La délégation d’actes : un outil à manier avec précision - La Semaine Vétérinaire n° 1970 du 16/12/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1970 du 16/12/2022

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Michaella Igoho-Moradel

Le véhicule législatif est identifié et la mesure, inscrite dans la feuille de route de ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. La loi d’orientation agricole, qui sera déposée en mai-juin 2023, définira les modalités de la délégation d’actes aux auxiliaires spécialisés vétérinaires.

Le calendrier s’accélère pour l’encadrement de la délégation d’actes vétérinaires aux auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV). Ses modalités seront précisées dans la future loi d’orientation agricole, prévue pour 2023. Lors du congrès 2022 de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), qui a eu lieu du 1er au 3 décembre derniers à Marseille (Bouches-du-Rhône), l’Ordre des vétérinaires a dévoilé les orientations souhaitées par la profession. Celles-ci restent dans la continuité des travaux1 du projet Vetfuturs, présentés en 2017. Cette rencontre a également été l’occasion d’annoncer les résultats des enquêtes lancées par les organisations professionnelles vétérinaires sur les attentes des praticiens. La majorité d’entre eux voudrait amorcer ce tournant. Sans surprise, la délégation d’un acte se fera sous l’autorité du praticien. « Les ASV sont soumis à un lien de subordination et agissent sous la responsabilité du vétérinaire de la communauté d’exercice dans le cadre du contrat de soins. Cela sous-entend que l’animal a été examiné par un vétérinaire avant cette délégation d’actes », explique Nathalie Blanc (A 98), membre du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires.

Un acte pratiqué sous la responsabilité du vétérinaire

L’Ordre le martèle. La délégation d’un acte vétérinaire se fera sous la responsabilité du praticien. Cela suppose qu’il sera responsable des actes de son employé. L’alinéa 3 de l’article R.242-33 du code de déontologie prévoit qu’il veille à définir avec précision les attributions du personnel placé sous son autorité, à le former aux règles de bonnes pratiques et à s’assurer qu’il les respecte. « S’il y a une compétence, le vétérinaire n’a pas besoin d’être à 10 m dès lors qu’il est dans l’établissement de soins. La question se pose aussi avec les stages tutorés. Il doit être en situation de pouvoir répondre en cas de difficultés rencontrées par la personne qui réalise les actes. Quand cela sera légalisé, les ASV pourront renouveler un pansement sans la présence du vétérinaire », détaille Jacques Guérin (N 88), président de l’Ordre. Le vétérinaire responsable décidera des actes à déléguer dans la limite de ses propres compétences. Il pourra choisir de ne pas le faire pour certains. « Au sein l’établissement de soins, les actes délégables le seront uniquement si le vétérinaire a la compétence adaptée. Il ne pourra pas déléguer d’actes de physiothérapie à un ASV s’il n’a pas les compétences requises pour cela », précise Nathalie Blanc. Concrètement, en cas d’erreur, les assureurs iront examiner la compétence du vétérinaire : c’est la responsabilité de l’employeur qui sera recherchée.

Au sein d’un établissement de soins

Autre précision, les actes devront être réalisés au sein d’un établissement de soins vétérinaires. Ce qui exclut de fait les soins prodigués au domicile du propriétaire ou dans un élevage, entre autres. « Cela permettra d’éviter les effets de bords qu’on ne pourra pas maîtriser. Par exemple, on voit apparaître des praticiens employés par des coopératives, des groupements de défense sanitaire, etc. qui pratiquent des actes d’ostéopathie animale. Si l’on ouvre la délégation d’actes à l’extérieur de l’établissement de soins, ce sera la même chose pour les ASV », répond Nathalie Blanc, interrogée sur les motivations de cette restriction. Le sujet devrait revenir sur la table puisque, exercice rural notamment, certains actes sont déjà délégués à des techniciens ou à des éleveurs. À ce stade, l’Ordre n’a pas précisé ceux qui sont inscrits sur la liste transmise au ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (Masa). Mais plusieurs pourraient être concernés, comme certains prélèvements à fin d’analyses, l’assistance à l’anesthésie, des soins locaux, de désinfection et des pansements. En ce qui concerne les actes diagnostiques, lors d’une analyse de cytologie, l’ASV pourra préparer la lame, faire la coloration, mais la lecture devra être effectuée par le vétérinaire. Seront exclus les actes d’administration de médicaments anticancéreux, de stupéfiants ou de produits et substances destinés à l’euthanasie.

Une liste d’actes en construction

Ainsi que les actes d’administration, de prélèvements effectués dans un but de certification au sens de l’article R.242 du Code rural et de la pêche maritime. « Même un test génétique avec une brossette gingivale pour déterminer le profil génétique de l’animal ne pourra pas être réalisé par un ASV, car il y a certification »  indique Nathalie Blanc. La liste d'actes délégables, en cours d’élaboration, doit encore être soumise au Masa. « Nous ne savons pas si, à la fin, la liste qui sera publiée sera celle proposée. Le travail actuel consiste à définir les périmètres et les compétences qui y sont associés », rapporte Nathalie Blanc. La délégation d’actes au sein de l’établissement de soins vétérinaires concernera toutes les espèces, dès lors que l’ASV aura les compétences nécessaires pour les pratiquer. « Le souhait de l’Ordre est une tenue de liste ou un tableau pour valoriser les ASV. Sans cela, il nous sera impossible de surveiller ce que font les auxiliaires dans un établissement de soins », indique-t-elle. L’instance ordinale encourage même l’élaboration d’un « minicode de déontologie », comme cela a été fait pour la délégation à des personnes dispensant des actes d’ostéopathie. Côté compétences, lors des discussions menées en 2017, les ASV d’échelon 5 paraissaient les seuls concernés par cette mesure. À ce niveau, l’auxiliaire peut déjà assurer le conseil et la vente argumentés des produits vétérinaires sans prescription et assister le praticien durant des soins et des examens complémentaires ou pendant des soins pré-, per- et postopératoires.

Des prérequis à définir

En 2022, les prérequis nécessaires doivent encore être précisés. « Cela peut-être une période de stage sanctionnée par une validation de compétences. Ce ne sera pas à l’employeur de décider si l’ASV peut ou non effectuer un acte. Cela nécessitera une compétence, qui devra être vérifiée. La valeur de notre acte est importante et ne devra pas être galvaudée », martèle Nathalie Blanc. « Nous nous apercevons qu’il y a encore beaucoup de sujets non traités, mais ils le seront en 2023. Le prérequis (plutôt ASV niveau 5) et le parcours de formation doivent être définis. Comment le construire et comment le rendre accessible à toutes les structures ? Comment ne pas faire une délégation au rabais ? Il est nécessaire de déterminer le mode de validation. Sera-t-il sanctionné par un diplôme reconnu ou par l’Ordre ? » interroge Jérôme Frasson (L 92), président d’APForm et vice-président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral. Sur le terrain, des ASV réalisent déjà des actes vétérinaires, et parfois même de façon illégale. « Il faut une reconnaissance de ces actes. Parce que, dès l’instant ou un différent survient entre l’ASV et le vétérinaire employeur, cela se traduit aux prud’hommes par “On m’a fait faire des actes que je ne devais pas pratiquer” », affirme-t-il.

La délégation comme levier de fidélisation des ASV

Si un cadre réglementaire clair doit définir les responsabilités de chacun, il n’est pas certain que celui-ci suffira à fidéliser les ASV. « Il faut rappeler ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, car la pression morale que subissent les ASV est inacceptable. La reconnaissance financière est importante en raison des dérives possibles : si les ASV le font déjà, ils peuvent continuer sans que cela n’entraîne une revalorisation financière. La délégation d’actes ne permettra pas de garder les ASV dans les structures s’ils ne bénéficient pas d’augmentation salariale associée. Pour un certain nombre d’entre nous, cela peut rendre le métier plus intéressant, mais ce n’est pas un levier aussi fort », explique Anne-Marie Lebis, secrétaire de l’Association des auxiliaires vétérinaires. « Il me semble que cela offre des perspectives de carrière. Au bout de vingt ans, les ASV perçoivent la rémunération maximum, selon les textes qui s’appliquent. La délégation offre la possibilité de travailler différemment. Ce sont des choses que certains ASV attendent. C’est l’une des solutions pour qu’ils restent dans la structure », rétorque Éric Bomassi (A 95), secrétaire général de l’Afvac.

Vers un statut d’infirmier libéral vétérinaire ?

L’Ordre rappelle que les auxiliaires vétérinaires et les auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) ne peuvent exercer leurs activités que « sous le contrôle et la responsabilité d’un vétérinaire praticien », et au sein d’un établissement de soins vétérinaires. L’instance ordinale s’oppose à la création d’un corps d’infirmiers libéraux vétérinaires. « La délégation d’actes s’entend dans la suite du contrat de soins. Je ne vois pas comment cela serait faisable ; c’est la position adoptée par l’ensemble des professionnels », lance Nathalie Blanc (A 98), membre du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV). « Pour l’instant, ce n’est pas possible juridiquement et il n’y a pas une vraie volonté de le faire », renchérit Jérôme Frasson (L 92), vice-président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral. Pour Jacques Guérin (N 88), président du CNOV, la question n’est pas d’actualité : « La possibilité de certaines personnes à pratiquer des actes n’en fait pas une profession. Les ostéopathes animaliers ne sont pas reconnus dans les nomenclatures des professions, notamment au niveau européen. » Pourtant, l’Ordre reconnaît avoir connaissance d’ASV qui travailleraient sous un statut libéral.

Une partie des besoins déjà couverts en pratique rurale

En exercice rural, la délégation de certains actes aux auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV) est un sujet qui divise, comme l’a révélé une enquête menée par la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), malgré un taux de réponse relativement faible. « Cette délégation d’actes ne semble pas faire l’unanimité. Il n’y a pas plus de demande chez les confrères ruraux », rapporte Jean-François Labbé, membre de la SNGTV. Des praticiens interrogés sont prêts à déléguer certains actes, tels que la coproscopie, certaines injections si le vétérinaire est à proximité, le suivi des animaux malades examinés au préalable par un praticien, commencer un traitement ou éventuellement le faire surveiller par un ASV. La moitié des répondants se dit favorable à la délégation du sondage urinaire. « Cela rentre dans un cadre zootechnique. Les vétérinaires enquêtés ont certainement confondu ce qui était déjà pratiqué par les techniciens et ce qui était délégable aux ASV. » Concernant le diagnostic par échographie, ils estiment qu’il s’agit d’un acte non délégable, bien qu’il soit déjà effectué par des techniciens. Pour les praticiens, la délégation d’actes permettrait de développer certains services, de résoudre les problèmes de recrutement, de dégager du temps au vétérinaire. « Cela peut aussi être un moyen d’entretenir la motivation des ASV. Certains des répondants veulent garder un pré carré. Il y a un faible taux de réponse car une partie des besoins a déjà été couverte par les techniciens. »

Les praticiens canins prêts à déléguer

Dans la filière animaux de compagnie, les praticiens estiment majoritairement que la délégation d’actes est nécessaire à l’évolution de la pratique. Elle est même indispensable pour les structures de haute technicité, les centres hospitaliers vétérinaires, mais aussi pour tous les établissements vétérinaires. Éric Bomassi (A 95), secrétaire général de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie, a présenté les résultats de l’enquête menée par l’organisation professionnelle : « Les répondants considèrent que la délégation d’actes ne met pas en danger les prérogatives des vétérinaires ni la protection de leur diplôme. Cela permettra de répondre à un certain nombre de demandes de la clientèle et aux difficultés de recrutement, ainsi que valoriser les entreprises et d’encadrer les domaines paravétérinaires (dentisterie, reproduction, physiothérapie, etc.). » En ce qui concerne les avantages pour le personnel non vétérinaire, la délégation d’actes est perçue comme un levier de valorisation du métier d’auxiliaire spécialisé vétérinaire (ASV) pour améliorer leur rémunération, les fidéliser et leur offrir un plan de carrière. Les praticiens pensent majoritairement qu’il faut déléguer les actes en fonction du niveau de formation des auxiliaires. « Les ASV de niveau 5 doivent pouvoir en bénéficier, avec la possibilité de créer un niveau supplémentaire pour lequel les actes seraient délégables, et cela induit une formation validante. Les répondants sont tout de même 30 % à estimer que cette délégation pourrait être possible en dehors du domicile professionnel d’exercice.  »

Des attentes fortes chez les vétérinaires équins

Du côté des vétérinaires équins, les résultats de l’enquête menée par l’Association vétérinaire équine française (Avef) montre des attentes fortes de la part des praticiens, notamment sur la formation spécifique des auxiliaires spécialisés vétérinaires (ASV). Les vétérinaires interrogés soulignent la pertinence d’un niveau 5 avec une spécialisation équine. La majorité d’entre eux reconnaît que la délégation d’actes  offre des perspectives aux ASV tout en légalisant des pratiques déjà existantes. Elle pourrait être une solution pour résoudre les difficultés de recrutement, dégager du temps aux vétérinaires et développer de nouveaux services. Parmi les actes non délégables, ils citent l’extraction des dents de loup, le nivelage dentaire, le prélèvement artériel. En revanche, ils sont prêts à déléguer des actes tels que l’intubation trachéale, la surveillance de l’anesthésie, le sondage urinaire, la réalisation d’électrocardiogrammes en présence du praticien ou à proximité. Il y a un consensus sur la pose de cathéter, les pansements chirurgicaux, la surveillance du réveil, les écouvillons hors certification. «  Il existe un large consensus sur la physiothérapie (beaucoup de physiothérapeutes qui ne sont pas vétérinaires ont des centres de physiothérapie), la perfusion, les prélèvements de sang veineux, l’assistance chirurgicale, les soins locaux, la réalisation de tests rapides et d’analyses. La coproscopie aussi, mais le comptage des œufs doit-il être considéré comme un diagnostic ? »,  questionne Charles-François Louf (L 93), président de l’Avef. La majorité des répondants s’oppose à ce que les actes soient effectués en dehors de tout contrôle du vétérinaire ou lorsqu’il n’est pas à proximité, par exemple à l’extérieur de l’établissement.

  • 1. bit.ly/3Pcp3Oq.