques qui se développe chez les nématodes gastro-intestinaux et potentiellement chez les cestodes, des simulations informatiques ont révélé que le changement climatique accélérera la résistance aux parasites en fonction de l’emplacement géographique. Les modifications des conditions climatiques auront des effets différents selon le parasite – certains montreront des pressions d’infection accrues alors qu’elles diminueront pour d’autres. À long terme, il est probable que nous serons moins susceptibles de contrôler les parasites chez les chevaux et chez d’autres espèces de bétail en employant des anthelminthiques seuls, et l’accent devra être mis sur d’autres stratégies pour contrôler durablement les parasites.
Rôle de la profession vétérinaire
La communauté internationale des acteurs équins doit être consciente du risque croissant d’émergence d’une variété de maladies infectieuses affectant les chevaux liées au changement climatique, en particulier celles à arbovirus. La hausse des températures mondiales aura diverses répercussions sur les populations locales de vecteurs, sur les hôtes de la maladie et sur les cycles de transmission, en plus de l’augmentation de la résistance des parasites gastro-intestinaux aux anthelminthiques. Cela s’ajoute aux menaces de maladies existantes dues à la mondialisation, par exemple en raison des voyages internationaux, du transport illégal d’animaux et du manque de systèmes normalisés dans de nombreux pays pour enregistrer les mouvements légaux d’équidés.
Les vétérinaires doivent jouer un rôle essentiel, y compris dans l’éducation des propriétaires de chevaux et dans la prise en compte de leurs motivations et des difficultés qu’ils rencontrent pour s’engager dans le contrôle des maladies infectieuses équines. La surveillance des maladies et la notification en temps réel seront de plus en plus importantes, avec le suivi entomologique des populations locales de vecteurs. Les vétérinaires doivent être conscients des menaces de maladies locales, des signes cliniques de celles-ci, des stratégies de prévention, et être attentifs à la possibilité que des maladies connues ou nouvelles se développent de manière inattendue dans des zones géographiques jusque-là indemnes. Les avancées technologiques en matière de collecte de données et de surveillance sont indispensables pour faciliter l’identification précoce du risque et de l’occurrence de la maladie et pour le minimiser ou pour contrôler une épidémie. Le développement de vaccins restera primordial afin de prévenir plus efficacement les maladies existantes, telles que la peste équine, et de maîtriser les pathogènes émergents et cliniquement importants à l’avenir. Le concept Une seule santé jouera également un rôle de plus en plus central. La profession vétérinaire doit prendre la mesure du risque zoonotique, pour elle-même et pour les propriétaires d’animaux, et travailler aux côtés des entomologistes et des professionnels de la santé alors que le schéma futur des maladies infectieuses chez les chevaux et chez d’autres espèces continue d’évoluer et que de nouvelles apparaissent.
Exemples de l’impact climatique sur les maladies infectieuses
Le changement climatique a déjà eu un impact sur le risque de maladies chez les chevaux et chez d’autres animaux dans différentes régions, comme illustré par les virus Hendra et Schmallenberg. En Australie, des populations de chauves-souris, réservoir du virus Hendra, se sont déplacées de 100 km vers le sud, ce qui a entraîné une propagation du virus aux chevaux présents dans ces endroits, provoquant infections et décès chez les humains et les chevaux. Le virus de Schmallenberg est responsable d’une maladie affectant les ruminants, qui s’est développée de manière inattendue et s’est disséminée rapidement en Europe continentale en 2011. Sa propagation par les moucherons (Culicoides), y compris dans des zones considérées à l’origine comme à risque réduit, comme le Royaume-Uni, a démontré comment les évolutions des populations de vecteurs en raison du changement climatique dans différentes régions géographiques peuvent modifier le taux et le schéma de propagation attendus des maladies infectieuses à transmission vectorielle.