Comment donner envie de venir et de rester ? - La Semaine Vétérinaire n° 1970 du 16/12/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1970 du 16/12/2022

Management

ENTREPRISE

Auteur(s) : François Pouzaud

Tension générale de recrutement, nouvelles aspirations professionnelles générées par la crise du Covid-19 qui rendent la fidélisation encore plus difficile, génération Z qui réclame d’autres implications managériales… les problèmes sont nombreux pour les structures vétérinaires, mais ils ne sont pas isolés. D’autres secteurs y sont également confrontés. Quelles solutions y ont-ils apportées ?

Dans le cadre d’un séminaire interne mi-novembre à Paris, IVC Evidensia a organisé une table ronde inspirante consacrée au recrutement et à la rétention des collaborateurs. L’objectif était d’identifier ce qui se fait dans d’autres secteurs, selon des logiques susceptibles d’être dupliquées dans les cliniques vétérinaires. À la tribune, quatre pointures, expertes en management, ont permis aux vétérinaires présents de prendre de la hauteur et un peu de recul par rapport aux difficultés qu’ils rencontrent sur ce plan dans leur entreprise.

Les médecins, des vétérinaires comme les autres

Pour détendre l’atmosphère sur ce sujet crucial, le premier intervenant, Gaetan Casanova, médecin et titulaire d’un master en droit de la santé, président de l’InterSyndicale nationale des internes, a montré que le secteur de la médecine vétérinaire n’était pas plus mal loti que celui de la médecine humaine en ce qui concerne le personnel en souffrance. « Il y a un suicide de médecin tous les 18 jours ». Au-delà de ce chiffre, il a interpellé l’auditoire sur les similarités et les gémellités entre ces deux professions qui s’inscrivent dans le même paradigme et rencontrent des problèmes communs. « Elles ont besoin de s’ouvrir aux autres ». En travaillant sur ce point il sera possible de déléguer les responsabilités et de mieux répartir les compétences (par exemple, déléguer aux infirmiers en pratique avancée pour les médecins, aux auxiliaires spécialisés vétérinaires pour les vétérinaires), de manière à mettre en place un meilleur management, interdépendant, de l’organisation. « Il est important de se mettre autour d’une table pour que chacun donne le meilleur de lui-même », explique-t-il, ajoutant que « la responsabilité d’être avec les autres ne se délègue pas. »

Comme le métier change, le manager a également la responsabilité d’accompagner le changement et de la formation pour combler les décalages avec la réalité. La prise en main de nouvelles responsabilités au sein de la clinique vient en contrepartie d’actions de formation continue. Par ailleurs, « l’intensification du travail, responsable d’épuisement et de burn out, doit puiser ses solutions dans l’innovation numérique, l’automatisation doit prendre en charge les tâches rébarbatives sans valeur ajoutée », conseille Gaetan Casanova.

Travailler son leadership

Ancien directeur des ressources humaines monde d’EY, un cabinet d’audit financier et de conseil de 200 000 employés, Pierre Hurstel, auteur de L’entreprise réparatrice ou le nouvel épanouissement, président de TBS Education et conseiller de dirigeants, a expliqué que le leadership – à ne pas confondre avec le charisme – dans une équipe n’est pas inné et qu’il ne vient pas non plus avec l’âge ni l’expérience. Il s’apprend et se travaille. « Dans une entreprise, ce n’est pas parce que vous avez été choisi  pour diriger une équipe que vous savez faire ».

Le leadership est décrit scientifiquement. En pratique, « c’est ce qui permet au chef d’entreprise de mettre en place la sécurité psychologique pour éviter l’incompétence acquise, conceptualisée par Martin Seligman, professeur de psychologie expérimentale, et de stimuler le poste de travail et l’être humain qui l’occupe », définit Pierre Hurstel. L’incompétence acquise est un sentiment d’impuissance permanente et générale provoqué par le fait d’être plongé, de façon durable ou répétée, dans un état psychologique dans lequel le sujet fait l’expérience de son absence de maîtrise sur les événements survenant dans son environnement, ce qui tend à lui faire adopter une attitude résignée ou passive.

Attention portée à chacun et ambiance familiale

Commander ou manager à bord d’un bâtiment de la Marine, est-ce du pareil au même ? Comme l’a montré Éric Malbrunot, amiral, ancien commandant du porte-avions Charles de Gaulle, aujourd’hui chargé de la préparation de l’avenir à l’État-Major de la Marine, les deux s’appliquent dans un cadre purement militaire, mais les techniques empruntées au management sont primordiales. Ces deux notions sont complémentaires dans la mesure où elles donnent aux rapports humains une place essentielle. Le militaire a joué avantageusement sur les deux registres. Quoi qu’il en soit, il s’agit de relations humaines (le manager dirige) et de transcendance (le manager gère une entité complexe et s’efforce de donner du sens à l’action de son équipe, ainsi qu’à toutes les strates du système). Dans sa présentation, Éric Malbrunot a insisté sur des aspects managériaux essentiels pour transcender les énergies de travail placées sous sa direction, en assurer la cohésion et la pérennité : l’attention portée aux autres, l’ambiance familiale qui crée les conditions de confiance pour que le personnel à bord puisse parler au commandant, donner du sens au travail de chacun, expliquer ce qui est fait, traquer les signes faibles et percevoir ce qui ne va pas lors des réunions du comité de pilotage, laisser une autonomie à chacun et responsabiliser les individus jusqu’au plus bas niveau… « Chaque personne apporte une brique qui participe à la performance globale ; la brique n’a pas de taille et chacune compte dans le système », a-t-il conclu.

De l’importance de la culture d’entreprise

L’esprit de famille est un thème repris par Cécile Chapron, ex-leader en ressources humaines région pour Leroy Merlin, car c’est à la fois une composante fondatrice de la culture d’entreprise et un facteur d’épanouissement des salariés. « La culture d’entreprise est un apprentissage permanent, elle renforce la cohésion de l’équipe et l’esprit d’appartenance », explique-t-elle.

Conditions de travail, valeurs, ambiance, perspectives d’évolution, mode de management, qualité de vie, sécurité psychologique… la richesse de la culture d’entreprise, c’est ce qui fait la différence entre deux postes. « Tous les dix ans, l’ensemble des collaborateurs de Leroy Merlin sont rassemblés pour participer à la vision de l’entreprise et écrire la stratégie de demain, dont chacun se sent propriétaire », narre-t-elle. Une forte implication conduit à s’interroger en profondeur sur l’organisation de l’entreprise, sur ses objectifs, sur ses méthodes de management, en échange d’une plus grande productivité et d’une meilleure qualité de vie pour toute l’équipe.

Pour renforcer cette culture d’entreprise, le manager doit faire un réel effort de communication et de transparence. Le partage d’information favorise celui des connaissances et les interactions entre tous. Il renforce le sentiment d’être pris en considération et d’être important dans la structure. L’avantage est double : non seulement le collaborateur apporte une valeur ajoutée certaine à l’entreprise, mais il développe aussi son employabilité et ses possibilités d’évolution grâce aux formations qu’il suit.

« Dans une période où il y a un grand désamour pour le monde de l’entreprise, le plus important, c’est la reconnaissance du travail accompli par le salarié, c’est d’être capable de dire les choses quand elles sont bien faites et d’arrêter de se focaliser sur les axes d’amélioration lors des entretiens annuels d’évaluation », appuie-t-elle.

In fine, réussir un recrutement et fidéliser, c’est un tout. Il faut prendre de la hauteur et se questionner en amont sur tous les points importants, rémunération comprise : conditions de travail, autonomie du collaborateur, ambiance dans l’équipe et confiance dans l’entreprise, capacité à entendre les choses qui ne vont pas, management participatif et, surtout, formation continue, laquelle ouvre de réelles perspectives d’évolution professionnelle.