Première réparation interventionnelle de la valve mitrale à cœur fermé sur un chien en France - La Semaine Vétérinaire n° 1971 du 06/01/2023
La Semaine Vétérinaire n° 1971 du 06/01/2023

Cardiologie

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Caroline Driot

Si elle ne permet pas de réfection complète de la valve mitrale, la réparation interventionnelle à cœur fermé présente l’avantage d’être moins lourde et moins risquée qu’une opération à cœur ouvert. Elle consiste à insérer un dispositif intracardiaque rapprochant de manière permanente les parties centrales des feuillets antérieur et postérieur de la valve défectueuse.

Le 11 octobre 2022, des vétérinaires chevronnés réalisaient la première chirurgie de la valve mitrale à cœur fermé sur un chien en France, dans les locaux d’IMMR-Veranex, à Paris. Jango, un cavalier king Charles de 8 ans atteint d’une maladie valvulaire dégénérative mitrale (MVDM) de stade  C ACVIM1, a bénéficié des soins et de l’expertise d’une équipe internationale, sous la houlette de Nicolas Borenstein2 (A 95), de Christopher Orton3 et de Valérie Chetboul4 (A 84). Avec, à ce jour, des résultats prometteurs.

Un dispositif intracardiaque pour limiter le reflux mitral

La MVDM se traduit par un reflux sanguin du ventricule gauche vers l’atrium gauche lors de l’éjection systolique qui, s’il devient important, est à l’origine de complications d’insuffisance cardiaque congestive potentiellement létales. La chirurgie de la valve mitrale à cœur fermé consiste à limiter ce reflux sanguin grâce à l’insertion d’un dispositif intracardiaque, un V-clamp (pour valve clamp) rapprochant de manière permanente les parties centrales des feuillets antérieur et postérieur de la valve défectueuse. Le remplissage diastolique du ventricule gauche s’effectue alors par les espaces restants lors de l’ouverture des feuillets valvulaires, en portion médiale et latérale.

Minithoracotomie et trocardage du ventricule gauche

Contrairement à ce qui se pratique en cardiologie humaine, le diamètre des vaisseaux sanguins des chiens atteints de MVDM ne permet pas de faire remonter ce type de dispositif depuis la veine fémorale jusqu’au cœur. L’abord chirurgical nécessite une minithoracotomie, au niveau du cinquième espace intercostal gauche et proche du sternum, afin de découvrir l’apex cardiaque. Après ouverture du péricarde, une suture en bourse est effectuée sur le ventricule gauche. Ce dernier est trocardé, et le V-clamp inséré via un cathéter. Le dispositif est ensuite mis en place par le chirurgien, sous contrôle minutieux des imageurs (échocardiographie transœsophagienne 3D), jusque dans l’atrium gauche. La partie distale du clamp y est libérée et positionnée. Le cathéter est partiellement retiré pour libérer la moitié proximale du V-clamp dans le ventricule gauche. Puis les deux moitiés de la pince sont serrées, rapprochant les deux feuillets mitraux. Le cathéter intracardiaque est ôté et la suture en bourse ventriculaire fermée. Après la mise en place d’un drain thoracique pour 24 heures, la plaie de thoracotomie est refermée classiquement.

Échocardiographie transœsophagienne en 3D

« La pose du V-clamp constitue un acte réellement délicat, précise Valérie Chetboul. Le chirurgien doit prendre suffisamment de tissu valvulaire dans la pince sans le déchirer et sans léser de pilier ni de cordage. L’intégralité de ces opérations fait l’objet d’un suivi sous rayon X (capteur plan) et par échocardiographie transœsophagienne. C’est un travail d’équipe permanent, une sorte de duo entre le chirurgien et l’imageur qui guide ses mouvements au millimètre près. » Cette première française a ainsi mobilisé trois échographistes, Charlotte Misbach5 (A 06), Brianna Potter6 et Valérie Chetboul, avec des reconstitutions en 3D des images échographiques pour épauler avec un maximum de précision les deux chirurgiens, Nicolas Borenstein et Christopher Orton, à la manœuvre.

Une amélioration clinique fulgurante

Après 4 heures d’anesthésie, la récupération fut rapide. « Comme d’autres chiens opérés aux États-Unis ou en Chine avant lui, Jango a été capable de marcher 2 heures après le réveil ! », s’enthousiasme Valérie Chetboul. Les patients sont placés sous antiagrégant plaquettaire (Clopidogrel) pendant 3 mois pour prévenir le risque de thrombose. Les traitements cardiaques sont considérablement allégés : abandon de l’inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine et de la spironolactone les 2 premières semaines et poursuite du pimobendane et du torasémide, avec réduction des doses dans le cas de Jango, qui connaît une amélioration fulgurante.

Deux jours après l’opération, l’échographie objective déjà une normalisation du ventricule gauche en systole et en diastole, associée à une nette réduction de la taille de l’atrium gauche. Après 3 semaines, les diamètres systolo-diastoliques de l’atrium sont totalement normalisés. La propriétaire rapporte un chien métamorphosé, ayant enfin retrouvé l’entrain qui le caractérisait avant les épisodes récurrents d’œdème pulmonaire, ainsi qu’une fréquence respiratoire parfaitement normale (16 à 20 mouvements par minute pendant le sommeil versus 30 à plus de 40, suivant les moments, avant l’opération).

Peu de recul à long terme

Au niveau mondial et à l’heure actuelle, le recul reste faible quant aux bénéfices à très long terme de cette chirurgie récente. Néanmoins, aux États-Unis, Christopher Orton a déjà opéré plus d’une trentaine de chiens avec cette technique depuis 2021. Il relève 100 % de survie à l’opération, et plus de 80 % de survie à 9 mois, avec des variations selon le stade initial de MVDM. Une étude chinoise menée sur 8 chiens fait état de la disparition des régurgitations mitrales chez 7 d’entre eux et de la persistance d’une régurgitation minime chez le huitième. Aucune complication (sténose mitrale, thrombus) n’était à déplorer après 124 jours de suivi. Le V-clamp, composé d’un alliage de nickel et de titane, semble particulièrement bien toléré.

Une sélection des candidats difficile

Au-delà de l’expertise de l’équipe soignante, la réussite de l’opération tient en un élément clé : la sélection des candidats. « C’est une étape cruciale, souligne Valérie Chetboul. Elle repose sur l’étude de plus de 30 critères, dont une dizaine de paramètres purement échographiques. » La largeur du défaut mitral doit correspondre à la taille du V-clamp (3 formats disponibles actuellement, bientôt 4). Et l’intervention n’est envisageable qu’en cas de défaut central. Elle est de plus déconseillée pour les MVDM de stade D ACVIM.

Avantages de la technique à cœur fermé

Comparativement à la chirurgie à cœur ouvert, la réparation interventionnelle à cœur fermé ne permet pas de réfection complète de la valve mitrale. Mais elle présente plusieurs avantages. Pour l’animal, l’opération est moins lourde et moins risquée car elle ne nécessite pas de mise en place d’une circulation extracorporelle, dont le coût est de surcroît bien plus élevé.

Pour cette première française, Jango a bénéficié de plusieurs contributions financières, dont la fourniture gracieuse du V-clamp par la société chinoise Hongyu Medical, qui a également pris en charge les coûts liés à la venue de spécialistes internationaux. Les vétérinaires n’ayant par ailleurs perçu aucun honoraire pour leur travail, la propriétaire n’a payé qu’une petite partie des frais engagés. Un contexte qui fait de cette réussite, selon les mots de Valérie Chetboul, l’aboutissement d’une belle histoire de cœur ! 

L’IMMR-Veranex, épicentre mondial de la recherche chirurgicale cardio-vasculaire

L’Institut mutualiste Montsouris recherche-Veranex (IMMR-Veranex), à Paris, est spécialisé dans les études précliniques de dispositifs médicaux en lien avec la cardiologie. C’est véritablement « the place to be » pour les fabricants du monde entier, qui viennent y faire tester leurs produits. L’IMMR-Veranex entretient par ailleurs un partenariat de longue date avec Valérie Chetboul (A 84), de l’unité de cardiologie de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne). Pose de pacemaker, dilatation d’artères sténosées, réparation de valves, etc. : ensemble, les membres de l'équipe de cardiologie exploitent le plateau technique et leur savoir-faire commun pour traiter des chiens, des chats, voire des animaux exotiques atteints de troubles cardiaques. Ils ont ainsi à leur actif la réalisation d’un certain nombre de « premières » en chirurgie cardiaque vétérinaire. Leur ambition est de rendre aux animaux ce que ces derniers ont donné, et continuent de donner à l’humain en chirurgie cardiaque.

Création d’un résidanat avec une thématique en chirurgie cardio-vasculaire vétérinaire

Valérie Chetboul (A 84), Nicolas Borenstein1 (A 95) et Luc Behr2 (L 98) ont décidé de concrétiser leur savoir-faire commun en créant un programme original de résidence du Collège européen de cardiologie3 sur la thématique chirurgicale cardio-vasculaire, en collaboration avec Thibault Ribas4 (L 08) et l’université de Bristol (Royaume-Uni). Le premier résident à bénéficier de cet enseignement unique est Pierre Foulex5 (A 19), soutenu par la fondation Un Cœur, sous l’égide de la Fondation de France. Sa résidence a commencé par cet événement chirurgical international.

1. Directeur scientifique de l’Institut mutualiste Montsouris recherche-Veranex (IMMR-Veranex, Paris).

2. Président des services précliniques de l’IMMR-Veranex.

3. European College of Veterinary Internal medicine-Companion Animals (ECVIM-CA) Cardiology.

4. Praticien liberal en cardiologie à la clinique Vetoption (Bouches-du-Rhône), diplomate ECVIM-CA.

5. Praticien hospitalier en cardiologie à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne).

  • 1. American College of Veterinary Internal Medicine.
  • 2. Directeur scientifique à l’Institut mutualiste Montsouris recherche-Veranex (Paris, 14e).
  • 3. Vétérinaire spécialisé en chirurgie cardio-thoracique et professeur au Colorado State University Veterinary Teaching Hospital (États-Unis).
  • 4. Cheffe de l’unité de cardiologie et professeure de cardiologie à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne).
  • 5. Praticienne au service de cardiologie du centre hospitalier vétérinaire Les Cordeliers (Seine-et-Marne), diplomate DESV-MI.
  • 6. Professeure assistante de cardiologie à la Colorado State University (États-Unis).