Quand le modèle canin aide à la compréhension de maladies humaines rares - La Semaine Vétérinaire n° 1970 du 16/12/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1970 du 16/12/2022

One Health 

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Gwenaël Outters

Le centre de ressources biologiques Cani-DNA faisait partie des invités du traditionnel module « One Health », proposé dans le programme du congrès de l’Afvac 2022. Il a notamment été question de la recherche sur le sarcome histiocytaire.

La biobanque Cani-DNA collecte depuis une vingtaine d’années des prélèvements de chien, modèle spontané et préclinique de maladies génétiques humaines rares et/ou complexes. Elle a été mise en place par l’équipe « génétique du chien » au sein de l’Institut génétique et développement-Centre national de la recherche scientifique (IGDR-CNRS) de l’université de Rennes (Ille-et-Vilaine). Cette unité a été certifiée comme centre de ressources biologiques en 2022 (normes ISO 9001 et NF S96-900) pour la recherche biomédicale vétérinaire et humaine dans le cadre du concept One Health, a rappelé Catherine André, directrice de recherche au CNRS et responsable de l’équipe « génétique du chien », dans la conférence qu’elle a livrée au congrès 2022 de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), qui s’est tenu à Marseille (Bouches-du-Rhône) du 1er au 3 décembre derniers. En partenariat avec les vétérinaires, les prélèvements et les données généalogiques, phénotypiques et cliniques sont recueillis, puis les extractions d’ADN et d’ARN (depuis des échantillons sanguins et tissulaires) sont réalisées. Les échantillons (33 000 au total) sont conservés dans le site de Rennes, mais aussi dans les écoles vétérinaires et par la société Antagène. Sont représentées 270 races de chiens et une centaine de maladies génétiques canines, homologues de maladies génétiques humaines, sont recensées. Il s’agit donc d’une structure d’appui à la recherche, avec des applications à la fois en médecine vétérinaire et en médecine humaine. La conférencière a souligné la charte éthique du centre, qui a recours à un modèle canin non expérimental, dans son parcours de soins, en accord avec la demande sociétale.

Un premier test génétique obtenu pour le sarcome histiocytaire

Le sarcome histiocytaire représente le plus grand nombre de prélèvements (1 317 cas) et est l’un des modèles étudiés dans le cadre du concept One Health. Il s’agit d’un cancer agressif, très rare en médecine humaine et dont la réponse à la chimiothérapie est limitée, mais qui a une forte incidence dans trois races canines, le bouvier bernois, le rottweiler et les retrievers. Celles-ci ont été utilisées afin de comprendre les bases génétiques, la physiopathologie, les facteurs pronostiques et, in fine, de pouvoir aider au diagnostic et de proposer d’éventuelles options thérapeutiques pour le chien et pour l’humain. Les chercheurs ont étudié pour cela les mutations prédisposant au sarcome histiocytaire (transmission génétique) et les mutations somatiques (acquises). « Nos travaux sur la prédisposition ont permis de développer un test génétique de risque1, c’est le premier en oncologie vétérinaire, et les éleveurs l’emploient maintenant très bien », a précisé Benoît Hédan (N 03), ingénieur de recherche au CNRS.

Une forte conservation des voies oncogéniques chez le chien et l’humain

Cependant, la présence d’un facteur de risque génétique ne suffit pas au développement tumoral : celui-ci nécessite des altérations génétiques somatiques. Des altérations récurrentes du gène PTPN11 (tyrosine-protein phosphatase non-receptor type 11) appartenant à la voie des MAP kinases (mitogen-activated protein kinases) ont été retrouvées ; et d’autres sites de mutations ont été identifiés. Ces altérations sont également présentes dans les cancers humains, ce qui reflète une forte conservation des voies oncogéniques chez le chien et l’humain. Il a même été prouvé que les mutations PTPN11 sont associées à un sous-type de sarcome histiocytaire viscéral et disséminé, de mauvais pronostic chez le chien et chez l’humain. Des études sont actuellement menées pour valider l’intérêt du marqueur en tant que facteur pronostique.

Ces mutations sont spécifiques du sarcome histiocytaire chez l’humain et le chien, et détectables dans le plasma (biopsie liquide) ; il est ainsi possible d’établir un diagnostic et de suivre le traitement avec une simple prise de sang. D’autres recherches en cours pourraient également ouvrir la voie à la détection très précoce de ce cancer. Le laboratoire a par ailleurs testé des inhibiteurs de la voie des MAP kinases sur des lignées de sarcomes histiocytaires permettant de diminuer la prolifération des cellules cancéreuses. Des recherches américaines sur des modèles murins vont dans le même sens : à ce jour, un essai clinique est en cours aux États-Unis pour tester ces inhibiteurs sur le chien ainsi que pour l’humain. C’est une première preuve de concept qui montre que le sarcome histiocytaire canin sera un très bon modèle pour sélectionner des thérapies en médecine humaine.

  • 1. Proposé par la société Antagène.