Pharmacovigilance
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Michaella Igoho-Moradel
Une étude rétrospective démontre que les effets indésirables liés à l’utilisation de médicaments vétérinaires à base d’anticorps monoclonaux commercialisés en France correspondent aux données mentionnées dans les RCP et, pour le lokivetmab, dans la littérature. En revanche, les informations concernant le bedinvetmab et le frunévetmab restent limitées.
Les médicaments vétérinaires contenant des anticorps monoclonaux sont relativement récents sur le marché vétérinaire, avec seulement quelques années de recul sur leur utilisation à grande échelle. Le dernier congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), organisé du 1er au 3 décembre 2022 à Marseille (Bouches-du-Rhône), a été l’occasion pour l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) de présenter les résultats de son étude rétrospective sur les effets indésirables déclarés en France au 30 juin 2022 liés à l’utilisation des médicaments vétérinaires Cytopoint (lokivetmab, anticorps caninisé anti-IL31), Librela (bedinvetmab, anticorps canin anti-NGF) et Solensia (frunévetmab, anticorps félin anti-NGF). À noter que, sur la période référence, le lokivetmab était disponible depuis plus de 5 ans, tandis que le bedinvetmab et le frunévetmab l’étaient depuis moins de 2 ans. Cette synthèse, présentée par Corinne Piquemal, experte en pharmacovigilance à l’ANMV, n’a retenu que les cas dont le lien de causalité entre l’administration du médicament et l’effet indésirable n’a pas été exclu lors de l’évaluation. Le manque d’efficacité n’a pas été pris en compte dans cette analyse.
Des symptômes souvent peu spécifiques
Dans cette étude, 135 cas ont été retenus pour le bedinvetmab, 51 cas pour le frunévetmab, et 122 cas pour le lokivetmab. Chez le chien comme chez le chat, la majorité des cas déclarés ont été jugés graves. Pour ces trois anticorps monoclonaux, l’Agence retient que « des symptômes généraux, souvent peu spécifiques (léthargie, anorexie), sont régulièrement rapportés ». Ils peuvent survenir de façon isolée, mais sont parfois associés à d’autres signes cliniques. Les résultats démontrent également que des signes digestifs (type diarrhées et vomissements) sont signalés en particulier chez le chien, de même des atteintes neurologiques (crises convulsives, tremblements…). « C’est la toute première injection du médicament qui précède généralement l‘apparition du ou des effets indésirables déclarés (dans environ 75 % des cas pour le bedinvetmab et le frunévetmab, et 60 % pour le lokivetmab) », détaille Corinne Piquemal. Les effets indésirables sont globalement rapportés dans le mois suivant l’injection. Dans 70 % des cas en lien avec l’usage de bedinvetmab ou de lokivetmab, ils apparaissent dans les 5 jours après l’injection. « Dans le cas du frunévetmab, les effets indésirables surviennent de façon homogène durant le mois suivant l’injection. »
Des particularités associées
L’étude a également révélé des particularités associées à chacune des spécialités. Pour le bedinvetmab, « près de 14 % des déclarations mentionnent la survenue de symptômes rénaux et urinaires (polyurie, incontinence urinaire, insuffisance rénale), 12 % des troubles musculo-squelettiques (faiblesse, arthrite, boiteries). Seize déclarations (12 %) évoquent l’apparition d’atteintes cutanées (dont 7 cas d’infection). L’Agence indique que 28 signalements (21 %) concernent une issue fatale pour l’animal traité. « Dans près de 86 % de ces cas, aucun lien clair entre la survenue des signes cliniques et l’administration du médicament n’a pu être établi. […] L’incidence des effets indésirables faisant suite à l’administration de bedinvetmab en France, entre sa commercialisation en 2020 et juin 2022, a été estimée à 0.08 % (un effet indésirable déclaré pour 1 302 chiens traités). » Concernant le frunévetmab, 53 % des déclarations portaient sur des signes cliniques cutanés (prurit, lésions croûteuses, alopécie). Dans 66 % des cas, ces troubles dermatologiques sont apparus après la toute première injection, et majoritairement dans les 15 jours suivant l’administration. Selon Corinne Piquemal, l’incidence des effets indésirables consécutifs à l’administration de frunévetmab en France entre sa commercialisation en 2021 et juin 2022 a été estimée à 0.13 % (un effet indésirable déclaré pour 748 chats traités). Enfin, pour le lokivetmab, près de 16 % des cas ont concerné des réactions d’hypersensibilité. Des désordres cutanés (dermatite, urticaire, alopécie, prurit) ont également été rapportés, ainsi que des troubles du comportement (changements comportementaux, agressivité). « Dans la majorité des cas (70 %) rapportant des effets indésirables faisant suite à au moins 2 injections de lokivetmab, le lien de causalité avec les administrations reste non conclusif. »
Des traitements innovants
C’est en 2017 que le premier anticorps monoclonal a été lancé sur le marché vétérinaire, avec des résultats convaincants. Commercialisé par Zoetis, Cytopoint est le premier anticorps monoclonal (lokivetmab) à usage vétérinaire indiqué dans le traitement des manifestations cliniques de la dermatite atopique canine. Il imite l’activité des anticorps naturels et cible spécifiquement, dans le milieu circulant, l’interleukine 31 canine (IL-31), une cytokine impliquée dans la stimulation du prurit chez les chiens souffrant de dermatite atopique. Quelques années plus tard, en 2021, le laboratoire élargit sa gamme avec Solensia (frunévetmab), une solution injectable pour soulager la douleur associée à l’arthrose chez le chat. Il s’agit du premier anticorps monoclonal autorisé pour cette espèce. Zoetis propose également Librela (bedinvetmab) pour la même indication chez le chien.
Un manque de données
Selon l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV), les effets indésirables mentionnés dans son étude rétrospective sur les médicaments vétérinaires à base d’anticorps monoclonaux commercialisés en France correspondent à ceux indiqués dans les résumés des caractéristiques de ces produits (RCP) et dans la littérature pour le lokivetmab. « La confrontation des données pour le bedinvetmab et le frunévetmab reste encore difficile, car peu d’études sont publiées à ce jour et les remontées de pharmacovigilance sont encore limitées. Il est donc possible que des modifications des RCP soient décidées à l’avenir, en particulier après analyse des données qui seront cumulées au niveau européen », indique Corinne Piquemal, experte en pharmacovigilance à l’ANMV. Les praticiens tiennent une place importante sans ce domaine. « Comme avec toute nouvelle substance active arrivant sur le marché, le rôle des vétérinaires, à travers leurs remontées de pharmacovigilance, est crucial pour mieux cerner le profil de sécurité de ces médicaments », ajoute-t-elle.